Le CRIF en action
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Publié le 4 Octobre 2011

Commémoration du décret instituant le statut des Juifs sous Vichy

A l’initiative du Rassemblement des Avocats Juifs de France (RAJF) et de l’Ordre des Avocats au Barreau de Paris une importante manifestation s’est déroulée le 3 octobre dernier à l’occasion de la commémoration du décret du statut des juifs du 3 octobre 1940.




Le Bâtonnier de Paris, Jean Castelain, accompagné du Vice Bâtonnier Jean Yves Leborgne, de la Bâtonnier désignée Christiane Feral Schul et de l’ensemble du Conseil de l’Ordre ainsi que de nombreux anciens Bâtonniers et Magistrats ont participé à la visite du Mémorial de la Shoah à Paris.



A l’issue de cette visite, les participants se sont retrouvés dans l’auditorium du Mémorial où ils ont été accueillis par son Président Eric de Rothschild.



Me Jacques Cohen, secrétaire général du RAJF a fait un exposé sur le statut des juifs sous Vichy.



Puis ce fut au tour de Me Bernard Cahen, Président du RAJF de livrer ses souvenirs d’enfant caché sous l’occupation.



Richard Prasquier, Président du CRIF a prononcé un discours en remerciant chaleureusement le Bâtonnier de Paris pour cette initiative.



Enfin, Monsieur Jean Castelain, Bâtonnier de l’Ordre a prononcé un émouvant discours, rappelant les heures sombres de son Ordre sous l’occupation.



Après avoir lu la lettre de Lucien Vidal Naquet à son bâtonnier, il s’est déclaré bouleversé par sa visite au Mémorial, la première d’un Bâtonnier, et a conclu en disant :



« En abandonnant (les juifs) notre Ordre a commis une faute dont il répond devant l'histoire », il a poursuivi « Notre Ordre s'est dérobé. Il fait aujourd’hui amende honorable par ma voix, au nom des avocats, au nom du barreau éternel ».



Plusieurs personnalités assistaient à cette commémoration, notamment Monsieur François Zimeray, Ambassadeur des Droits de l’Homme, Me Yves Repiquet, Président de la CNDCH.



Richard Prasquier était accompagné de Me Ariel Goldmann, Vice Président du CRIF, de Pascal Markowicz, Président de la Commission Internationale du CRIF, et de plusieurs membres du Comité Directeur du CRIF.



Allocution de Jean Castelain, Bâtonnier de Paris, 3 octobre 2011, au Mémorial de la Shoah



Il y a 71 ans, jour pour jour, la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs marquait le début du processus d'élimination des avocats juifs.



Elle précisait, certes, que leur accès à la profession était libre, à moins cependant qu'un règlement ne limite leur présence à une proportion déterminée.



Dans ce cas, il prévoirait "les conditions dans lesquelles aura lieu l'élimination des juifs en surnombre".



Les mots parlent d'eux-mêmes.



Le 17 juillet 1941 est publié le décret qui fixe à 2% le nombre maximum de juifs autorisés à exercer notre profession.




Le 13 février 1942, la Cour d'appel de Paris prononce l'exclusion de 221 avocats juifs, dont 217 pour le seul barreau de Paris.



Beaucoup d’entre eux seront ensuite interpellés, incarcérés, fusillés ou déportés.



Plusieurs dizaines d’entre eux paieront de leur vie leur appartenance à la Communauté, deux(1) choisissant de se défenestrer au moment de leur arrestation.



Les nazis poursuivront leur travail de nettoyage ethnique de la façon que l'on sait et dont ce Mémorial témoigne.



Il est douloureux pour moi de le rappeler ici, ce soir : au long de ce processus barbare, l'Ordre des avocats du barreau de Paris n'a élevé aucune protestation à aucune de ces étapes de l'élimination de nos confrères.



Qu’ont-ils éprouvé nos confrères juifs en se voyant exclus du barreau comme s’ils étaient véreux, radiés pour avoir gravement manqué à l’honneur et à la probité ?



Qu’ont-ils pensé de cette loi française, la patrie des droits de l’homme, promulguée par un Maréchal de France, incarnation de la gloire nationale, qui les déclarait indigne d’exercer en les dégradant professionnellement « comme on avait jadis brisé l’épée et arraché les épaulettes de Dreyfus »(2) ?



Qu’ont-ils ressenti en se voyant jeter hors de leur profession et en voyant les membres du Conseil de l’Ordre qu’ils connaissaient et les magistrats qu’ils côtoyaient accepter de conduire à leur encontre une procédure d’exclusion ?



Une souffrance sans limite, celle de l’injustice d’Etat, qu’aucun mot ne saurait mieux exprimer que la lettre (3) de Lucien Vidal-Naquet à son bâtonnier :




« Monsieur le Bâtonnier,



C’est aujourd’hui qu’aux termes de l’arrêté de la Cour de Paris du 13 février, je dois cesser l’exercice de ma profession d’avocat.



