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Publié le 26 Janvier 2022

Interview Crif - Polémique autour d'une fresque murale à Grenoble

Une fresque murale réalisée dans le cadre du Grenoble Street Art Festival a récemment indigné le Crif Grenoble. En effet, celle-ci fait la comparaison entre le sort des musulmans d'aujourd'hui et celui des victimes de la Shoah. Maître Hervé Gerbi, le nouveau Président du Crif Grenoble-Dauphiné a interpellé le maire de la ville. Nous l'avons interrogé.

Crif : Monsieur Gerbi, vous avez interpellé le maire de Grenoble au sujet d’une fresque peinte sur les murs de la ville. Quelle est cette fresque et que représente-t-elle ?

Hervé Gerbi : Cette fresque s’inscrit en marge des fresques réalisées dans le cadre officiel du Grenoble Street Art, c’est-à-dire qu’elle n’a pas fait l’objet d’un dévoilement officiel mais en quelque sorte elle s’inscrit dans le cadre du festival « off ». Elle a été réalisée par un artiste bien connu de ce festival à Grenoble.

Cette peinture met en scène une personne dont l’origine musulmane est marquée par le voile qu’elle porte et l’indication, à la poitrine, du mot « muslim ».

La présentation générale de cette jeune femme rappelle d’emblée celle des juifs détenus dans les camps nazis : la couleur et les rayures du vêtement font référence sans aucun doute possible à la tenue des déportés dans les camps de concentration. L’apposition du terme « muslim », dans sa calligraphie et au sein d’une forme géométrique totalement comparable heurte par sa similitude avec l’étoile jaune marquée du terme « juif » que nos coreligionnaires étaient dans l’obligation de porter en 1940-1945.

 

Crif : Selon vous, celle-ci fait une comparaison « inacceptable » entre le sort des musulmans d’aujourd’hui et les victimes de la Shoah. Expliquez-nous quel problème pose cette œuvre ? Quel message diffuse-t-elle ?

Hervé Gerbi : Certains y verront une œuvre d’art. Certains diront qu’elle est volontairement subversive, sans doute.

C’est d’ailleurs la volonté de son auteur, GOIN, qui avait défrayé la chronique déjà avec une peinture figurant des policiers matraquant une Marianne à terre.

Derrière « l’œuvre » se cache en réalité un double message politique inacceptable :

La mémoire et le respect dus aux victimes de la Shoah oblige à rappeler que le sort des musulmans, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’est en rien comparable à celui qui fut réservé aux juifs : au-delà même de la discrimination dont ils ont été l’objet, faut-il rappeler que le port de l’étoile jaune était le passeport aux camps de concentrations et d’extermination ? Cette comparaison entre le sort réservé aux musulmans aujourd’hui et l’extermination programmée et organisée de 6 millions de juifs, aussi odieuse que contraire à la vérité est une atteinte intolérable à ce que fut l’holocauste ; Cette fresque, par la comparaison dont elle procède, contribue à la banalisation du mal  que tous les historiens redoutent et qui plait tant aux extrémistes de tous poils.

Le titre même de cette peinture, « Bad religion ?», nous interpelle particulièrement. L’usage du pluriel « religions » aurait arrêté mon propos à une comparaison outrancière et irrespectueuse mais le choix d’un titre singulier affublé d’un « ? » ajoute une dimension au message de l’artiste. En distinguant les 2 religions, et le sort de leurs coreligionnaires, il laisse penser en effet que la situation des musulmans souffrirait de moins d’empathie alors que la cause juive serait mieux entendue ? Et par qui, et pourquoi alors ? Il ne peut y avoir en la matière de place pour une concurrence victimaire alors que dans notre pays près d’un jeune sur quatre n’a jamais entendu parler de la Shoah.

 

Crif : Le Crif a notamment pour mission de préserver la mémoire de la Shoah. A la veille de la Journée internationale dédiée aux victimes de la Shoah, il est essentiel de lutter contre ces dérives. Comment a réagi le Crif Grenoble-Dauphiné ? Quelles actions ont été entreprises ?

Hervé Gerbi : J'ai immédiatement, connaissance prise de cette fresque, pris contact avec le Maire de Grenoble à qui j’ai écrit.

Je lui ai demandé très clairement que cette œuvre soit retirée de l’espace public. Il est responsable des messages portés sur l’espace publique.

J’ai aussi interpellé la Communauté de Commune via son Président, et nos conseillers Régionaux : ces 2 institutions soutiennent l’association Spacejunk qui élabore et promeut le street art à Grenoble, et ses artistes.

Enfin, la presse locale s’est faite l’écho de notre mobilisation.

J’attends maintenant le retour des élus.

Je souhaite pour ma part que cette fresque, qui oppose 2 communautés, soit remplacée par une fresque qui rassemble plutôt qu’elle divise.