A Drancy, une centaine de personnes ont assisté à la commémoration, face au mémorial réalisé par Shlomo Selinger, ancien déporté. De nombreux représentants des pouvoirs publics et d’associations d’anciens combattants ont écouté les discours de Hervé Masurel, Préfet délégué à l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis, de Jean Christophe Lagarde, maire de Drancy et d’Yvette Lévy, ancienne déportée, présidente des déportés de Seine-Saint-Denis qui représentait le CRIF. Des représentants religieux de l’Eglise réformée de l’Eglise catholique et un aumônier juif de l’armée française ont également pris la parole lors de la cérémonie.
A Bordeaux, Albert Roche, président du CRIF Bordeaux Aquitaine, a prononcé une allocution (publiée ci-dessous) devant près de 300 personnes réunies au mémorial de la déportation au Fort du Hâ.
D’autres commémorations ont eu lieu le même jour à Toulouse, Pau et au Camp de Gurs dans les Pyrénées Atlantiques.
Photo : © 2007 Alain Azria
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Allocution d’Yvette Lévy, ancienne déportée
Drancy, le 16 juillet 2007
Au nom du CRIF que je représente, permettez-moi, avant tout, de remercier, à l’occasion du 65ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, l’ensemble des maires de Drancy.
La ville de Drancy a eu en effet, dès la fin de la guerre, un comportement exemplaire et les maires de cette ville ont fait tout leur possible pour sauvegarder ce lieu de mémoire avec ce monument hautement symbolique que nous devons au grand artiste Shlomo Selinger, lui-même ancien déporté.
Monsieur Jean-Christophe Lagarde, je tenais aussi tout particulièrement à vous remercier d’avoir repris, avec constance et coeur, le flambeau de la mémoire de la Shoah dans votre ville.
Aujourd’hui, nous sommes venus pour nous recueillir devant ce monument et devant ce wagon témoin, dédiés à ces victimes dont nous gardons le souvenir dans nos cœurs. Ce wagon matérialise les pages les plus sombres de notre histoire, celle de Drancy, celle de la France qui aurait perdue son âme en l’espace de quatre années, si une poignée de Justes n’avaient sauvé l’honneur.
En seulement deux ans, une soixantaine de convois français de déportés juifs sont partis de ce lieu même. 67 000 hommes, femmes et enfants juifs furent déportés à partir de Drancy sur les 76 000 Juifs déportés de France. 2 000 seulement en sont revenus, soit à peine 3%.
Faut-il le rappeler - entre 1940 et 1944, les Juifs de France, n'ont pas été persécutés par la seule puissance occupante. Ils ont été pourchassés, traqués puis déportés avec le concours et la collaboration de l'État français.
Et à l’horreur de cette rafle, suivie de nombreuses autres, s’est ajouté l’incompréhensible, la stupeur, la trahison : des policiers français ont réveillé au matin du 16 juillet 1942 près de treize mille juifs emmenés et gardés, dans des conditions indignes, au Vélodrome d'Hiver. Des gendarmes français les ont escortés jusqu'à Drancy – l’antichambre des camps de la mort. Des fonctionnaires français les ont livrés à l'occupant et à son entreprise de mort.
Pire encore, à la liste dressée par l’occupant, les autorités françaises ont pris l’initiative d’y adjoindre des enfants. Entre 4500 et 7000 policiers ont pris part à cette opération sans que les autorités d’occupation n’aient eu à y participer.
Pas un seul des 4051 enfants raflés n’a survécu.
Le pays où il fut déclaré que les hommes naissent et demeurent libres et égaux manquait alors à sa parole, à son honneur, à sa grandeur.
Il faut cependant rendre hommage aux quelques policiers qui ont eu le courage de désobéir aux ordres iniques de Vichy.
20 ans jour pour jour après le procès Barbie, mes pensées vont aussi aux 44 enfants juifs pensionnaires de la Maison d’Izieu dans l’Ain qui ont transité ici à Drancy avant d’être exterminés sans pitié.
Comment ne pas évoqué enfin ce tunnel creusé par des juifs internés, destiné à permettre l'évasion de tous les reclus. 14 membres de l'équipe de construction furent arrêtés et interrogés sous la torture. Le 20 novembre 1943, ils furent déportés.
Sur les quatorze, douze sautèrent du train et rejoignirent la résistance.
Mesdames et Messieurs, je voudrais pour conclure, rendre hommage aux justes de France.
