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Cette histoire, l’Assemblée nationale la connaît bien.
C’est en partie en son sein, qu’elle s’est écrite.
Ne l’oublions pas : l’émancipation des Juifs de France, fut l’un de ses premiers débats.
C’est à l’Assemblée nationale qu’en 1789, l’érudit Beer Isaac Beer, demanda aux premiers représentants de la Nation de « déchirer le voile d’opprobre qui couvrait depuis si longtemps les juifs de France ».
C’est à l’Assemblée nationale, que deux ans plus tard, le député Adrien Duport proposa que les Juifs se voient reconnaître la qualité de citoyens. Certains tentèrent de s’y opposer, mais le Président de l’Assemblée de l’époque, les avertit : « ceux qui parleront contre cette proposition, (…) c’est la Constitution elle-même qu’ils combattront ».
C’est à l’Assemblée nationale que fut finalement votée, le 27 septembre 1791, la loi attribuant aux juifs de France, le statut de citoyens.
Dans toute l’Europe, se propage alors une expression yiddish : « Heureux comme un juif en France ».
Cette histoire commune, s’incarne également dans les visages et les destins de plusieurs représentants de la Nation.
Ces députés qui défendirent la République et, qui parfois - et qui souvent - durent affronter l’antisémitisme, y compris sur nos bancs.
Je pense à Léon Blum, élu à la tête du Front populaire, alors que le régime nazi venait de voter les lois de Nuremberg.
Je pense à Jean Zay, qui après s’être battu pour l’école publique, démissionna pour aller combattre les forces ennemies.
Je pense à Georges Mandel, qui ne cessa de mettre en garde les députés face à la montée du nazisme.
Je pense à Pierre Mendès France. Je pense à Simone Veil. Je pense à tous ces députés qui font la fierté de notre Assemblée et de notre pays.
Ils sont, plus que jamais, les représentants de la Nation. Car ils incarnent, par-delà leurs mandats, tous ces hommes, toutes ces femmes, tous ces Français - célèbres ou anonymes - qui se sont battus pour la République et ses valeurs.
Bien sûr, il s’échappe également de notre Assemblée, des souvenirs bien plus sombres ; des propos, des paroles d’une horreur inouïe ; des votes qui resteront à jamais gravés comme autant de flétrissures, dans notre hémicycle.
Nous nous souviendrons toujours, de cette journée funeste, du 10 juillet 1940, où malgré la résistance de quelques-uns, une majorité décida d’éteindre le dernier flambeau de la République ; et de plonger notre pays, dans l’obscurité la plus terrible. Nous connaissons tous ici les lois et les crimes qui s’ensuivirent.
Aujourd’hui, l’antisémitisme a heureusement quitté notre hémicycle. Mais s’il n’est plus sur nos bancs, il frappe encore à nos portes.
Dimanche dernier, il prenait part à un défilé dans les rues de Paris. Avec ces slogans : "Juif, la France n'est pas à toi", "Faurrisson a raison, la Shoah c'est bidon".
Cet antisémitisme, il veut s’installer dans nos villes, dans nos quartiers, dans nos écoles.
C’est une chose à laquelle je ne puis me résoudre que 70 ans après la Shoah ; que 69 ans, quasiment jour pour jour, après qu’Auschwitz ait été libéré - révélant ainsi ses terribles vérités - la page de l’antisémitisme ne soit pas tournée.
Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes. Les années 80 et 90 nous avaient mis en garde.
A raison. Les années 2000 nous ont plongés dans un terrible paradoxe. Alors que la France n’a jamais été aussi diverse, aussi ouverte, aussi tolérante ; alors que jamais les Français n’ont rejeté, autant en masse, l’antisémitisme – sans doute grâce au travail de mémoire effectué dans notre pays - ; jamais les extrémistes n’ont été aussi violents.
Jamais les mots prononcés, les actes commis n’avaient atteint une telle intensité.
En 2006, un jeune français, Ilan HALIMI, a été kidnappé, torturé, et assassiné en France parce qu’il était juif.
En 2012, des enfants français – Myriam MONSONEGO, Jonathan SANDLER, Arieh SANDLER – et le père des deux garçons - le rabbin Jonathan SANDLER - ont été assassinés en France parce qu’ils étaient juifs.
Nous le savons tous ici : ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’avenir de la République et de la France.
Oui, l’avenir de la République est en jeu. Parce que dans notre histoire, l’antisémitisme ne grandit que quand la République vacille.
Oui, l’avenir de la France est en jeu.
Parce que les juifs de France - comme chacune des familles de notre patrie - portent en eux une part de l’identité et de l’histoire de notre pays.
Voilà pourquoi - je ne cesse de le répéter - : tout acte antisémite commis sur notre territoire, est un acte antifrançais. Tout meurtre antisémite est un meurtre antifrançais.
Et lorsque la communauté française est attaquée, c’est à la communauté française de répondre, dans l’unité.
Faire face à l’antisémitisme, comme nous devons faire face à tous les racismes : voilà notre combat.
Pour cela, nous devons être intraitables avec l’antisémitisme, et cela quelle que soit sa forme.
Nous avons assisté, ces dernières semaines, à des débats un peu étranges : « Peut-on rire de tout ? », « La parole sur scène est-elle sacrée ? », « La liberté d’expression est-elle en danger ? ».
Alors, laissez-moi être parfaitement clair.
L’antisémitisme est un délit.
