Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Réflexions sur la Convention Démocrate

26 Août 2024 | 136 vue(s)
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L’image d’unité joyeuse et déterminée, la chorégraphie réglée au cordeau avec le public qui agite la bonne banderole et l’orateur la bonne intonation au bon moment. Le changement de « pitch » de la voix, la plaisanterie apparemment spontanée, l’évocation d’un passé forcément émouvant, le rappel de la grandeur des États-Unis et c’est le tonnerre d’applaudissements au moment prévu.

Il y avait bien sûr sur la scène de grands professionnels de la communication tels les époux Obama ou Clinton, Oprah Winfrey ou Alesandra Ocasio Cortez (AOC) mais les « spin doctors » du spectacle politique américain sont remarquables et de nouveaux venus dans ce showbiz particulier ont appris les codes avec dextérité. Rien d’ennuyeux dans le discours de Tim Walz, le candidat à la vice-présidence, ce gouverneur du Minnesota qui ne nous dit rien de son travail de gouverneur, mais qui est parfait comme représentant de l’Amérique rurale, comme professeur d’école, comme soldat dans la Garde nationale et encore plus comme coach sportif, cochant ainsi toutes les cases du bon sens, de la solidarité et du goût de l’effort

Quant à Douglas Emhoff, il a été parfait dans la tâche qui lui était assignée de présenter de son épouse Kamala Harris l’image la plus chaleureuse possible. Ce n’est pas en France que le conjoint d’une femme politique aurait détaillé à son auditoire la « blind date » qui lui a permis de faire la conquête de sa future épouse. Maniant l’auto-dérision (« ma mère est la seule personne au monde qui pense que c’est Kamala qui a eu de la chance de m’avoir pour époux ») et assumant joyeusement sa position subordonnée, il a probablement beaucoup fait pour gagner le vote féminin. Nul doute que tel était l’objectif de son discours.

Il y avait dans ces quatre journées de Convention Démocrate à Chicago une impression d’alignement des planètes qui fait penser aux Jeux Olympiques de Paris. Qui aurait imaginé que cela se déroulerait aussi bien ? Mais une fois les Jeux finis, la France reste embourbée dans le marécage post électoral de notre microcosme. Le Parti Démocrate, lui, semble sortir des oubliettes et les conséquences pour le monde peuvent être majeures.

Il y a cinq semaines, Jo Biden à la surprise générale annonçait sa décision de ne pas se représenter à l’élection présidentielle américaine. Il était alors largement donné perdant face à un Donald Trump qui, une semaine avant cette décision, avait échappé à un attentat de façon que beaucoup de ses partisans étaient disposés à considérer comme miraculeuse et qui, trois jours avant, avait été triomphalement désigné comme candidat républicain.

Biden a exprimé son soutien à la candidature de sa vice-présidente, mais cela apparaissait comme un soutien par défaut : aucun candidat démocrate ne s’était présenté contre le Président en exercice et il était politiquement suicidaire d’écarter la candidature de la vice-présidente, une femme originaire de la diversité. Cependant, le travail spécifique qui lui avait été assigné par Biden, réduire l’afflux vers les États-Unis d’immigrants illégaux en provenance de l’Amérique centrale, avait largement été considéré comme un échec et n’avait pas généré non plus beaucoup de sympathie chez ses interlocuteurs d’Amérique latine. Quant au reste, la part de Kamala Harris dans les choix de la présidence Biden semble minime, en dehors du hasard qui a fait que son vote au Sénat, qu’elle présidait statutairement, avait été décisif pour le passage de plusieurs lois importantes dans une assemblée précisément divisée en deux.

Le terme de « administration Biden Harris », largement utilisé par les orateurs lors de la Convention Démocrate paraît donc quelque peu exagéré…

Jo Biden, comme tous les orateurs de la convention, s’est félicité du bilan économique de sa présidence, auquel ont contribué des investissements massifs réalisés par l’État, une hérésie évidemment pour les libertariens tels Robert Kennedy Jr, qui en difficulté financière après une candidature personnelle absurde, vient de se rallier logiquement à Trump. Mais le fait est là, le chômage est résorbé, l’inflation sous contrôle et la production augmente. Sur le plan économique, les États-Unis ne sont pas en déclin et le terme de grande présidence, que beaucoup ont prononcé, n’était peut-être pas seulement une flatterie accordée au Président sortant.

Les orateurs, s’ils ont peu parlé d’économie ont beaucoup honoré la classe moyenne, qui serait mise en danger par le programme républicain de soutien aux « gros »: big  Pharma, big Oil, big Tech… sous le mantra  de la liberté d’entreprendre.

C’est là le noyau des oppositions entre démocrates et républicains, et les préoccupations de l’électorat démocrate ressortissent aussi à la catégorie de liberté : liberté de se soigner, d’habiter sous un toit, de ne pas être victime d’une fusillade, de manger à sa faim, d’éduquer ses enfants, de choisir ses amours et sa vie reproductive et de ne pas être discriminé par son origine.

