En préambule, Jean-Pierre Allali, membre du Bureau Exécutif du CRIF et coordinateur, pour la France, de l’action de la JJAC, a tenu à préciser que cette manifestation n’était en rien dirigée contre la Tunisie. « Nous aimons passionnément notre pays natal, a-t-il dit. Le nombre de Juifs tunisiens qui, chaque été, retourne en Tunisie à la période des vacances, en témoigne. Mais nous avons, vis-à-vis de nous-mêmes et de nos enfants un devoir de mémoire et de justice. Nous devons clairement établir les raisons du départ, en quelques années, de la quasi totalité des 120 ou 130 000 Juifs établis en Tunisie depuis la plus haute antiquité, bien avant l’arrivée des Arabes ».
Après la projection du film de Nedjma Scialom « Tunis-Paris », document nostalgique où l’on voit, sur fond d’apparitions épisodiques pleines d’humour caustique, de Michel Boujenah, les exilés « tunes », raconter leur difficile intégration en France où les frimas ont remplacé le soleil des plages et la brise marine, un débat animé parle journaliste Jean Corcos a réuni Jean-Pierre Allali, Armand Attal, André Nahum et Claude Sitbon.
Au fil des interventions, il est apparu que les causes de l’exil des « Tunes » n’ont pas été uniques. Elles se sont multipliées de 1954, date de l’accession de la Tunisie à l’autonomie interne à 1967, avec les graves incidents antisémites qui se sont déroulés en juin, notamment la mise à sac de la Grande Synagogue.
Des dates importantes ont été relevées et des événement marquants mis en évidence : la dissolution du Tribunal rabbinique en juillet 1957, la parution au Journal Officiel, le 11 juillet 1957 de la loi, portant signature du président Habib Bourguiba, décrétant la dissolution du Conseil de la Communauté Juive de Tunis, l’affaire de Bizerte, en 1961 et, enfin les retombées locales des guerres israélo-arabes, dont celle de 1967. Sans oublier l’expropriation du cimetière juif de Tunis et sa transformation en jardin public ou encore la démolition, pour cause de rénovation urbaine, de la Grande Synagogue de la Hara.
Les orateurs étaient assez unanimes à considérer que par petites touches discrètes et successives : taxations, contrôles fiscaux tatillons, licences commerciales distribuées au compte-gouttes, carrières de fonctionnaires juifs bloquées, on a poussé les Juifs vers la sortie.
Chacun a donné des exemples personnels édifiants. Ainsi, Armand Attal, alors jeune professeur, qui se voit bridé par ce que l’historien, feu Paul Sebag, désignera dans l’un de ses ouvrages comme la « préférence musulmane ».
Après une série d’interventions des orateurs répondant aux questions du modérateur, un échange, souvent très animé, s’est fait avec la salle.
Le président du CRIF, Richard Prasquier, qui honorait de sa présence la soirée, a évoqué sa vision des choses, parlant de la différence de proximité et d’attachement au territoire natal entre le Polonais de naissance qu’il est et ces « Tunes », si viscéralement amoureux, un demi-siècle après l’exil, de leur chère Tunisie. Puis, le président du CRIF a posé une question essentielle : « Peut-on considérer ces Juifs qui ont quitté la Tunisie comme des réfugiés ? » Pour Jean-Pierre Allali, il convient d’abord de distinguer entre ceux qui disposaient de la nationalité française ou d’une autre nationalité européenne, qui ont bénéficié de toute l’aide logistique et financière de leurs pays et ceux, la majorité, qui étaient des citoyens tunisiens qui n’ont été autorisés à transporter que leurs valises soigneusement fouillées et l’équivalent d’un euro actuel. Parmi ceux-là, il y a qui ont choisi Israël et dont on peut supposer que la fibre sioniste a prévalu et les autres, ceux qui, cinquante mille environ, ont opté pour la France. « Ceux-là, souvent des petites gens, qui ont connu l’humiliation des queues interminables à la préfecture pour l’obtention de titres de séjour et de travail, qui ont vécu pendant des années dans des chambres de bonne ou par terre, entassés dans des chambres exiguës prêtées par des familles ou des amis, à Belleville, Sarcelles ou Montmartre, qui ont subsisté misérablement et qui, avec courage, ont refait patiemment leur vie, oui, ils ont été des réfugiés ». Pour Claude Sitbon, venu tout spécialement d’Israël, « Pour ceux qui ont choisi Israël, les larmes de l’exil ont cédé la place aux lumières de l’exil ». André Nahum a fait un subtil parallèle entre les réfugiés palestiniens et les réfugiés juifs originaires des pays arabes, considérant qu’il y a eu là un échange historique de fait entre deux populations et cela, a-t-il martelé, « il faut que nos amis, nos frères arabes le comprennent et l’admettent ».
Autre constatation unanime, le gommage, dans les esprits des jeunes générations tunisiennes, jusqu’à une période très récente, de l’existence d’une communauté juive ancestrale, dynamique et prospère.
Minoritaires dans le public, certains ont voulu témoigner d’opinions divergentes : telle personne qui, dans les années soixante, quoique juive, a été recrutée comme hôtesse de l’air dans une compagnie tunisienne, alors que son époux, sportif de haut niveau, représentait la Tunisie dans des compétitions internationale, telle autre, qui vit toujours en Tunisie et qui s’y trouve bien ou encore cette troisième, signalant aux personnes disposant encore de biens dans le pays, qu’elles peuvent facilement les vendre et récupérer leurs avoirs.
Autour du stand libraire, les « Tunes » ont continué à évoquer chaleureusement leurs souvenirs au delà de minuit.
Une très belle manifestation mêlant les retrouvailles à la culture. La soirée du 20 novembre sera consacrée aux Juifs du Yémen et celle du 5 décembre aux Juifs de Libye. Nous y reviendrons.