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Préface ci-dessous rédigé par le Père Antoine Guggenheim, Prêtre et Directeur du Pôle de recherche du Collège des Bernardins et Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Études du Crif. La figure de l’«intellectuel», telle qu’elle est née en France de l’Affaire Dreyfus a d’abord les traits d’une réconciliation de la responsabilité politique et de la conviction éthique. Émile Zola prend le risque d’une confrontation judiciaire avec l’Armée pour réclamer l’annulation d’un procès mensonger, marqué par l’antisémitisme.
Comme l’opinion et les autorités catholiques se solidarisent dans un premier temps avec les accusateurs de Dreyfus, le terme d’« intellectuel » se colore d’une teinte agnostique ou antichrétienne. La figure de l’intellectuel engagé se distingue de celle du théologien enfermé. Ce sera l’honneur de Charles Péguy de convertir la première en ouvrant la seconde à la modernité. La philosophie politique moderne, influencée par Machiavel, travaille à dissocier l’éthique de conviction de l’éthique de responsabilité. On pense souvent que la neutralité éthique de l’État donne plus d’efficacité au Prince et à son gouvernement, et plus de liberté aux citoyens, dont la conscience est libre de déterminer les valeurs qui les guident dans leur vie privée. Le prix à payer est la possibilité du cynisme politique, qui peut aller jusqu’à renier le fondement dernier de la civilisation européenne, le respect de la dignité des personnes. Cette dignité pèse peu face à la raison d’État, que celui-ci soit monarchique, républicain ou totalitaire, comme le capitaine Alfred Dreyfus en fit l’expérience.
Aux temps bibliques pourtant, Daniel reçut l’inspiration divine pour dénoncer publiquement l’erreur de jugement commise envers la chaste Suzanne et dévoiler par sa sagesse l’iniquité secrète et le mensonge de ses accusateurs. Si l’émergence de l’intellectuel français au XXe siècle est le symbole d’une sécularisation de l’inspiration au temps de la mort de Dieu, on ne peut oublier qu’il est aussi l’héritier de Daniel, de Bartolomé de Las Casas et de Voltaire.
La sagesse biblique n’a rien à voir avec la trahison des clercs de tout acabit et de toute religion, qu’elle ne cesse de dénoncer au contraire par la grande Voix des prophètes, qui résonne jusque dans certaines apostrophes de Jésus et se réfléchit en infinies discussions dans le Talmud. Il n’est donc pas étonnant que le XXe siècle ait vu naître, avant même la Seconde Guerre mondiale, puis dans la Résistance, au temps de la décolonisation et des années de plomb de la longue chute du communisme, les témoins juifs et chrétiens, croyants ou non, d’un engagement politique et éthique, scellé dans leurs traditions et nourri des ressources intellectuelles millénaires et de l’ouverture cosmopolite dont elles sont porteuses.
La rencontre renouvelée des Juifs et des Chrétiens, qui prend aujourd’hui un tour officiel et institutionnel, et non plus seulement amical, doit beaucoup à ces hommes et à ces femmes qui vécurent et pensèrent les conditions d’une confrontation apaisée et d’un dialogue d’intelligence et de cœur.
Sandrine Szwarc nous introduit à cette belle page d’histoire à l’heure où ses acteurs s’effacent, avec la rigueur de l’historienne et la sympathie qui naît de la conviction d’ouvrir une page nouvelle de l’histoire, jamais vécue, même lors de la première génération chrétienne. Les Études du CRIF sont heureuses de vous donner à lire ces pages riches de sens et accessibles à tous.