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Publié le 20 Janvier 2025

L'entretien du Crif – Michaël Delafosse (PS): « LFI s’est complètement éloignée des combats historiques de la gauche »

Le Maire socialiste de Montpellier, Prix Laïcité 2024, Michaël Delafosse évoque pour nous la récente décision du Parti socialiste (PS) de ne pas s’aligner sur LFI et sa motion de censure à l’Assemblée nationale. Cette personnalité, qui a été ciblée par LFI pour sa défense de la Laïcité à l’école, souligne ici la série de « dérives » qui, à ses yeux, disqualifient Jean-Luc Mélenchon. Précisions à l’appui, il déclare qu’« une bonne partie des dirigeants LFI se sont complètement éloignés de combats historiques de la gauche, en quittant l’universalisme républicain et en choisissant le communautarisme avec le danger de fracturer notre société ». Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, il ajoute ne pas croire du tout à l’impact électoral du chantage opéré par LFI sur les candidats PS aux prochaines municipales. Il évoque les sujets qui préoccupent les citoyens dans leur vie quotidienne, notamment leur volonté de mettre en pratique les principes républicains et les mesures appropriées de sécurité publique. Il nous parle aussi de « l’influenceur » algérien qui, dans sa ville, a proféré de graves menaces. Michaël Delafosse avait aussitôt procédé à son signalement à la Justice, ce « prêcheur de haine » ayant ensuite été expulsé.

Le Crif : Le Parti socialiste (PS) à l’Assemblée nationale a finalement décidé de ne pas voter la motion de censure contre le Gouvernement Bayrou ; est-ce une position conjoncturelle ou une évolution stratégique visant à autonomiser durablement le PS de La France insoumise (LFI) ?

Michaël Delafosse : La priorité est que la France soit gouvernée car la France a besoin de stabilité. Les socialistes sont dans l’opposition mais cette opposition doit être utile et non stérile. Être élu, c’est servir le pays. Depuis quelques semaines, un travail de discussions exigeantes a été mené avec le Premier ministre, travail qui a permis de prendre en compte des points importants pour les socialistes. Notamment sur l’Éducation, ce qui a permis d’obtenir le renoncement à la suppression de postes de professeurs, ce qui est important : on a un grand besoin d’Éducation, il ne fallait pas envoyer de signaux défavorables en ce domaine.

Nous avons aussi obtenu le renoncement au déremboursement de médicaments, qui avait été annoncé. Sur la réforme des retraites, nous sommes heureux de constater que la démocratie sociale va pouvoir largement, enfin, fonctionner. Et que la grande conférence sociale pourra être suivi d’un débat parlementaire, qui pourra se saisir de ce qui en découlera. En ces circonstances de difficultés, il fallait agir en responsables pour le pays et en fidélité avec le Front Républicain, qui s’était largement manifesté dans les urnes aux dernières législatives. Des concessions étant faites par le Gouvernement, il n’était donc pas question de se prêter au jeu du bruit et de la fureur, à la recherche du chaos que certains veulent porter, ce qui est mortifère pour les Français.

 

 

Les dirigeants LFI « brutalisent le débat démocratique, nous ne partageons pas cette manière irresponsable de faire de la politique »

 

 

Le Crif : Est-ce l’acte 1 de l’autonomisation du PS par rapport à LFI et quel doit être l’acte 2 : le prochain congrès du PS cette année ?

Michaël Delafosse : Le congrès sera un élément mais la prochaine étape sera celle des élections municipales l’année prochaine. LFI déclare la guerre, de manière notoire et péremptoire, aux forces de gauche qui gouvernent des municipalités et qui sont en phase avec la vie des gens. Pour ma part, je suivrai le chemin d’un rassemblement de la gauche mais ceci en toute liberté et en pleine fidélité des valeurs de la gauche. La France insoumise, en tout cas une bonne partie de ses dirigeants, se sont complètement éloignés des combats historiques de la gauche, en quittant l’universalisme républicain et en choisissant le communautarisme avec le danger de fracturer notre société et d’enfermer nos concitoyens dans une assignation à origines ou religions. Ils tournent aussi le dos au progrès en prenant des positions hostiles à la science et à la vaccination. Ils brutalisent le débat démocratique et nous ne partageons pas non plus cette manière irresponsable de faire de la politique, qui consiste à convoquer toutes les outrances. Notre démocratie a besoin de convictions mais pas de mots violents, qui instrumentalisent en permanence et dangereusement toutes les colères. La période de crise que nous traversons en France, en respect de toutes les opinions et des oppositions, appelle au contraire l’esprit de responsabilité.

