Ancien Président du CRIF
Il a 41 ans, il est Russe orthodoxe, mais son nom, qui signifie « prince noir », témoigne d’une ascendance tartare. Son père était déjà un défenseur des droits de l’homme et sa mère, dit-on, est juive. Emprisonné depuis un an, il vient d’être condamné à Moscou à 25 ans de régime carcéral sévère pour haute trahison, donc, à terme, vraisemblablement à la mort, chez cet homme déjà handicapé par une neuropathie périphérique, séquelle non pas d’une, mais de deux tentatives d’empoisonnement, en 2015 et en 2017, et qui a déjà perdu 20kg en prison.
Vladimir Kara-Mourza avait été arrêté en avril de l’an dernier pour désobéissance à la police et dissémination de calomnies sur l’armée russe. Puis, sans argument nouveau, on y a ajouté la rubrique de haute trahison, ce qui a donné un prétexte à l’extrême sévérité de la peine.
Son épouse, Evguenia, que j’ai rencontrée au gala d’UN Watch où Vladimir Kara-Mourza était honoré, est réfugiée aux États-Unis avec leurs trois enfants. Elle explique aujourd’hui que son mari, à qui ses amis avaient conseillé de partir, ne se sentait pas le droit moral de protester de l’extérieur en abandonnant ceux qui luttaient contre la dictature à l’intérieur de la Russie. Evguenia reprend les mises en garde de son époux contre les tentations d’apaisement : « Satisfaire les dictateurs ne mène jamais à rien. Poutine attaquera de nouveau. Et si ce n’est pas l’Ukraine, la fois prochaine, ce sera la Moldavie ou un autre pays ».
Kara-Mourza est un militant de toujours de la démocratie parlementaire, longtemps journaliste dans le monde anglophone, proche du chef de l’opposition politique, Boris Nemtsov, qui fut assassiné près du Kremlin en février 2015. Il a contribué à l’adoption par le Congrès américain d’une loi, dite « loi Magnistky » en l’honneur de ce juriste russe qui, pour avoir dévoilé un réseau de fraude fiscale impliquant les plus hauts niveaux de la société fut arrêté, condamné, torturé et laissé à agoniser en prison. La fermeté de Vladimir Kara-Mourza avait tellement impressionné à l’époque le Sénateur John Mc Cain que ce dernier, sachant sa mort prochaine, avait demandé qu’il soit l’un des porteurs de son cercueil.
À son procès, il a non seulement refusé de plaider coupable, mais, depuis la cage où il était enfermé, il prononça à l’issue du verdict quelques phrases admirables qui ont pu être retranscrites et diffusées. Son seul regret, disait-il entre autres, était de ne pas être parvenu à convaincre un nombre suffisant de ses concitoyens du danger que représentait Poutine pour son pays et pour le monde.
La détermination de Kara-Mourza évoque celle, plus spectaculaire médiatiquement, de Alexeï Navalny, lui aussi emprisonné, mais pour une durée théoriquement nettement moins longue. Alors qu’on a pu extraire des éléments nationalistes dans le discours de Navalny et l’attaquer sur ce thème, cela n’a jamais été le cas avec Kara-Mourza.
Celui-ci fait penser à un autre prisonnier indompté, Natan Sharansky, incarcéré entre 1979 et 1986. La comparaison n’est pas fortuite. Vladimir Kara-Mourza, dans sa jeunesse, est allé en Israël interviewer Sharansky. De plus, son avocat a dit après le procès que son livre de chevet en prison était l’ouvrage de Sharansky sur son expérience pénitentiaire, Fear no evil, « Je n’aurai pas peur » (d’après les paroles d’un Psaume). Un des messages forts de ce livre est « rien de ce que les autres me font ne peut m’humilier, mais je pourrais éventuellement m’humilier moi-même si je n’agissais pas de façon digne ». C’est une règle de vie exigeante, soigneusement respectée.
Interrogé à l’issue du procès de Vladimir Kara-Mourza, Natan Sharansky a souligné que dans les années 80, le KGB d’Andropov et le régime soviétique lui-même n’avaient plus tout à fait le caractère impitoyable qu’ils avaient revêtu à l’époque de Staline. Malheureusement, ajoute-t-il, « Je crois que peu à peu on se dirige en Russie vers la terreur des années 30 ».
Ce sont là des paroles qu’il convient de méditer. Pour ceux qui renvoient dos à dos Russie et Ukraine, et pour ceux qui osent dire, comme je l’ai entendu, que au fond, et contrairement aux Occidentaux, ni les Russes, ni les Chinois, ni les Iraniens n’ont jamais colonisé d’autres peuples, il faut qu’ils assument que les modèles nationaux de ces pays, Staline, Mao et Khomeini figurent parmi les grands assassins de leur siècle.
Honneur par contraste à l’homme inconnu qui tente d’arrêter un char sur la place Tien an Men, honneur à la manifestante anonyme iranienne, honneur à Vladimir Kara-Mourza, héros d’une liberté dont, dans nos pays privilégiés, nous risquons d’oublier le goût.
Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif
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