Le CRIF en action
|
Publié le 19 Décembre 2008

L’étude du Talmud au féminin comme clef du leadership…

En recevant mardi 16 décembre dernier, Sonia Sarah Lipsyc, la commission du CRIF « femmes dans la cité » a vécu un moment privilégié par la personnalité, le parcours exceptionnels de la conférencière et par le jaillissement de vie de sa démonstration bousculant tabous et fausses croyances qui jalonnent l’intégration des femmes au sein du judaïsme.


Dramaturge, metteur en scène, écrivain, elle a participé à quarante neuf entretiens sur des thèmes bibliques avec le rabbin Josy Eisenberg. Co-conceptrice de la soirée Thema sur ARTE consacrée à l’insurrection du Ghetto de Varsovie, last but not least elle est Docteur en sociologie et chercheur au CNRS.
Sonia Sarah Lipsyc ne se contente pas de cette riche biographie, l’exégèse juive est sa passion, elle continue d’étudier. On peut la retrouver sur Akadem notamment pour ses commentaires sur les « parachiot » de la Torah. Elle tient également régulièrement une chronique dans l’Arche sur l’évolution du statut des femmes au sein du judaïsme. Et elle est la directrice de publication d’un ouvrage sorti récemment, « Femmes et Judaïsme aujourd’hui », édition In Press.
Au premier abord, ce qui surprend dans son propos c’est l’érudition en totale conformité avec la doxa du judaïsme. Surprenant car encore inhabituel dans le propos féminin en judaïté.
Madame Lipsyc lutte pour l’avancée des droits des femmes au sein du judaïsme. Son engagement est sans concession. L’originalité de son combat vient du fait que son propos s’appuie toujours sur des textes, des Responsa d’autorités reconnues, en particulier orthodoxes. Son féminisme n’est en rien un cri de libération émotionnel et affectif.
Sa démonstration est rationnelle, et exigeante : pour vous libérer mesdames, quittez les marges où la tradition vous a maintenues dans certains domaines. Vous avez droit à l’étude et à la connaissance, vous en avez le devoir – à l’étude de toutes les sources, en particulier talmudiques et ce dès les lycées juifs !
Pour faire face à un pouvoir traditionnellement autoritaire où les docteurs de lois, les décisionnaires et les juges sont des hommes, les femmes se doivent de connaître la Loi (la « halakah »). De la connaître dans ses fondements, la Torah, le Talmud et son cheminement, les études des premiers et derniers décisionnaires. Il faut aussi refuser de croire comme le démontrent l’histoire et la réalité que le judaïsme surtout orthodoxe soit monolithique. Il faut étudier pour faire soi-même la part de sa propre vérité dans cette diversité.
Détaillant deux prises de position antinomiques entre deux rabbins orthodoxes sur le droit des femme de vote et d’éligibilité donc d’occuper des responsabilités, en l’occurrence les rabbins Ben Tsion Ouziel et Avraham Isaac Kook qui divergèrent sur ce point dans les années 20 au sein du « yishouv » juif en Israël[1], Sonia Sarah Lipsyc en s’appuyant sur des textes et leurs reponsa nous permet de pénétrer le raisonnement de chacun de ces deux rabbins, parcours initiatique édifiant.
Elle n’affirme pas, elle démontre. Elle pousse le courage intellectuel jusqu’à soumettre chacun de ses arguments au jeu dialectique de textes questions réponses de sommités rabbiniques.
Le judaïsme est pluriel. Dans un réel souci de mise en situation, Sonia Sarah Lipsyc brosse un rapide éventail de cette pluralité souvent mise sous le boisseau. Les quatre grands courants du judaïsme sont : L’Orthodoxe, le Conservative, le Liberal et le Reconstructionniste. Quant au courant orthodoxe, il est lui aussi traversé par des diverses sensibilités, des « Harédim » aux « Modern orthodoxes », qui présentent à chaque fois des ramifications pour l’interprétation des textes. En France pays du Consistoire napoléonien, cette richesse est parfois oubliée y compris au sein du courant orthodoxe majoritaire car telle est la tradition du Consistoire.
L’interdiction de la participation des femmes à l’étude ainsi qu’à l’élaboration de la loi n’est pas fermée en judaïsme. Elle est davantage le résultat de représentations sociétales, du poids de la société, de la tradition et d’interprétations figées qui dans un premier temps ont dispensé les femmes de l’étude avant de les en écarter voire les exclure en grande majorité du champ de l’étude talmudique, clef de la loi juive. Il a fallu le combat de femmes et d’hommes comme Sarah Shnierrer ou le Hafetz Haïm au début du 20ème siècle ou l’engagement du rabbin Joseph Ber Soloveitchik qui dispensa dans les années 70 un cours magistral de Talmud aux femmes pour que la situation ait changé, en particulier dans certains milieux en Israël ou aux USA.
Si on prend exemple sur cette évolution récente, on peut se rendre compte que les initiatives et l’acceptation sociétale des hommes et des femmes sont indispensables à l’évolution harmonieuse de nos communautés. Trop de femmes se sentant exclues cherchent ailleurs des compensations qui coûtent cher à la pérennité du judaïsme.
Bien souvent dans ces domaines de l’étude ou de leadership ou tout ce qui peut concerner la participation autonome et responsable des femmes, a priori la coutume y a crée quelques entraves. Mais à posteriori cela se fera.
Il nous faut nous arrêter là mais nous pourrions en écrire des pages. Merci Sonia Lipsyc en vous quittant nous avions toutes retenu de vos propos qu’il est inutile de se plaindre, la balle est avant tout dans le camp des femmes : étudier et étudier encore, se coltiner au texte et au « limoud » pour discuter en personnes averties et non simplement revendicatives.
Si dans l’antiquité le judaïsme a fait une place de choix enviable aux femmes, nous avons pris un sérieux retard par l’immobilisme inconsciemment consenti par les femmes elle mêmes. Nous vivons une période de basculement où tout est possible, tout est réalisable comme le dit une certaine publicité.
Alors mesdames au travail et à vos chères études juives !
Un immense merci pour cette respiration si pure madame Lipsyc. Vous êtes une bien grande dame. Merci.
Pour en savoir plus : voir son blog : http://soniasarahlipsyc.canalblog.com
Photo DR