 

Le Crif : Vous ne croyez pas, sur le terrain électoral, à l’impact des menaces proférées par Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot, qui ont parlé de sanctionner les socialistes aux municipales ?

Michaël Delafosse : Non, je n’y crois pas, je crois en la force des idées et des projets pour nos concitoyens et à leur clairvoyance. Les habitants de nos villes ont besoin d’élus sérieux, capables de répondre aux problèmes concrets des gens, aux divers défis actuels : de la transition écologique, de l’accès à l’emploi, aux transports publics, au logement. Ils ont besoin de clarté sur les questions de sécurité, moi je ne veux pas désarmer la police, ni supprimer la vidéoprotection. Sur cet enjeu devenu aigu de la sécurité, les Maires ont naturellement des choses à dire et surtout à faire.

 

 

« Que certains responsables LFI aient été incapables de prononcer le mot « terroristes » pour qualifier ceux qui ont massacré en masse le 7-Octobre en dit long sur leur tragique dérive »

 

 

Le Crif : Vous avez été caricaturé et ciblé avec virulence par LFI dans votre ville, pour avoir tenu fermement des positions sur la Laïcité, en refusant par exemple le port de l’Abaya à l’école, du Burkini dans les piscines, en dénonçant clairement aussi le Hamas et sa propagande. Des menaces ont même été portées contre vous ; êtes-vous sous protection policière ?

Michaël Delafosse : Non, je ne le suis pas et je n’ai pas voulu l’être. Je veux rester proche des gens et les moyens de la police doivent être affectés à la protection de la population.

 

Le Crif : Vous avez pourtant été menacé…

Michaël Delafosse : Oui, je l’ai été et je tiens à remercier tous ceux, nombreux, qui ont manifesté un soutien. J’observe et regrette qu’il n’y ait pas eu de responsables de LFI dans ces nombreux soutiens. En tant que professeur aussi, je ne cesserai de rappeler que l’école en France est laïque et que la Laïcité est une énorme chance pour tous les élèves, y compris bien sûr pour ceux qui sont de culture musulmane. Il faut leur faire comprendre que les signes ostensibles religieux n’ont pour autant pas leur place dans l’espace et le temps scolaire et je suis stupéfait d’entendre Monsieur Mélenchon qui était, il y a trente ans, un militant de la Laïcité, défendre l’Abaya !

Je suis stupéfait que certains, dans son sillage aujourd’hui, ne soient pas capables d’être fidèles à Albert Camus et de dire que mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. Le Hamas est un mouvement terroriste, qui a assassiné des gens qui dansaient dans un festival de musique, qui ont été capturé, violé, pris en otages des bébés, des enfants, des personnes âgées, détenus dans des tunnels où, ceux et celles qui ont survécu, subissent depuis seize mois un enfer. Que certains responsables LFI aient été incapables de prononcer simplement le mot de « terroristes » pour qualifier ceux qui ont massacré en masse le 7-Octobre en dit malheureusement long sur leur tragique aveuglement et dérive.

Regarder et qualifier cette réalité terroriste n’empêche évidemment pas, au contraire, de déplorer avec force et justesse le sort des populations civiles palestiniennes qui ont subi une guerre, qui n’a été déclenchée que par la volonté et l’attaque du Hamas le 7-Octobre.

 

 

« On ne peut pas laisser se propager sur la place publique des discours menaçants et prospérer des prêcheurs de haine »

 

 

Le Crif : Dans votre ville de Montpellier, un « influenceur » algérien a lancé des menaces de mort visant les soutiens de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné en Algérie à l’âge de 80 ans pour soi-disant atteinte à « la Sûreté de l’État » algérien pour ses écrits et opinions. Vous avez rapidement fait le signalement des propos haineux de cet influenceur, pourquoi c’était important à vos yeux ?

Michaël Delafosse : La première chose à rappeler est qu’une place de prison est faite pour un criminel, jamais pour un artiste ou un écrivain, en France comme partout dans le monde. Cette position, élémentaire, devrait être celle de tous les élus de la République française.

