Très souvent par le passé, je suis venu au dîner du CRIF. Je connais cette tradition. Je sais qu’elle est pour vous un moment de fête, un moment de retrouvailles. Je sais aussi que chaque année, de manière ouverte comme vous l’avez fait dans votre discours Monsieur le Président, ou plus discrètement dans le secret de vos cœurs et l’intimité de vos conversations, vous faites mémoire, avec ce dîner, des circonstances tragiques qui conduisirent, en 1943, les différentes composantes du judaïsme français à s’unir contre l’oppression nazie. De cette union clandestine est né plus tard le CRIF.
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En invitant chaque année les plus hautes autorités de la Nation à partager votre dîner, en invitant en particulier le Premier ministre, et cette année, pour la première fois, le Président de la République, vous entendez renouveler votre attachement indéfectible à la République et à la France : cette France qui vous a émancipés, qui vous a donné des droits, qui vous a permis de pratiquer votre religion. Nous célébrerons ensemble cette année le bicentenaire de la création du Consistoire ; cette République qui vous a ensuite intégrés dans toutes les sphères de la société, sur le seul fondement de vos talents et de vos mérites ; cette République que vous avez servie avec la générosité, la confiance, et l’engagement qui sont l’âme des vrais patriotes ; cette République qui, en inventant la laïcité, vous permet d’être à la fois profondément juif et Français de tout cœur.
Mais en faisant s’asseoir chaque année aux mêmes tables les représentants des institutions juives de France et les représentants de la République, vous entendez aussi rappeler aux seconds les principes, les valeurs et les vertus dont la violation, par le passé, a fait vivre à notre pays ses pages les plus noires. A l’heure où s’abattaient en Europe les idéologies les plus criminelles, c’est un fait que l’Etat vous a trahis. Tournant le dos à ses principes essentiels, pas seulement ceux de 1905, mais aussi ceux de 1789, de l’abbé Grégoire et de l’Edit de Nantes, notre Nation s’est alors presque intégralement effondrée. Il est sain que vos invités rassemblés dans cette salle, dont certains exercent d’éminentes responsabilités, fassent mémoire de ces moments douloureux qui précipitèrent tant de familles dans l’abomination, et notre pays dans la honte.
Malgré ces trahisons, votre fidélité et votre attachement à la France sont restés intacts. Même en 1940, quand Vichy édictait l’immonde statut des juifs, vous saviez que la République n’était pas dans ce crime et que la France éternelle était plus grande que sa faute. « Le seul réconfort qui nous soit permis est celui qui nait d’une confiance inébranlable dans un retour certain au véritable destin spirituel de cette France éternelle, de cette nation porte-flambeau ». Tels sont les mots que vos prédécesseurs adressaient aux autorités de l’époque pour les supplier de rester fidèles aux principes républicains. Cette confiance, cette fidélité, forcent le respect et l’admiration.
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Je vous remercie, M. le Président, d’avoir placé le début de votre allocution sous le signe de la laïcité. Vous m’offrez l’occasion de répondre aux multiples commentaires qui ont accompagné les discours que j’ai prononcés récemment au Latran puis en Arabie saoudite.
Vous avez dit ne pas croire que les religions puissent être la seule parade contre le mal, et vous avez bien raison. Vous me permettrez d’ajouter, car je connais moi aussi l’histoire des juifs d’Europe, que si les religions sont en effet impuissantes à préserver les hommes de la haine et de la barbarie, le monde sans Dieu, que le nazisme et le communisme ont cherché à bâtir, ne s’est pas révélé tellement préférable.
Le drame du XXème siècle, de ces millions d’êtres projetés dans la guerre, la famine, la séparation, la déportation et la mort, n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence. Le communisme voyait la religion comme un instrument de domination d’une classe sur une autre, et l’on sait les malheurs auxquels cette théorie a conduit. Le nazisme croyait dans la hiérarchie des races, une proposition radicalement incompatible avec le monothéisme judéo-chrétien.
Alors il est vrai que parmi les résistants, parmi les patriotes, parmi les Justes, il y en avait autant qui croyaient au ciel, et autant qui n’y croyaient pas. Et il est tout aussi vrai que, parmi ceux qui trahirent les juifs et contribuèrent, de près ou de loin, à la mise en œuvre de la solution finale, il y en avait beaucoup qui se disaient chrétiens. Mais il n’y a pas une ligne de la Torah, de l’Evangile ou du Coran, restituée dans son contexte et dans la plénitude de sa signification, qui puisse s’accommoder des massacres commis en Europe au cours du XXème siècle au nom du totalitarisme et d’un monde sans Dieu.
