Jean Pierre Allali

Membre du Bureau Exécutif du CRIF, Jean-Pierre Allali préside la Commission des Relations avec les Syndicats, les ONG et le Monde Associatif.

Lectures de Jean-Pierre Allali - Le retournement, par Emmanuel Carcassonne

14 Juin 2023 | 143 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

Le 23 juin dernier, l’Union des étudiants juifs de France a célébré son 70e anniversaire à l’Hôtel de Ville de Paris. Magie des réseaux sociaux, j’ai vécu à distance cette soirée avec enthousiasme et frustration. L’occasion pour moi de replonger dans mes années Uejf.

Comme chaque été, de nombreux juifs ont décidé de quitter la France pour s’installer en Israël. On parle de 8000 à 10 000 pour l’ensemble de l’année 2015. J’ai moi-même fait ce choix en 2013  et pourtant j’ai, plus que jamais, envie de parler de ceux qui restent. 

Dov Maimon rejoint les auteurs du Blog du Crif !

Ce dernier détaille ici les multiples racines de l’antisémitisme, qui a explosé en France à partir de l’année 2000 et la première « intifada ». Et qui s’est fortement aggravé tout au long de l’année dernière. Marc Knobel évoque notamment l’origine idéologique – soulignée et étudiée par le philosophe et chercheur Pierre-André Tagguief – d’un antisémitisme qui découle d’un antisionisme extrême, lui-même alimenté depuis longtemps par les tenants de l’islamisme radical. Extrême gauche et extrême droite française en passant par « Dieudonné and Co » sont aussi, historiquement et actuellement, parmi les premiers diffuseurs de la haine antisémite en France. Description et analyse en huit points.

Partout en France, des crayons, des stylos et des feutres ont été brandis, les seules armes du courage et de la liberté contre d'autres armes qui tuent, qui souillent, qui meurtrissent à tout jamais.

Pages

Le Retournement, par Manuel Carcassonne (*)

 

« Je ne sais pas précisément ce qu’est être juif, ce que ça me fait d’être juif » disait Georges Perec dans ses Récits d’Ellis Island. C’est un peu le même état d’esprit qui anime l’éditeur Manuel Carcassonne dans cet ouvrage qui se veut tout à la fois archéologie familiale, généalogie historique et fouille existentielle.

Carcassonne, c’est l’un de ces patronymes juifs qui fleurent bon le sud de la France, la Provence, le Comtat Venaissin, Carpentras, « secrète Jérusalem du Midi de la France » où, jadis on brûlait les Marranes, car la population chrétienne de la ville « restée cléricale et obstinément fidèle aux papes, ne pouvait pas souffrir de nous voir, du jour au lendemain, circuler librement hors de la Juiverie », et les Astruc, les Lunel, les Valabrègue. De nos jours, les choses ont bien changé et la population « se partage entre les militants du Rassemblement national, les immigrés placides dans les bars à chicha et les Juifs rapatriés d’Algérie qui se rendent à nouveau à la synagogue, l’une des plus anciennes d’Europe pour un culte d’où les miens ont disparu ».

Carcassonne, un patronyme dont on retrouve la trace en remontant à l’an 1320, c’est aussi le nom de la mère de celui qui fut, selon le bon mot, de Jacques Weiss, « à la fois juif et gouvernement », Isaac-Adolphe Crémieux, né à Nîmes, fils de David Crémieux et de Rachel Carcassonne. Le Ministre de la Justice épousa une Juive de Metz, Louise Amélie Silny, qui fit convertir ses enfants au christianisme, entraînant la démission de son mari du Consistoire. Ce Crémieux qui prit la défense des Chrétiens du Liban, et fit attribuer aux Juifs d’Algérie la nationalité française.

Le narrateur, Juif du pape, n’a pas choisi la facilité dans sa vie privée. Sa femme est une Libanaise, Nour. Une « Punk en Armani » qu’il a épousée sur une plage à Athènes, le jour même de Yom Kippour. Dès lors, son fils, Hadri, a reçu de l’eau, le jour de son baptême au couvent Saint Basile le Grand des Pères Choueirites. « Il est grec catholique melkite par sa mère, juif d’esprit pas son père, minorité schismatique persécutée d’un côté, minorité persécutée de l’autre ». Dès lors, c’est l’inquiétude : « Un jour, il faudra nous en parler, lui et moi, nous défier entre Jérusalem et Antioche ».

Partagé entre des identités et des civilisations multiples, le narrateur affirme : « Je prétends pourtant à mon statut spécial de « territoire non occupé » sauf que dans ce labyrinthe où j’habite, je fouille comme dans ces épiceries-drogueries-pharmacies du souk : on trouve de tout sous toutes les étiquettes ».

Les Juifs du monde et ceux du Liban, les Arabes, les Chrétiens, les Palestiniens, Israël, l’amour, la famille, un très beau roman dont on sort… tout retourné.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Grasset, janvier 2022, 320 pages, 20,90 €

 

- Les opinions exprimées dans les billets de blog n'engagent que leurs auteurs -