Le CRIF en action
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Publié le 23 Décembre 2011

Contribution de Rivon Krygier, rabbin de la communauté Adath Shalom de Paris, lors de la Convention du CRIF, dimanche 20 novembre 2011 : Les défis communautaires

Au lendemain de sa Convention Nationale «Demain les Juifs de France», le CRIF vous propose de découvrir les contributions écrites des intervenants qui ont bien voulu nous en proposer une version écrite. Se présentant sous la forme d’un verbatim, d’un texte synthétique, ou d’une tribune en fonction du choix de leurs auteurs, elles sont publiées sur la newsletter au rythme d’une par jour. Vous pouvez aussi retrouver en vidéo l’intégralité de ces interventions sur le site de notre partenaire AKADEM. Bonne lecture !



Sept minutes pour saisir les grands défis de la communauté juive de France, autant vouloir créer le monde en 7 jours ! C’est un défi en soi, sinon une gageure. Allons donc droit au but, au risque d’être un peu brutal. À dresser d’abord un bilan général, je suis d’avis que la communauté juive de France n’a pas à rougir de sa situation, en tout cas en comparaison à ce qui se passe en plein d’autres endroits de la diaspora, où la vie juive est en pleine déliquescence. Globalement, même si de grandes institutions connaissent des tensions (et je m’abstiendrai de m’immiscer dans les querelles internes), on doit se féliciter du formidable dynamisme de nombreux organismes et associations dont la vitalité est due à la qualité de certains professionnels et au dévouement exceptionnel de nombreux bénévoles de l’ombre. Je n’en donnerai qu’un trop bref et trop partiel aperçu, mais emblématique.



Mesurons le rôle novateur que remplit désormais Akadem, le Campus numérique juif qui diffuse en audio ou vidéo des conférences et magazines sur les sujets les plus variés de la vie juive. Il se déploie jusque dans les foyers lointains de la province. Il permet à des juifs assimilés ou laissés pour compte d’avoir une vision diversifiée de la communauté et de ses expressions culturelles. Il donne à des personnes qui ne sont pas seulement juives d’entendre ce que notre communauté peut produire de pensée, de culture et de sensibilité. Et là où le dialogue entre juifs est absent, voire impossible, embourbé dans des préjugés, des interdits et anathèmes, il s’impose au moins, a minima, par juxtaposition des divers courants d’opinion et de conviction. Sur le paradigme qu’Akadem représente, j’aimerais fonder le cœur de mon argumentation. Car on doit y voir, à mon humble avis, la voie dans laquelle la communauté juive de France doit s’engager résolument.



Ce défi, j’aimerais le figurer à partir d’une formule cinglante que nous devons au rabbin Léon Askénazi, « Manitou », dont j’ai été moi-même un élève proche. Voici ce qu’il déclarait dans le magazine Information juive (avril 1993), avec l’humour qu’on lui connaissait :



« Tout juif est juif, même les juifs pieux et y compris les juifs ¬non-sionistes, les juifs enrhumés et les juifs philatélistes… »



Mieux intégrer la pluralité est la clef ! Il convient en effet de se souvenir qu’une grande partie des juifs de France, et de la jeunesse en particulier, est en totale déshérence par rapport à leur identité juive. Il y a un tas de raisons à cette dilution (que je ne peux énumérer ici). La plus évidente mais contre laquelle il n’est pas question de lutter, c’est que dans une société ouverte et démocratique, les choix des individus ne sont plus dictés par le clan ou la famille mais selon les choix d’intérêt ou de conscience. Et là-dessus se greffe le fait qu’il est objectivement difficile de vivre au rythme et à l’heure du judaïsme, en tant que minorité, dans une société qui vous happe sans cesse, tant sur un plan culturel que professionnel, pour le meilleur et pour le pire. Autrement dit, si l’on veut lutter efficacement contre cette déperdition centrifuge, c’est sur nous, responsables communautaires, que pèse la charge de nous montrer convaincants et inventifs, de démultiplier les efforts pour rendre la vie juive plus stimulante et plus inclusive. Ce n’est pas avec la bonne vieille culpabilisation et la mise au ban des couples mixtes et de leurs enfants, hors des synagogues et des écoles juives, que l’on y parviendra ! Et ce n’est pas non plus, en cherchant à imposer une forme unique de judaïsme, qui plus est de plus en plus radicale, hors de laquelle il n’y aurait point de salut. Ne pas avoir compris cela, comme c’est hélas encore souvent le cas, est tout simplement un désastre. C’est se tirer une balle dans le pied. On érige soi-disant une grande muraille pour former un rempart contre l’assimilation et, la vue masquée, on ne voit pas que plein de juifs sont au dehors et qu’ils ne peuvent rentrer chez eux à cause de cette forteresse, pour ne pas dire un château digne de Kafka !



On observe d’après certaines études sociologiques une polarisation inquiétante de la communauté juive. D’un côté la déshérence grandissante dont je parlais, de l’autre, une tendance à la radicalisation identitaire. Il est dans l’air du temps, dans cette génération en perte de repères – et pas seulement chez les juifs – de nourrir une fascination pour les identités pures et dures… Chez nous, c’est ce que l’on appelle la vague de « retour » à la religion qui s’accompagne bien souvent d’une crispation identitaire, d’une intransigeance mentale, affective et intellectuelle, réfractaire aux idées républicaines des Lumières qui ont fondé les vraies démocraties. Au final, des idées chères encore à de nombreux juifs que sont le dialogue et le respect des autres identités, cultures et religions, l’égalité des sexes, l’engagement dans la cité, la prise en compte des acquis des découvertes modernes et des méthodes universitaires dans la pensée juive, autant d’idées-phares jadis défendues par la Haskala, sont battues en brèche, sous couvert de l’autorité d’une interprétation radicale de la Halakha comme d’autres ailleurs invoquent la Charia immuable. Comprenez que ce n’est pas une question purement intellectuelle. Pour rester juif aujourd’hui, il faut aimer et désirer ardemment l’être. Et cela n’est le cas que si l’on y trouve une richesse exaltante et non un carcan où vous vous sentez déjugés ou incompris. Il faut urgemment sortir de la logique binaire. Quand de jeunes juifs se sentent sommés de choisir leur clan entre ces deux pôles, ghetto ou assimilation – pour faire simple…– beaucoup d’entre eux votent avec leurs pieds, comme on dit, et même sur la pointe des pieds : ils disparaissaient du champ de la vie juive, car tout simplement, ils ne s’y retrouvent pas.



Photo : © 2011 Erez Lichtfeld