L’attachement à la laïcité, qui n’est que l’expression, dans la sphère religieuse, du respect et de la tolérance que l’on doit aux convictions d’autrui, doit conduire chacun, comme je l’ai fait avec votre discours Monsieur le Président, à porter une réelle attention à l’exactitude des propos que j’ai tenus à Rome et à Ryad. Ces questions sont d’une importance trop grande, pour que l’on puisse se permettre les approximations, les amalgames, les raccourcis.
Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse. Ma conviction est qu’elles sont complémentaires et que, quand il est difficile de discerner le bien du mal, ce qui somme toute n’est pas si fréquent, il est bon de s’inspirer de l’une comme de l’autre. La première préserve des certitudes toutes faites et apporte sa rationalité. La seconde oblige chaque société, chaque époque, à ne pas se penser uniquement comme sa propre fin.
Et jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs. Mais ce dont ils témoignent n’est tout simplement pas la même chose. Le premier témoigne d’une morale laïque, faite d’honnêteté, de tolérance, de respect. Que ne dirait-on pas d’ailleurs si l’instituteur s’autorisait à témoigner d’une morale religieuse ? Le second témoigne d’une transcendance dont la crédibilité est d’autant plus forte qu’elle se décline dans une certaine radicalité de vie.
Je souhaite que tous nos enfants reçoivent à l’école l’enseignement d’une morale laïque. Je note à cet égard, qu’après avoir, pour les raisons que l’on sait, abandonné l’enseignement public de la morale religieuse, on a abandonné également celui de la morale laïque.
Mais je maintiens, parce que je le crois profondément, que nos enfants ont aussi le droit de rencontrer, à un moment de leur formation intellectuelle et humaine, des religieux engagés qui les ouvrent à la question spirituelle et à la dimension de Dieu.
Dieu, c’est une idée suffisamment intéressante pour avoir inspiré la vie de millions d’hommes et marquer d’immenses civilisations. Quelle est l’origine de la vie, quel est le sens de l’existence, y a-t-il quelque chose après la mort, d’où vient le mal ? Ce sont des interrogations essentielles. Je ne connais pas un seul homme, pas une seule femme, croyant ou incroyant, qui ne se les pose pas. C’est pourquoi je pense que si nos jeunes peuvent, à un moment de leur vie, être initiés à ces questions, c’est mieux que s’ils ne le peuvent pas. Ils en feront ce qu’ils en voudront, mais nul n’est en droit de le présumer à leur place.
Personne ne veut remettre en cause la laïcité. Personne ne veut abîmer ce trésor trop précieux qu’est la neutralité de l’Etat, le respect de toutes les croyances, comme celui de la noncroyance, la liberté de pratiquer comme celle d’être athée. Personne ne veut abandonner le mérite, le talent, l’amour de la patrie, comme les seules vertus que la République reconnaît et récompense. Et moi, puisque c’est moi qui suis en cause, moins encore qu’un autre.
Est-ce que cela doit nous interdire pour autant de parler de la religion ? Est-ce que cela doit nous aveugler au point d’ignorer qu’il existe à l’évidence, après la fin des idéologies totalitaires et les désillusions de la société de consommation, une immense demande de spiritualité ? Est-ce que cela doit nous empêcher de regarder lucidement la situation de l’islam de France ? Ne voit-on pas qu’en refusant d’examiner les conséquences pratiques de la présence musulmane en France, on a laissé se développer les attitudes les plus contraires à la laïcité, comme les pratiques vestimentaires ostentatoires et les revendications identitaires ?
Le principe de laïcité doit-il nous détourner du rôle que nous pouvons jouer, par exemple à Ryad, en faveur du dialogue entre les civilisations, alors que ce dialogue est un enjeu majeur du XXIème siècle ? Doit-il me priver du droit de rencontrer des prêtres, des pasteurs, des rabbins, des religieux, pour leur dire que ce qu’ils font au bénéfice des plus pauvres, pour le réconfort des malades, pour l’éducation des jeunes, pour la réinsertion des prisonniers, est tout simplement utile et bien ? Sont-ils des citoyens de seconde zone ? Le principe de laïcité oblige-t-il le Président de la République à ne parler que de la sécurité routière, des déficits publics, de la politique spatiale, sans jamais parler des choses essentielles, comme la vie, la civilisation, l’amour, l’espérance?