C’est cette France des Justes que la République doit également continuer d’honorer. Cette France qui a résisté à un antisémitisme d’exclusion et d’appropriation, qui s’est élevée contre la privation de la nationalité française, contre le marquage de tous les juifs, hommes femmes, enfants, vieillards souvent anciens combattants, parfois même mutilés de guerre ou décorés. Ce ne sont pas uniquement des vies qu’ils ont sauvées, ce n’est pas seulement l’honneur de la France qu’ils ont rendu, mais surtout la dignité de l’être humain en des temps où l’optimisme était un luxe. Ces hommes et ces femmes d’exception ont su, au péril de leur vie, apporter l’étincelle d’humanité qui a fait alors tant défaut à l’Europe occupée.
Je vous remercie.
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Allocution d'Albert Roche, Président du CRIF Bordeaux Aquitaine
Aujourd’hui 16 juillet 2007, nous voici à nouveau réunis, comme chaque année, pour commémorer la rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942.
Déjà 65 ans. Le temps d’une vie.
Le temps qui jaunit les photos de jadis, rendant chaque année un peu plus irréel un événement tragique parmi bien d’autres de la Shoah. Et c’est précisément parce que le temps déforme et engourdit le réel qu’il faut témoigner, qu’il faut dire et redire, inlassablement les mots difficiles de l’épreuve suprême : la mise des juifs d’Europe au ban des hommes, prélude à la tentative d’extermination systématique du peuple juif par la folie nazie, relayée en France par le gouvernement de Vichy et de Pétain.
Il est aujourd’hui quelque peu difficile d’imaginer qu’un gouvernement représentant la France, comme l’a fortement déclaré le président Chirac en 1995, ait pu mettre au point et planifier la rafle de juifs et leur livraison aux assassins du national socialisme voisin, qui, ironie de l’Histoire, semble n’en avoir pas tant demandé, du moins en 1942. Citons le président Chirac : « ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français….le 16 juillet 1942, 4500 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la Capitale et en région parisienne, plus de dix mille hommes, femmes et enfants juifs, furent arrêtés à leur domicile, au petit matin… »
Ils furent en tout 13 152 juifs parisiens, dont 4 115 enfants. La plupart mourront à Auschwitz.
Le souvenir de ces évènements est encore vivace chez quelques rescapés, certains descendants ou collatéraux, et au-delà dans la communauté juive de France. Mais comment faire de cette tragédie un souvenir national, où tous ensemble, juifs et non juifs, se sentiront concernés par l’horreur. La difficulté tient évidemment au malaise d’une société française issue d’une dichotomie structurelle, culturelle et politique. Une France de la réaction, collaboratrice avec l’occupant ou comme le disait le président Chirac : « trahissant les valeurs et la mission de la France, le gouvernement de Vichy s'est fait le complice, parfois zélé, de l'occupant ». La France de Vichy donc, dans laquelle nombre de nos compatriotes se reconnurent, antisémite et raciste, face à la France de la Résistance, humaniste et progressiste, aux antipodes des préoccupations antisémites de Vichy, et qui n’abdiqua pas, qui préféra reculer à Londres, avec la général de Gaulle, ou à Bordeaux, capitale éphémère mais o combien symbolique d’une France libre, d’une France en espoir de libération.
Cette France déchirée a mis longtemps pour trouver le chemin de la réflexion, de la bénéfique autocritique. Elle se remet tout juste du traumatisme.
Car enfin, à la réflexion, est-il pensable de rafler des gens, de les rassembler en un lieu de dépersonnalisation totale, propice à l’éclosion de la folie, contagieuse, irrémédiable. Citons ce témoignage : « L'état d'esprit de ces hommes, femmes et enfants, entassés là, est indescriptible; des hurlements hystériques, des cris : "libérez-nous", des tentatives de suicide; ils se précipitent sur toi : "tuez nous, mais ne nous laissez pas ici", "une piqûre pour mourir, je vous en supplie", et tant d'autres, et tant d'autres…La plupart des internés sont malades (on est allé chercher même les opérés de la veille dans les hôpitaux, d'où éventrations, hémorragies etc.…Nous - assistantes sociales et infirmières - avons reçu comme consigne de
nos monitrices : "Surtout ne racontez rien de ce qui se passe ici au dehors !" C'est ignoble. On voudrait faire silence autour de ce crime épouvantable. Mais non, nous ne le permettrons pas. Il faut qu'on sache. Il faut que tout le monde soit au courant de ce qui se passe ici. »
Nous en sommes encore et toujours là ! il faut que le monde soit au courant de ce qui se passa là, un jour de l’été 42, au Vel d’Hiv de Paris, et qui déshonora la France, et l’humain dont nous nous réclamons tous.
