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Publié le 29 juin dans Le Figaro
Le ministère public a requis mardi six mois d'emprisonnement avec sursis contre l'imam d'une mosquée de Toulouse, jugé pour «incitation à la haine raciale» après un prêche en arabe diffusé sur les réseaux sociaux en 2017.
La décision a été mise en délibéré au 14 septembre. La procureure Alix-Marie Cabot-Chaumeton a fustigé devant le tribunal correctionnel de Toulouse le prêche que Mohamed Tataïat, un imam de 58 ans, avait prononcé le 15 décembre 2017 à la mosquée En Nourr, dans le quartier d'Empalot. Une allocution qui avait été relayée sur la chaîne YouTube de la Grande mosquée de Toulouse et qui comporte, a-t-elle dit, «des stéréotypes antisémites» constituant «une stigmatisation et une attaque violente» contre la communauté juive.
La représentante du parquet a demandé que la condamnation soit assortie d'un affichage de la décision «aux portes de la mosquée» et «d'une publication dans la presse régionale et nationale». «Nous sommes à Toulouse qui a connu un attentat où des enfants ont été tués», a rappelé Mme Cabot-Chaumeton avec solennité, en référence aux élèves d'une école juive tués par Mohamed Merah en 2012. Soulignant que M. Tataïat était «un professeur lettré» (docteur en théologie) et «une autorité morale» pour sa communauté, elle a estimé qu'il aurait dû accompagner ses propos d'éléments de contexte et d'explication.
Le parquet de Toulouse avait ouvert une enquête préliminaire en 2018 après avoir reçu un signalement visant une vidéo dans laquelle on voit l'imam de la Grande mosquée de Toulouse, qui prêchait alors dans une mosquée plus modeste, s'exprimer devant les fidèles en langue arabe. Selon le texte traduit lors de l'enquête, l'imam cite un hadith proclamant: «le jour du jugement ne parviendra que quand les musulmans combattront les juifs, le juif se cachera derrière l'arbre et la pierre, et l'arbre et la pierre diront oh musulman, oh serviteur de Dieu, il y a un juif derrière moi, viens et tue-le, sauf Algharqada, qui est l'un des arbres des juifs».
Provocation à la haine
«L'intention de la provocation à la haine apparaît caractérisée», a affirmé la magistrate, ajoutant «nous savons tous la dangerosité des réseaux sociaux sur la divulgation d'une parole». L'imam a été détaché en France par le ministère des affaires religieuses algérien qui le rémunère, d'abord à la Grande Mosquée de Paris de 1985 à 1986, puis à Toulouse en 1987.
Le religieux a tenté d'expliquer que son prêche du vendredi intitulé «l'Entité sioniste, leur prophétie nos convictions» avait été sorti de son contexte et s'inscrivait dans la continuité de ses allocutions précédentes. M. Tataïat y évoque notamment «la corruption morale des israélites» ou souligne que les juifs accaparent «la force, l'argent, les canaux, les chaînes d'information internationales et le pouvoir de contrôle de la vie politique et économique dans le monde».
Près d'une dizaine d'associations se sont portées partie civile dont la Licra, le Crif, SOS racisme. «M. Tataïat a fait un choix lorsqu'il a construit son prêche», a notamment plaidé Me Michaël Bendavid pour la Licra, déplorant notamment l'évocation du «martyr» Ahmed Yassine. «C'est le choix de citer une personne à la fondation d'un mouvement terroriste, le Hamas, sans aucune distance critique», a-t-il affirmé. «Cet homme, ce qu'il a dit, ce qu'il a fait, ça peut entrer dans un débat critique (...) ce débat doit avoir lieu entre imams, avec même d'autres représentants religieux, mais pas devant un juge», a pour sa part estimé Me William Bourdon, l'un des trois avocats en défense.
Pour en savoir plus : Toulouse : six mois de prison avec sursis requis contre l'imam de la mosquée d'Empalot pour antisémitisme (France 3)
"Pas devant n'importe quel auditoire" pour les parties civiles
Pour Maître Simon Cohen, avocat du Crif, partie civile dans cette affaire, cette défense ne tient pas : "quelque soit la traduction, les mots restent les mêmes. Et l’interprétation, sauf à déformer les mots, peut les nuancer, peut les présenter de manière plus ou moins flatteuse. De manière, donc, plus ou moins belliqueuse mais ne peut en changer la substance. « si tu vois un Juif derrière moi, tue le » est-ce que cela mérite d’être interprété ? Non." Et de rajouter : "Que l’on se réfère à des hadith, on peut ! Que on se réfère à des pensées doctorales, provocatrice, voire belliqueuses, on peut ! Mais pas devant n’importe quel auditoire."
Dans ses réquisitions rendues en fin d'après-midi, le parquet de Toulouse a estimé que Mohamed Tataiat "a opéré un glissement sémantique qui conduit à une stigmatisation des Juifs. Il ne se borne pas à critiquer l’Etat d’Israël. Les propos antisionistes concernent la totalité de la communauté juive. Cet argument est un prétexte. C’est l’élément constituant à l’exhortation à l’appel à la haine. Les mots ont un sens et sa parole a une portée importante vis-à-vis de son auditoire. Nous sommes à Toulouse où des enfants ont été tués parce que Juifs. La provocation à la haine raciale à l’égard de la communauté juive est caractérisée. Il n'y a pas eu de réponse claire. Il n'y a pas eu de regrets lors de cette audience. Je doute de sa capacité à se remettre en question."