L'entretien du Crif - Caroline Fourest, face aux dictatures, « les démocraties doivent se montrer encore plus solidaires »

Le Crif : Malgré les longues et très courageuses manifestations des femmes iraniennes (et de très nombreux hommes aussi en Iran), le régime des Mollahs ne semble pas fléchir mais plutôt durcir sa répression. Ce combat pour les libertés peut-il néanmoins être gagné, et quelles devraient être les mesures nouvelles que devraient prendre la France et l’Europe ? 

Caroline Fourest : Dans un monde où les dictatures mènent le jeu, les démocraties doivent se montrer encore plus solidaires de tout mouvement démocratique prêt à changer la donne. C’est le cas en Iran. Il existe une majorité opprimée qui ne supporte plus ce régime et qui le crie.

Le minimum, c’est de recevoir en France des visages qui puissent lui donner de la voix et incarner cette cause comme l’a fait le Président de la République avec Masih Alinejad et trois autres dissidentes, le minimum c’est aussi de ne plus serrer la main du régime qui tue, viole et laisse des écoles de filles se faire gazer, et c’est aller au bout des sanctions comme pour la Russie.

Le Parlement a voté la résolution qui met les Gardiens de la Révolution, l’organe de répression, sur la liste des organisations terroristes. Il faut maintenant que les États bloquent systématiquement leurs avoirs et leurs déplacements, les leurs et ceux de leurs familles. Il faut agir comme ce qui a été fait à l’encontre des oligarques soutenant Poutine. 

« Il faut que la loi de l’agresseur ne paye pas »

Le Crif : Plus d’un an après l’agression russe contre l’Ukraine, comment analysez-vous les capacités défensives à venir non seulement de l’Ukraine, mais des démocraties européennes ? Comment aider par ailleurs celles et ceux qui subissent la dureté de la dictature russe ? 

Caroline Fourest : Déjà en ne les confondant pas avec leurs bourreaux et en ne boycottant pas tout artiste ou sportif dissident russe. En revanche, il faut boycotter toute institution artistique ayant des liens avec le régime russe et le drapeau russe ne doit pas pouvoir flotter aux prochains Jeux Olympiques.

Ce dont ont besoin les trop rares dissidents Russes, c’est surtout que l’Ukraine gagne cette guerre, que la loi du plus violent et de l’agresseur ne paye pas, que les ultras nationalistes et les nationalistes ultras de Poutine se dévorent entre eux. L’Union européenne n’a pas à rougir de son action pour l’Ukraine. C’est sans doute l’une des plus belles pages de son histoire, si elle continue à soutenir l’effort de guerre, jusqu’à la victoire.
 

« Prendre un peu de hauteur, réaliser que nous avons aussi de la chance » en France 

Le Crif : En France, l’actualité des mouvements sociaux a été telle depuis des mois qu’elle a eu tendance à faire passer au second plan l’importance des confrontations internationales et des enjeux géopolitiques actuels. La France n’a-t-elle pas tendance, dans le débat public, à être victime du syndrome du village gaulois ? 

Caroline Fourest : Pas toute la France mais certains s’y complaisent en effet. Même si nous sommes tous bombardés par mille actualités, il y a plusieurs façons de trier. S’enfermer sur ce qui n’arrive qu’à soi et tourner en boucle, ou mettre nos problèmes en perspective. La gravité de la guerre ou de ce qui se passe aux portes de nos frontières ne doit pas nous empêcher d’adresser nos propres défis. Mais on pourrait en profiter pour prendre un peu de hauteur, réaliser que nous avons aussi de la chance et apprendre à ne pas dramatiser certains problèmes pour mieux regarder ceux qui existent vraiment.
 

Le Crif : En ce qui concerne le système institutionnel et démocratique français, quel est votre diagnostic ? Dans quels domaines devrait-il y avoir, selon vous, une réforme ou une évolution (des institutions et des pratiques politiques) ? 

Caroline Fourest : Je ne pense pas que notre tendance au psychodrame vienne de nos institutions mais de la façon dont on s’en sert et de la perte d’une certaine culture civique. L’article 49-3 devrait être manié avec bien plus d’hésitation dans un pays aussi fracturé, qui sort d’années de restrictions, liées aux attentats ou à la pandémie. De ce point de vue, le chef de l’État a joué avec le feu de la colère.

« Il faut travailler les circuits de refroidissements, de stabilité »

Mais la colère couve depuis bien longtemps. Au moins depuis le « Mariage pour tous », chaque désaccord majeur, sur une loi ou une réforme, se transforme en climat de pseudo-guerre civile. Que la désobéissance et la violence viennent de l’extrême droite ou de la gauche radicale.

La façon de nous informer, de nous socialiser, le « burn out informationnel » que nous vivons à force d’être connectés à une information en continu qui renforce nos biais de confirmation via les réseaux sociaux, n’y est pas pour rien. Rien ne me paraît plus dangereux que d’accorder nos institutions à cette tendance.

Il faut au contraire travailler tous les circuits de refroidissement, de stabilité, revaloriser nos institutions mais aussi les corps intermédiaires. Ce n’est peut-être pas forcément « tendance » de le dire, mais c’est ce dont nous avons besoin, il me semble, pour retrouver de l’équilibre. Et ainsi mieux faire vivre notre démocratie.
 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

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