La convention a été un immense succès pour le parti démocrate, donné perdant à la suite des moments confusionnels de Jo Biden dans son débat avec Donald Trump. Il parvient à rallier sans fausse note tous les élus et tous les partisans autour d’une candidate jusque-là considérée comme une vice-présidente plutôt falote et qui réapparaît soudain comme une femme forte (« tough ») devant laquelle Poutine et les autres n’auront qu’à bien se tenir. Et Biden, qui a pourtant de quoi être amer, met lui-même les rieurs de son côté en constatant qu’il avait commencé sa carrière politique en étant un « trop » jeune sénateur (29 ans) et qu’il l’achèvera en étant un « trop » vieux président. Et du coup, Trump perd son meilleur ennemi...

Au cours de la convention, les allusions de politique étrangère n’étaient pas fréquentes : Chine, Russie (hormis le dictateur Poutine), Iran, Europe, islamisme ou Otan étaient absentes si ce n’est, à petite dose, chez Jo Biden et Kamala Harris. Il y eut néanmoins deux exceptions. 

La première, omniprésente, était la référence patriotique. Dans ce parti démocrate dont on pensait qu’il était grignoté par le wokisme, la déconstruction des grands discours et la repentance tous azimuts, la  fierté de vivre dans un pays « particulier », le « plus grand pays du monde », était constamment rappelée et passionnément applaudie. Il ne s’agissait pas, bien entendu, de l’Amérique du Mayflower ou des Wasps, mais de ce peuple bigarré, dont Kamala Harris, de père jamaïquain et de mère indienne, mariée à un Juif de Brooklyn, est particulièrement représentative.

La seconde, c’est Gaza. Peu d’orateurs ont cité Israël, beaucoup ont parlé de Gaza et pratiquement dans les mêmes termes, de Jo Biden à Bernie Sanders : à savoir, il faut libérer les otages et parvenir à un cessez-le-feu. Les plus optimistes – ou les plus ignorants – ont prétendu que la paix s’ensuivrait, et après des paroles aussi profondes, le tonnerre d’applaudissements était garanti.
Pour la plupart des orateurs, c’est sous son aspect humanitaire (otages et victimes civiles) que la situation au Moyen-Orient a été évoquée et non pas sous son aspect politique, avec le combat existentiel d’Israël, la menace iranienne et le danger islamiste. Cette présentation permettait un consensus en neutralisant les oppositions. Elle correspond de plus à ces « bons » sentiments populaires optimistes, confortables et naïfs : si nous voulons vraiment la paix, les « autres » finiront par la vouloir également… Comme si l’histoire du XXème siècle n’avait rien appris…

Beaucoup d’amis d’Israël vont, pour leur vote, mettre dans la balance ce qu’ils croiront être l’orientation du candidat ou de la candidate vis-à-vis de ce pays. Trump a dit qu’un Juif qui voterait démocrate devrait se faire examiner le cerveau, à quoi certains ont répondu que c’était au Juif qui voterait pour Trump de faire cet examen. Je reprendrai ce débat psychiatrique lié à Trump, passionnant et accablant, une autre fois, mais la convention de Chicago donne l’occasion de réfléchir sur le positionnement actuel du parti démocrate

Une première constatation : Jo Biden est un véritable ami d’Israël. On sait que ses relations avec Benyamin Netanyahu, qu’il connaît depuis 40 ans, ne sont pas toujours au beau fixe. C’est une litote, et les exemples ne manquent d’ailleurs pas d’israéliens auxquels on pourrait appliquer la même remarque dans leurs relations avec leur Premier Ministre. La stratégie militaire israélienne a pu être impactée par les réticences américaines. Il n’en reste pas moins que les États-Unis ont fourni à Israël une aide en matière d’armement, un déploiement préventif de forces, un soutien diplomatique et une coordination sécuritaire exceptionnelle.