Pour ma part, en tant que Maire, je ne cède sur rien face à tous les discours de haine. Cet influenceur algérien commettait de manière caractérisée un délit en incitant publiquement à la haine. J’ai donc procédé, en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, à un signalement destiné à la Justice et je tiens à exprimer ma satisfaction de voir les autorités françaises avoir enfin procédé à une expulsion de cet individu, qui bafoue les règles élémentaires de l’hospitalité et du respect sur le territoire français. [L’Algérie a renvoyé « l’influenceur » de Montpellier qui avait été expulsé par la France. Il est en centre de rétention dans la région parisienne et doit comparaître devant le Tribunal judiciaire de Montpellier le 24 février pour « provocation publique à commettre un crime ou un délit » ; ndlr]. Il y a plein de gens en France, venus d’ailleurs, qui s’intègrent bien et participent normalement à la vie sociale et professionnelle dans nos villes en respectent les lois et les valeurs de notre pays, il faut le dire aussi. Mais on ne peut pas laisser se propager sur la place publique des discours outrageants, menaçants, tenu de manière décomplexée, on ne peut pas laisser prospérer des prêcheurs de haine. C’est pourquoi j’en appelle à la fermeté.

Il se trouve que le même week-end, ce n’est pas fréquent dans la vie d’un Maire, j’ai procédé à un deuxième signalement « article 40 » contre un habitant qui propageait sur les réseaux sociaux des propos négationnistes et antisémites. Des propos horribles de négation des chambres à gaz, j’avais l’impression d’entendre Faurisson ou Dieudonné ! Je sais que l’autorité judiciaire travaille sur ce cas aussi. Dans la fonction de Maire, il ne faut rien laisser passer.

 

Le Crif : Ce propagateur d’antisémitisme est de quelle mouvance, de type islamiste ou d’extrême droite (qui se rejoignent d’ailleurs dangereusement sur ce sujet) ?

Michaël Delafosse : Il s’agit probablement d’un cas de la mouvance d’extrême droite. Il ne faut jamais oublier que l’antisémitisme a bien souvent prospéré à l’extrême droite, c’est une réalité, persistante, qu’il faut combattre de manière résolue. Souvenons-nous que récemment, dans les manifestations « antivax », on avait vu une candidate du Rassemblement National arborer des affiches à connotation clairement et outrageusement antisémite, il y avait des expressions qui se répandaient aussi dans une forme de négationnisme.

 

 

« Le regain de l’antisémitisme doit nous mobiliser tous et toutes, ce n’est pas un phénomène « résiduel » »

 

 

Il est vrai les signaux de ce qu’on a appelé le « nouvel antisémitisme » sont venus d’autres profils d’habitants au début des années 2000, notamment avec la première flambée d’actes antisémites liés aux événements du Proche-Orient et la première « intifada ». Il y a eu ensuite notamment l’attentat en 2012 à l’école juive de Toulouse perpétré par Mohamed Merah, les attentats de janvier 2015 de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. La flambée des actes et menaces antisémites a terriblement repris après le 7-Octobre 2023, dès le jour de l’attaque terroriste du Hamas. Il faut donc être doublement, triplement s’il le faut, vigilant et ne rien laisser passer. C’est ce que je me suis employé de faire dans la période toute récente à Montpellier.

Le regain de l’antisémitisme doit nous mobiliser tous et toutes, ce n’est pas un phénomène « résiduel ». Et même s’il n’y avait qu’un seul acte d’antisémitisme ou de racisme, ce serait une indignité pour la France. Aujourd’hui et à l’avenir, face à ce regain, il faut être clair dans les propos, résolu dans l’action, mobilisé dans l’éducation et intransigeant dans les sanctions. Je souligne que la gauche a toujours fait de la lutte contre l’antisémitisme son combat historique. Depuis la Révolution française et l’acte d’émancipation des Juifs de France comme dans la bataille de reconnaissance de l’innocence du capitaine Dreyfus, c’est de la gauche que ce sont souvent élevées les grandes voix républicaines de lutte contre l’antisémitisme. Ceux qui font acte d’infidélité à cette histoire ne peuvent pas se réclamer de la gauche.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -