Joseph Biglaizer, interné en même temps que ses deux frères, Srul et Luzer, écrit à sa femme en yiddish, la veille du départ, le 16 juillet :
« Ma bien-aimée Bayle et très chers enfants,
Je t’ai déjà écrit aujourd’hui mais, comme j’ai ma valise prête, je t’envoie une autre lettre pour que tu aies de mes nouvelles. Nous partons aujourd’hui, mon moral est très bon. Seulement je me soucie de vous, qu’on vous laisse en paix. C’est terrible, on a emmené ici des familles entières, de 16 à 45 ans, ils partent tous avec nous. On leur a pris les enfants. Ils n’ont cessé d’aller et de venir. Cela me fait énormément penser à Paris et je m’inquiète. Je te recommande d’être prête à toute éventualité. Essaie d’économiser le plus possible. J’ai peut-être une idée, demande à papa et maman de venir, les enfants resteraient encore à la maison. Je te dis cela parce que je suis perdu depuis deux jours. Assez, impossible à décrire. Que ma lettre te trouve encore. C’est fichu, nous devons avoir du courage. Sois forte ma chérie, tiens-toi, s’il y a encore une vie, rien n’arrivera. Seulement courage et force. Nous partons tout de suite, c’est pour ça que je suis pressé... »
Bayle ne recevra jamais cette lettre, qui sera remise à la concierge le lendemain 17 juillet. Elle a été arrêtée la veille avec les 4 enfants, Bernard 12 ans, Lucienne 10 ans, Maurice, 8 ans, Claude 3 ans, le jour même où Joseph part pour Auschwitz, d’où il ne reviendra pas. Quand la lettre arrive, ils sont au Vel d’Hiv.
Charlotte Biglaizer, leur nièce, dont le père Luzer a été déporté un mois auparavant, raconte ainsi l’arrestation, le 16 juillet :
« C’était l’été, il faisait très, très chaud, nous étions serrés dans la maison, terrorisés.
On entendait de tous les côtés frapper aux portes d’une manière terrible. Je me rappelle avoir entendu mes cousins crier : « Maman, qu’est-ce que je mets comme vêtements ? Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce qu’on emmène ? »
Des crises d’hystérie. C’est un souvenir terrible… » .
Bayle et ses 4 enfants sont internés à BR. Trois semaines plus tard, ils sont déportés, le 17 août 1942, par le convoi 20.
Charlotte raconte :
« Ma tante Bayle était une femme très énergique. Il paraît qu’elle n’a pas voulu quitter ses enfants et qu’elle a réussi à partir dans le même convoi qu’eux, avec trois autres enfants Biglaizer. Il y avait donc 7 enfants Biglaizer dans le même convoi : ses 4 enfants et les 3 –Madeleine 8 ans, Rachel 5 ans et Georges 7 ans, de son frère Srul, qui avait été interné à Beaune-la-Rolande… »
La sœur de Joseph, Chana Roitman, est également déportée avec ses trois enfants, Anna 16 ans, Jacob et Gerschel jumaux de 12 ans, le 5 août 1942, par le convoi 15.
Son autre sœur, Szyfra, déjà veuve de guerre, est déportée en 1943 avec ses trois enfants, Adolphe 11 ans, Berthe 9 ans, Paul 3 ans en 1943, par le convoi 55.
Leurs parents, Aron et Sura, sont déportés par le convoi 58.
Ainsi, des cinq frères et sœurs Biglaizer et de leurs familles (13 enfants), seuls la femme et les enfants de Luzer ont survécu, cachés à Paris.
Charlotte, fille de Luzer, termine ainsi son témoignage :
« Ma mère n’a pas été déportée, mais elle est morte de la déportation. Elle pleurait constamment. Elle est morte en 1949, elle avait 36 ans…
Treize enfants de notre famille ont été déportés. Nous sommes les seuls survivants de toute la famille Biglaizer. Je suis le seul témoin. Plus aucune trace, depuis les grands-parents jusqu’au plus petit des petits-enfants, sauf Rachel, Jacquot et moi : nous sommes les seuls enfants Biglaizer qui soyons restés, par miracle. »
Rachel s’est suicidée.
Charlotte est morte en 2005
Photo : © 2011 Alain Azria