50 ans après que l’on a fait dire à Malraux que le XXIème siècle serait spirituel ou ne serait pas, 15 ans après que l’on a entendu François Mitterrand confesser croire aux forces de l’esprit, mesure-t-on la chape de plomb intellectuelle qui s’est abattue sur notre pays pour s’offusquer qu’un Président en exercice puisse dire tout simplement que l’espérance religieuse reste une question importante pour l’humanité, et que croire dans quelque chose vaut parfois mieux que croire que tout se vaut ? Voilà, mes chers amis, ce que j’ai dit à Rome et à Ryad. Rien de plus. Et rien de moins, non plus.
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Monsieur le Président, vous avez eu la gentillesse de rappeler que je m’étais défini comme un ami d’Israël à une époque où il valait mieux éviter ce genre de déclarations. Voyez-vous, à cette époque déjà, j’exprimais mes convictions avec la même sincérité que celle que je mets aujourd’hui pour parler de la laïcité. Oui, c’est vrai, je suis un ami d’Israël et j’attache une grande importance au resserrement des liens politiques, d’amitié et de coopération entre nos deux pays.
L’année 2007 aura été une année dense et fructueuse pour la relation entre la France et Israël. J’ai souhaité que la relation politique soit renforcée et que se développe un dialogue stratégique bilatéral fort, particulièrement nécessaire dans un monde plus fragile que jamais.
L’année 2008 quant à elle est celle du 60ème anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. C’est un évènement d’une grande importance. Les circonstances de la création de l’Etat d’Israël et la spécificité historique, géographique et politique de ce pays ne doivent jamais être oubliées. J’aurai la joie et l’honneur d’accueillir en visite d’Etat, du 10 au 14 mars prochains, le Président de l’Etat d’Israël, M. Shimon Pérès. Cette visite illustrera la force et l’ancienneté de l’amitié qui lie nos deux peuples. Elle s’insérera comme l’un des moments historiques de la relation bilatérale. Je me rendrai ensuite en Israël au printemps prochain et je prononcerai un grand discours à l'invitation de la Knesset.
Israël sera l’invité d’honneur du prochain salon du livre à Paris, qui constitue toujours un événement culturel majeur dans notre pays. La France souhaite l’entrée d’Israël dans les organisations de la francophonie. De même, Israël pourra compter sur mon soutien pour impulser, dans le cadre de la prochaine Présidence française de l’Union européenne, une nouvelle dynamique à sa relation avec l’Union.
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Naturellement, le sujet qui préoccupe le plus les Israéliens et les amis d’Israël réunis ce soir, c’est l’issue du conflit israélo-palestinien. Je connais l'état d'esprit qui règne en Israël aujourd'hui. Le peuple israélien, dans sa grande majorité, estime que ce conflit n'a que trop duré. Il est temps pour les deux parties de tourner la page. Dans l’intérêt même d’Israël, pour sa sécurité et sa pérennité, je partage la conviction de Shimon Pérès et d’Ehud Olmert qu’un accord de paix doit permettre la création, avant la fin 2008, d'un Etat palestinien viable et moderne, aux côtés d'Israël, dans le cadre de frontières sûres et reconnues.
Après des années de défiance, Annapolis en novembre dernier a relancé l’espoir. Le dialogue a repris entre les deux parties, un horizon politique est tracé. Ce tournant historique, nous le devons d’abord au courage de deux hommes, le Premier Ministre Ehud Olmert et le Président Mahmoud Abbas. Nous le devons également au Président Bush, qui a choisi de réengager résolument les Etats-Unis dans le processus de paix. La Conférence de Paris de décembre dernier a relayé cette espérance. L’aide sans précédent mobilisée par cette conférence est le signe concret de la confiance de la communauté internationale dans la solution de deux Etats.
Il est primordial aujourd’hui de traduire cet espoir dans les faits et de créer un choc de confiance qui suscitera une adhésion populaire au processus en cours. Pour ce faire, des avancées concrètes sont attendues sur le terrain. La sécurité est bien évidemment l’une des clés du processus de paix. Le récent attentat de Dimona est hélas venu rappeler la menace terroriste permanente qui pèse sur le peuple israélien. Les tirs de roquettes, que rien ne saurait justifier, doivent également cesser. Le soldat franco-israélien Gilad Shalit doit être libéré. L’Autorité palestinienne doit poursuivre sa réforme des services de sécurité et sa lutte contre le terrorisme.