Plus heureux que mes enfants, j’aurai vu mon Père conserver jusqu’à son décès un titre dont il était fier, et dont il avait su m’inspirer le respect.



Fidèle à mon serment, dans le temps même où la Loi m’en délie, je m’interdis d’apprécier la mesure excluant du Barreau un avocat qui n’a jamais éludé aucun de ses devoirs, professionnels, familiaux et nationaux, me bornant à rappeler la parole du Bâtonnier Lieuville, exaltant la Liberté : « Aime-là, c’est la vie des peuples, c’est leur sang, disait-il. Quand il ne bat plus dans leurs artères, il meurt.



C’est à cet idéal que je veux, en toute sérénité d’âme, adresser, comme un dernier hommage, l’expression de mon attachement et celle de ma foi. »



Cette histoire, notre histoire, blesse notre mémoire et l’idée que nous nous faisons de notre Ordre.(4)



Depuis une quinzaine d’années, à plusieurs reprises, l’Ordre des Avocats du barreau de Paris a montré qu’il ne manquait pas à son devoir de mémoire en rendant, par exemple, hommage à Pierre Masse dont l’une de ses lettres au Maréchal Pétain est ici exposée, lettre bouleversante où il demande s’il doit retirer les décorations des corps de ceux de sa famille qui sont morts pour la France.(5)



Mais est-ce bien suffisant ?



Comme vous, je suis bouleversé par ces images, ces objets ici rassemblés, ces témoignages dont la simplicité souligne plus encore l’horreur du réel.



Mais c’est aussi et surtout convaincu, comme je le suis depuis toujours, qu’on n’échappe pas à ses responsabilités par quelque artifice de langage, que je souhaite aujourd’hui dire clairement, afin qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit de quiconque, qu’en abandonnant à leur sort nos confrères juifs, notre Ordre a commis une faute dont il répond devant l’Histoire et qu’il a manqué aux principes fondamentaux sur lesquels il repose.



Pour moi, pour nous tous qui aimons notre profession, son serment de défense et de protection, son Ordre qui veille et qui protège, il est révoltant et douloureux de constater qu’aux heures les plus sombres, notre Ordre s’est dérobé.



Il fait ici et aujourd’hui amende honorable par ma voix.



Aujourd’hui, au nom des 21 766 avocats au barreau de Paris nés depuis le 1er janvier 1946, qui n’ont pas vécu ce temps de l’histoire et qui lisent avec horreur
ce que fut le droit de ce qu’était l’Etat français,



mais aussi au nom du barreau éternel
qui porte haut l’étendard de l’humanité,
de la protection des démunis,
et de la fraternité des hommes



j’affirme que nous n’oublierons pas
ces avocat radiés,
ces avocats humiliés,
ces avocats disparus dans la nuit et le brouillard,
nos frères de sang…



Pour l’éternité
vous êtes dans nos cœurs
et dans nos mémoires.



Notes :
1. Maurice Mourjan et Jacques Frank
2. Robert Badinter, Un antisémitisme ordinaire », Fayard, p. 17. Les lecteurs reconnaîtront dans ces trois questions, trois phrases tirées de cet ouvrage :
- L’avocat juif, qu’éprouvait-il en se voyant exclu du barreau comme un avocat véreux, radié pour avoir gravement manqué à l’honneur et à la probité ? (p. 16) ;
(…)
- En revanche, qu’une loi française promulguée par un maréchal de France, incarnation de la gloire nationale, les déclarât indignes d’exercer, les dégradât professionnellement comme on avait jadis brisé l’épée et arraché les épaulettes de Dreyfus, voilà qui constituait pour eux une douleur sans limite (p. 17) ;
(…)
- Il n’en demeurait pas moins que le gouvernement légal de la France les jetait hors de leur profession et que les membres du Conseil de l’Ordre qu’ils connaissaient de longue date, des magistrats qu’il avaient fréquentés, acceptaient de conduire à leur encontre ces procédures d’expulsion (p. 18)
3. Lettre reproduite in « Paris et ses avocats de Saint Louis à Marianne », p. 140 – Catalogue de l’exposition tenue à l’Hôtel de Ville de Paris (nov. 2001-2 mars 2002)
4. En référence au discours de Jacques Chirac prononcé lors des commémorations de la rafle du Vel d’Hiv – 16 juillet 1995. « Il est dans la vie d’une nation des moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se fait de son pays ».
5. Lettre reproduite également dans la notice consacrée à Pierre Masse à l’occasion de l’inauguration de son médaillon en bronze par Thérèse Dufresne installé dans la galerie de la Première Présidence du Palais de Justice à Paris – édition de l’Ordre des Avocats – p. 10