Deuxième constatation : Un tel soutien a provoqué des réactions hostiles chez certains électeurs démocrates dits progressistes, certains universitaires, beaucoup d’étudiants, ainsi que dans la communauté arabo-musulmane et plus généralement chez ceux qui font des Palestiniens le parangon des opprimés de ce monde. Cette hostilité a conduit à l’intérieur du parti démocrate à un mouvement de désapprobation de Jo Biden, avec une nouvelle catégorie d’électeurs envoyés à la Convention, les non-engagés (« non-committed ») venus sans mandat de vote pour Jo Biden. Il s’agit d’environ 700 électeurs sur 15 000, donc moins de 5 %.
La « Squad » est un petit groupe très médiatisé de représentants élus (et surtout de représentantes) démocrates progressistes et propalestiniens : OAC est la plus célèbre mais elle n’est pas la plus agressive envers Israël (elle est critiquée pour cela), bien qu’elle utilise sans honte et en toute ignorance le terme de génocide. Deux des membres les plus connus de la Squad viennent de perdre leur campagne pour la nomination du parti aux prochaines élections législatives. Le groupe n’est pas en croissance.
La palme de la haine anti-israélienne va à deux députées de la Squad bien installées dans leur circonscription. Ilhan Omar, née réfugiée somalienne est élue à Saint Paul (Minnesota) où s’est installée une importante communauté somalienne. Rashida Tlaib, fille de réfugiés palestiniens est l’élue de Daerborn Michigan. Daerborn, dans la banlieue de Detroit, est la ville de Henry Ford dont le « Daerborn Independant » avait été entre 1919 et 1927 le pire brûlot antisémite de l’histoire américaine. Aujourd’hui c’est la capitale de l’Islam américain. Rashida Tlaib a été une des organisatrices de la grande marche pour la Palestine où 2000 manifestants sur les 30 000 espérés ont défilé à Chicago au début de la Convention. Bien que Jo Biden ait dit que les manifestants avaient eux aussi des arguments à faire valoir (le nombre de victimes gazaouies), cette manifestation fut un échec et n’a pas influencé le déroulement de la Convention.

Troisième constatation : Au cours de cette Convention, les parents d’un otage israélo-américain, Hersh Goldberg Polin, ont prononcé un discours qui a amené les larmes aux yeux de nombreux délégués. Il ne faut pas se tromper : l’assistance aurait pleuré de la même façon en écoutant les plaintes d’un gazaoui, lequel aurait certainement omis de signaler la responsabilité du Hamas dans le calvaire de la population. Mais il faut constater que les organisateurs de la Convention démocrate ont refusé de faire venir des Palestiniens au micro. Les cadres démocrates restent dans leur très grande majorité des soutiens d’Israël, comme le confirment les votes bipartisans au Congrès et les sondages dans la population, contrairement à ce que pourraient faire penser des médias américains le plus souvent critiques d’Israël. Cet air nous est connu…

Quatrième constatation : Qu’en est-il, enfin et surtout, de la candidate démocrate et de son colistier ? Tim Walz gouverneur d’un État dont la capitale a une forte présence musulmane a tissé des liens avec des responsables musulmans locaux. Il a pris la parole lors de manifestations contre l’islamophobie. Mais il entretient également des liens étroits avec les représentants locaux de la communauté juive. De 2007 à 2019 alors qu’il était membre du Congrès américain il a constamment voté en faveur d’Israël.
Cinquième constatation : Quant à Kamala Harris, elle a déclaré lors de son discours d’acceptation à Chicago : « Je défendrai toujours le droit d'Israël à se défendre, car le peuple d'Israël ne doit jamais plus faire face à l'horreur qu'une organisation terroriste appelée Hamas a causée le 7 octobre ». Ces paroles sont en phase avec toutes ses déclarations antérieures, notamment son discours de 2017 à l’AIPAC où elle affirmait qu’en aucun cas Israël ne devait être une question partisane et qu’il avait le droit à l’autodéfense. Elle s’était opposée au BDS ainsi qu’à la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU de 2016 qui condamnait la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie (résolution qui avait été votée par le Conseil, car sous la présidence de Obama, la délégation américaine s’était simplement abstenue, sans mettre de veto).

On peut bien entendu ajouter à cela l’ambiance familiale avec un mari dont tout indique que non seulement il est actif en matière de lutte contre l’antisémitisme, mais qu’il exprime envers Israël les sentiments positifs qui sont ceux de la grande majorité des Juifs de ce monde.

Tout cela ne préjuge pas de l’avenir. Les complexités géopolitiques, les modes intellectuelles, et surtout les réactions émotionnelles sont utilisées aujourd’hui avec habileté par les ennemis d’Israël et même un chef d’État surinformé peut y être sensible. Par ailleurs, la conception de l’avenir, des compromis à effectuer et des risques à prendre pour avancer vers une coexistence pacifique n’a jamais fait consensus en Israël même. On peut parier que Ben Gvir ne serait pas l’interlocuteur rêvé de Kamala Harris…

Enfin, la menace iranienne existentielle pour Israël est plus lointaine pour Washington et il n’y manque pas de diplomates qui n’attendent qu’un signal pour reprendre du service et chercher à apaiser les mollahs. Il n’en reste pas moins que dans son discours de Chicago, Kamala Harris a dit que pour défendre les intérêts des USA, elle n’hésiterait pas à décider de toute action nécessaire, quelle qu’elle soit, contre l’Iran et les terroristes soutenus par l’Iran.

Certains présentent de façon très sombre les conséquences d’une présidence de Kamala Harris en ce qui concerne l’avenir d’Israël et considèrent que ceux qui la soutiennent sont des naïfs inguérissables. Pour ceux qui pensent que les relations entre Israël et les Etats Unis sont trop importantes pour dépendre des foucades d’un président narcissique et lunatique, sa candidature donne tout de même aujourd’hui matière à soulagement.

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif 


 

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