Mais les dirigeants israéliens doivent aussi accepter de mettre en œuvre sur le terrain les mesures de confiance susceptibles de renforcer Mahmoud Abbas et d’encourager la population palestinienne à soutenir le processus : levée de barrages, réouverture de points de passage à Gaza pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire, libération en plus grand nombre de prisonniers, réouverture des institutions palestiniennes à Jérusalem-Est. Les Palestiniens doivent pouvoir disposer de leur territoire et le mettre en valeur. La poursuite de la colonisation, qui met en cause la viabilité du futur Etat palestinien et renforce le sentiment d’injustice, est un obstacle à la paix. Son gel complet est nécessaire.
Un accord d’ici la fin de l’année est possible. Pour cela, les leaders israéliens et palestiniens doivent poursuivre le chemin tracé à Annapolis et refuser les pièges tendus par les radicaux des deux camps. La France, sans vouloir interférer dans les négociations en cours, est prête à apporter tout l’appui nécessaire afin d’encourager l’ensemble des parties à avancer car il s’agit d’une occasion exceptionnelle.
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Je veux le redire ici avec force : Israël a droit à l’existence et à la sécurité. Face au discours du Hamas et aux propos hostiles et répétés du président iranien, les préoccupations d’Israël sont légitimes. La France a fermement condamné ces propos.
Concernant l’Iran, ma politique est simple et compréhensible par tous :
- la prolifération est une menace grave pour la sécurité internationale ; nous ne pouvons pas tolérer sans réagir que l’Iran développe de telles technologies en violation du droit international ;
- il appartient à l’Iran de démontrer ses objectifs pacifiques et de respecter les résolutions des Nations-Unies. A quoi sert l’enrichissement de l’uranium en Iran, un pays qui n’en a aucun usage civil ?
- nous proposons à l’Iran un chemin, par le dialogue et la coopération ; c’est l’intérêt de ce pays, qui aurait ainsi un vrai accès au nucléaire civil et contribuerait à construire un avenir de paix pour la région ;
- tant que l’Iran choisit le fait accompli, nous n’avons pas d’autre choix que de renforcer son isolement : cela passe par de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité et de l’Union européenne, et par la nécessaire retenue des entreprises vis-à-vis de relations économiques et financières avec ce pays ;
- mais les pays qui respectent les normes internationales de non-prolifération et de sûreté doivent avoir accès au nucléaire civil, à commencer par les pays musulmans. Je veux le redire ici car c’est ma conviction profonde. Le nucléaire civil est la principale énergie du futur. Il ne peut être réservé aux seuls pays occidentaux. La France veillera naturellement à ce que toutes les garanties de sécurité soient prises.
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Vous avez rappelé, Monsieur le Président, le traumatisme de la conférence de Durban de 2001, et les débordements intolérables qui ont fait de cette conférence une tribune contre l’Etat d’Israël. Une conférence de suivi est prévue pour 2009. Je n’accepterai pas que les dérives et les outrances de 2001 se répètent. La France présidera l’Union européenne dans les derniers mois précédents la conférence. Elle saura se désengager du processus si nos exigences ne sont pas prises en compte.
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Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir fait mention, dans votre beau discours, de ce projet que je forme d’une Union pour la Méditerranée. Je voudrais vous dire, avec la simplicité qui caractérise les propos que peuvent s’échanger des amis, que je crois et que j’espère dans ce projet aussi fortement que Jean Monnet et Robert Schuman croyaient dans leur projet d’une Europe du charbon et de l’acier préfigurant une union politique des pays européens.
Pour la France et pour l’Europe, le cercle formé par les pays riverains de la Méditerranée est le lieu de toutes les richesses et de tous les risques. Richesses naturelles, économiques, culturelles… Risques environnementaux, risques de la pression migratoire, des écarts de niveaux de vie, de la guerre des civilisations sur fond de différences religieuses. La Méditerranée peut devenir un fossé qui se creuse inexorablement et relègue définitivement l’Afrique aux frontières du développement et de la démocratie. Mais elle peut aussi devenir un trait d’union de paix et de prospérité entre les peuples de ses deux rives. Ma conviction est que nous avons le pouvoir de choisir et que la politique n’a aucun sens, aucune raison d’être, si elle n’est pas capable d’oser faire le choix du rêve méditerranéen.
