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Crédit photos : ©Alain Azria
Le Président du Crif a introduit cette rencontre en remerciant Alain Finkielkraut, philosophe et membre de l’Académie française, « compagnon de route de l’Institution, qui accompagne l’engagement des Juifs de France dans la République, qui nous interpelle et nous fait réfléchir très régulièrement sur des sujets qui sont au cœur de notre engagement ».
Yonathan Arfi a rappelé que dans L’Avenir d’une négation : réflexion sur la question du génocide (Seuil, 1982), Alain Finkielkraut interroge la manière dont la mémoire de la Shoah travaille la société française et « il a cette formule, d’une actualité brûlante, autour de la manière dont la mémoire de la Shoah se retourne contre les Juifs : "De quoi les Juifs sont-ils coupables ? D’Auschwitz". Cette formule montre comment progressivement nous sommes passés d’une mémoire de la Shoah qui servait de rempart contre l’antisémitisme, à une mémoire de la Shoah qui est aujourd’hui retournée contre les Juifs.
Vincent Trémolet de Villers a ouvert cette rencontre en rappelant combien Alain Finkielkraut incarnait le « courage de la pensée » avant de le questionner sur les 80 ans de la « libération » d’Auschwitz.
Alain Finkielkraut a introduit son propos en rappelant que « le devoir de mémoire tient à l’ampleur sans précédent du crime commis : vouloir faire disparaître un peuple de la terre et à la crainte grandissante de l’oubli une fois disparu les derniers survivants ». « Le devoir de mémoire est un commandement auquel on ne peut pas désobéir. Devoir de mémoire, c’est-à-dire devoir de connaissance. »
Le philosophe s’est interrogé sur le monde dans lequel nous vivons. « Certainement pas un monde oublieux. » Dans ce monde, « la référence à ce que l’on appelle la Shoah est omniprésente mais on entend de plus en plus dire que la promesse du « plus jamais ça » n’a pas été tenue et que la fidélité à la mémoire de l’antisémitisme hitlérien nous ordonne de mettre nos pendules à l’heure ».
« La mémoire qui a vaincu l’oubli ne protège plus les Juifs de l’antisémitisme. » « Avec Israël, la volonté de ne jamais oublier est même retournée contre les Juifs. »
Le philosophe a ensuite parlé avec beaucoup d’émotions de sa famille : « Le 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz n’y changera rien. Comme vous, je continuerai à souffrir de cette vigilance qui confond tout mais je pense aussi tous les jours, et particulièrement ces jours-ci, à mon père qui a été déporté de France à Auschwitz. Qui a survécu, qui a retrouvé son frère réfugié pendant la guerre en zone libre à l’hôtel Lutetia. Il lui a aussitôt demandé des nouvelles de leurs parents qui ont été dénoncés par un passeur et déportés à Auschwitz ».
Vincent Trémolet de Villers a ensuite questionné Alain Finkielkraut sur l’antisémitisme que nous connaissons aujourd’hui. « L’histoire du 20e siècle peut-elle nous éclairer sur ce que nous vivons aujourd’hui en Europe, ou est-ce qu’au contraire cette analogie peut-elle être aveuglante ? »
Alain Finkielkraut a répondu avec force que « l’antisémitisme d’aujourd’hui est un antisémitisme d’importation ». « Nous n’assistons pas au retour des vieux démons » ; les nouvelles figures antisémites sont les portes paroles d’une nouvelle France sur laquelle la gauche radicale compte pour un jour accéder au pouvoir.
« Contrairement à ce que l’on dit souvent, nous n’assistons pas en France à une importation du conflit israélo palestinien mais à une importation du 7-Octobre. Dans les jours qui ont succédé au pogrom, de gigantesques manifestations propalestiniennes ont eu lieu à Madrid, à Londres, à Sydney, en Amérique latine. À Courbevoie en France, une fillette a été violée par plusieurs garçons » parce que juive et donc prétendue soutien du génocide à Gaza.
À propos de la guerre à Gaza, le philosophe rappelle que « ce n’est pas l’oubli qui nous menace, c’est la disparition de la réalité sous le symbole. À force d’invoquer Auschwitz, on ne sait plus ce qui s’est passé à Auschwitz, à force d’en appeler à la compassion, on ne voit pas la différence entre une guerre meurtrière et l’extermination méthodique d’un peuple ».
Alain Finkielkraut a conclu cette conférence en rappelant combien les notions de « judaïsme de la promesse, judaïsme de la justice » étaient essentielles.
Le Président du Crif a remercié Alain Finkielkraut qui a rappelé combien « penser, c’était penser contre soi-même » et qu’il était essentiel de ne jamais oublier ce précepte. Il a ensuite interrogé le philosophe sur Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, emprisonné en Algérie depuis novembre 2024.
Alain Finkielkraut a rappelé combien « l’emprisonnement de Boualem Sansal a suscité l’indignation en France ». « C’est un dissident mis en prison pour ses opinions, pour ses livres et très rares sont ceux qui sont dupes. » Il a rappelé qu’à la France insoumise (LFI) certains ont voté contre ou se sont abstenus lors du vote au Parlement européen de la délibération réclamant la libération immédiate de l’écrivain.
Questionné par le Président du Crif sur l’École, le philosophe a rappelé que le niveau s’effondrait et que les élèves privilégiés pouvaient prendre des leçons particulières ou aller dans des établissements privés et ainsi « pour corriger les égalités, on aggrave les inégalités ». « L’École républicaine revivra lorsqu’on aura le courage d’affirmer que l’école n’est pas là pour corriger ou pour réduire les inégalités mais pour réduire l’ignorance. Égalité des chances bien sûr dans la mesure du possible, l’égalité des résultats est une utopie dévastatrice. »
Vous pouvez revivre cette conférence en images en cliquant ici.