Comme l’écrit Elie Wiesel : « Oublier c'est se choisir complice ». Mais l’oubli est aussi l’antichambre de la négation, de la dénégation. Il ne serait peut-être pas très grave que certains nient la Shoah ou les chambres à gaz, au nom de leur liberté d’opinion, si par là même ils ne transformaient pas les victimes en affabulateurs, quand ce n’est en profiteurs misérabilistes de la pitié du monde. Ajouter à la mort de la plupart, le soupçon de mensonge et la relégation dans la folie pour les rescapés, nous semble être définitivement une infamie. C’est dans cette optique qu’il faut lire et interpréter les foucades du président iranien Ahmadinedjad. Et dans cet axe qu’il faut comprendre son appel à la poursuite de la besogne commencée par les nazis. Mais voilà ! Le mal est fait, même s’il se pare des atours du ridicule. Le drame, c’est aujourd’hui un nombre croissant de jeunes français et européens, sans parler du monde arabe ou extrême oriental, qui pensent tout simplement que la Shoah est une pure invention, s’inscrivant dans le cadre d’un complot juif éternel. La Shoah est en passe d’être reléguée aux oubliettes des canulars de l’Histoire.
L’évocation du souvenir de la Shoah est devenue suspecte car salie du soupçon de manipulation. Mais il faudra clamer haut et fort, de génération en génération, le caractère universel de ce qu’ont vécut les juifs. Ils témoignent aujourd’hui non seulement du traitement qu’une partie de leurs frères humains leur a réservé, mais de toutes les souffrances endurées par les tous les faibles de l’Histoire humaine. Les Juifs portent la mémoire du genre humain, sans orgueil mais sans failles, car ils sont voués à la dénonciation de l’injustice, voués à l’« intranquilité » chère à Fernando Pessoa.
On peut s’interroger sur le sens du mot « rafle ». Ce mot renvoie à la notion de prise brutale, de main mise, d’accaparement, toujours avec une connotation de rapidité. On notera avec ironie que ce mot est d’origine… allemande. Les raccourcis de l’Histoire sont saisissants, et ne s’inventent pas. La rafle se comprend aussi comme un geste de spoliation volontaire, au sens proche de razzia : les biens des juifs ont souvent servi de prétexte, quand ce n’est de stimulant, à l’arrestation et à l’extermination de leurs propriétaires.
La vigilance est aujourd’hui à nouveau nécessaire lorsque de jeunes enfants pensent encore les juifs comme liés ontologiquement au monde de l’argent, au monde de la possession et de la consommation, et par là même de l’exploitation.
Il faut dire à ces jeunes pousses de la nation, à ces forces vives de demain que l’essence du peuple juif se situe dans un autre sens du mot rafle, probablement totalement insu des policiers et fonctionnaires zélés de Vichy : en botanique, la rafle est ce qui reste d’une grappe de raisin ou d’un épi de maïs, privé de leurs grains. Tel est ce peuple juif, à jamais privé de nombre de ses grains, « raflé » donc, mais dont le squelette tient encore debout, fragile mais solide, pour témoigner de la folie des hommes.
Dans la tourmente de ces jours austères où les juifs parisiens furent raflés et envoyés à la mort en Pologne, dans les trains de la SNCF, certains ont choisi une autre voie. Ce sont ces Justes qui réhabilitent notre pays et sa mémoire meurtrie. Partout, dans les administrations, dans la police, dans les universités, ou dans l’anonymat d’un environnement citadin, certains ont refusé les ordres donnés, ont averti leurs concitoyens juifs, les ont cachés, quelquefois littéralement sauvés de la mort promise. Ils sont la fierté de la France. Ils ont la reconnaissance éternelle du peuple juif. Parmi tous ces anonymes que le temps qui passe continue de retrouver et de célébrer, un homme hors du commun, le consul du Portugal à Bordeaux, Aristide de Souza-Mendès, qui délivra des milliers de sauf-conduits à des juifs surgis de nulle part, dans le même temps où Papon scellait à mort le destin d’autres juifs.
Que ces Justes sachent qu’ils affirment par leurs actes qu’il est toujours possible de refuser les ordres, et que la conscience humaine est sœur de la morale humaine.
Je vous remercie de votre attention