C’est pourquoi, le 20 décembre dernier, à Rome, avec le premier ministre espagnol et le premier ministre italien, j’ai lancé un appel pour la création d’une Union pour la
Méditerranée. Rassemblant sur un pied d’égalité tous les pays riverains de la Méditerranée, cette Union aura pour objet de créer des solidarités de fait entre ses membres par la mise en œuvre de projets concrets. Israël a naturellement vocation à faire partie de cette Union.
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Depuis 2002, nous avons beaucoup travaillé pour combattre et enrayer l’accroissement des actes antisémites commis sur notre territoire. Tout au long de ces années, j’ai entendu dans cette salle bien des commentaires et bien des discours sur la réduction progressive du nombre des infractions, l’identification et la condamnation plus systématique des auteurs, le renforcement de la législation. Que l’on me pardonne cette confession tardive : j’ai eu souvent le sentiment d’y avoir pris une certaine part…
Nous avons travaillé main dans la main avec le CRIF, la police, la justice, l’Education nationale. Nous avons développé les instruments d’une lutte plus efficace contre les actes racistes et antisémites. Nous avons débloqué plusieurs millions d’euros pour sécuriser, avec le fonds social juif unifié, un certain nombre de lieux particulièrement exposés, en particulier les écoles et les synagogues. Voilà d’ailleurs une action pour laquelle il a fallu vaincre bien des rigidités, qui n’étaient pas toutes étrangères à une conception étroite de la laïcité.
Nous avons obtenu des résultats. Les faits d’antisémitisme sont en baisse dans notre pays. Notre image internationale s’est significativement redressée. Ma plus grande tristesse demeure, naturellement, de ne pas avoir pu empêcher le meurtre barbare d’Ilan Halimi. Il faut poursuivre sans relâche la prévention de l’antisémitisme et la répression des infractions.
A cette fin, la mémoire de la Shoah joue un rôle capital. Je sais que vous y êtes attentifs.
L’Etat participera au financement du budget de fonctionnement du mémorial du Camp des Milles. Monsieur le Président, je vous l’ai promis. De même, la France soutient le projet de création d’un musée d’histoire des juifs de Pologne en face du monument commémoratif de l’insurrection du ghetto de Varsovie, et lui apportera son concours.
Mais c’est d’abord à la mémoire et à la transmission de la Shoah vers les jeunes générations que la France doit consacrer toute son attention et toute son énergie. Nous le devons aux victimes. C’est surtout notre meilleure arme contre le racisme et l’antisémitisme, et notre seule protection contre le réveil de la bête immonde et la réitération des faits, aussi bien ceux qui furent infligés par la barbarie nazie que ceux qui furent commis par les autorités françaises.
La France ne doit rien abandonner de l’enseignement de la Shoah dans les établissements scolaires. Elle ne doit céder à aucune facilité, à aucun amalgame. Enseigner la Shoah et sa spécificité, c’est combattre tous les racismes, c’est ouvrir chacun à sa condition de victime potentielle et de citoyen responsable, c’est créer une mémoire commune sans laquelle il ne peut y avoir de volonté de construire un avenir commun.
Mais cette éducation doit être suffisamment précoce pour toucher aussi les cœurs. C’est dans les premières années de l’éveil de sa conscience qu’un enfant doit être élevé dans le rejet absolu du racisme. C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah.
Les enfants de cet âge sont souvent plus graves que leurs aînés. Ils sont attentifs aux êtres, à l’intimité des noms et des prénoms, à l’importance de leur environnement le plus quotidien. Comment seraient-ils alors insensibles à l’histoire de ces enfants, qui avaient les mêmes jeux, les mêmes joies, et les mêmes peines qu’eux, et qui, progressivement, ont été exclus de leur école, séparés de leur famille, chargés dans des trains pour un voyage sans retour ? Le succès mondial du Journal d’Anne-Frank montre la puissance d’évocation et d’illustration que comporte pour un enfant le récit d’une histoire qui aurait pu être la sienne.
Les enfants ont payé le plus lourd des tributs à la Shoah. Vous en savez quelque chose,
Monsieur le Président, puisque vous êtes né à Gdansk le 7 juillet 1945. Dans cette Pologne où les historiens considèrent que moins d’1% des enfants juifs ont survécu, votre naissance est tout simplement un miracle. Peut-on trouver plus noble dessein que de permettre à ces enfants martyrs d’être les pédagogues éclairés de nos propres enfants ?
Je vous remercie.
Photo : © 2008 Erez Lichtfeld