Ce n’est ni une opinion, ni une expression, ni une forme d’humour.
Un délit ça ne se justifie pas. Ça ne s’excuse pas. Ça ne se comprend pas.
Un délit, ça se condamne.
Un délit, ça se punit.
Voilà pourquoi nous devons avoir recours à tous les moyens juridiques pour empêcher et condamner toute expression antisémite. De même, que nous devons tout mettre en œuvre – y compris par la voie législative – pour qu’aucun auteur d’actes antisémites ne puisse se soustraire à la justice.
Oui, nous devons être inflexibles, face à tout acte, tout propos, toute parole, tout geste antisémite. Toute « blague » antisémite. Parce que le rejet et la haine de l’autre, ça commence toujours par une mauvaise blague.
Ne laissons jamais l’idée s’installer qu’ « après tout ce n’est pas grave… ce ne sont que des mots… ça ne tue pas ».
Bien au contraire. Les mots sont des « pistolets chargés » comme l’écrivait le philosophe Brice Parrain.
Ces mots antisémites, sont des mots qui menacent et qui blessent la Nation et la République.
Voilà pourquoi je suis fier que la France ait décidé de s’engager pleinement dans le combat contre la diffusion de tels messages et de tels propos. Il était temps de mettre un coup d’arrêt à leur propagation.
Je tiens à saluer, à ce titre, la récente décision du Conseil d’État, qui a permis l’interdiction concrète d’un spectacle portant atteinte à la dignité humaine et à la cohésion nationale.
Oui nous devons être intraitable avec l’antisémitisme, quelle que soit sa forme. De même, nous devons être intraitable avec lui, quel que soit son visage. Car on le sait : il n’y pas un antisémitisme mais des antisémitismes. On en distingue déjà au moins trois.
D’une part, un vieil antisémitisme qui a toujours été présent, et plus ou moins vivace, sur notre territoire. Un antisémitisme héritier des années 30. Un antisémitisme qui vient de l’extrême droite. Un antisémitisme virulent, qui aime défiler et mener des campagnes antisémites.
D’autre part, existe un antisémitisme nourri au fondamentalisme religieux. Un intégrisme en contradiction, la plus totale, avec les valeurs de l’Islam.
Un intégrisme qui jette injustement l’opprobre sur les musulmans de France.
Eux qui par millions, pratiquent chaque jour leur religion dans la paix et le respect.
Eux qui souffrent si souvent d’être stigmatisés et assimilés à tout ce qu’ils exècrent.
Eux qui portent également, en eux, un fragment de l’identité et de l’histoire de notre pays.
J’en profite pour saluer tous les représentants de l’Islam qui sont présents ici ce soir.
Enfin, depuis quelques années, émerge une nouvelle forme d’antisémitisme. Un antisémitisme, peut-être encore plus effrayant et plus dangereux. Car il tente de réaliser la synthèse des antisémitismes. Cet antisémitisme nouvelle mode, ces antisémitismes en fusion, défilaient dimanche dans les rues de Paris.
C’est un antisémitisme qui refuse pour partie de se reconnaître comme tel. Mais qui montre, chaque jour, un peu plus son vrai visage. Un antisémitisme dont le geste de ralliement, ressemble étrangement à un salut nazi dirigé vers le bas. Un antisémitisme qui aime « plaisanter » sur les chambres à gaz. Un antisémitisme qui s’est donné pour masque l'« antisionisme ».
Oui, affronter l’antisémitisme, c’est aujourd’hui le voir derrière son masque.
C’est aussi l’affronter quel que soit le terrain et l’endroit. C’est refuser, en particulier, qu’Internet devienne peu à peu une zone de non droit. Car quand le « post », quand le « tweet », quand le « chat » se font antisémites, Internet devient un territoire perdu de la République.
Je partage à ce titre, pleinement l’avis du Président Cukierman : les hébergeurs portent une grave responsabilité lorsqu’ils acceptent des vidéos à caractère antisémite.
Une chose est sûre : tant au niveau européen qu’au niveau international, il est urgent de renforcer la coopération entre les États.
Mesdames et messieurs, je vous l’ai dit : nous devons être intraitables vis-vis de l’antisémitisme, quels que soient sa forme, son nom, son média, son visage.
Mais soyons sans illusion : nous ne pourrons pas gagner ce combat, si parallèlement nous n’asséchons pas le terreau sur lequel il se développe et grandit.
Pour cela, nous devons, chacune et chacun à notre niveau et en fonction des responsabilités qui sont les nôtres, agir.
D’abord, nous devons tout faire pour que le conflit israélo-palestinien cesse d’être un produit d’importation. Et qu’à l’avenir, personne ne puisse devenir un combattant par procuration.
Je le dis solennellement : ici, c’est ici ! Là-bas, c’est là-bas !
Bien sûr cela ne veut pas dire que les juifs de France ne peuvent pas avoir un attachement profond à Israël. Cet attachement, cet amour, vous n’avez pas à vous en expliquer. Comme vous n’avez pas à vous justifier de votre amour à l’égard de la France.
Et je vais même vous faire une confidence. Je suis Président de l’Assemblée nationale. Je suis patriote. J’ai un amour indéfectible pour la France, ce pays qui m’a accueilli quand j’avais 9 ans.
Et dans le même temps, j’ai une tendresse intacte pour la Tunisie, la terre où je suis né. Ce pays magnifique que je vois en ce moment même marcher vers la démocratie. Ce pays qui vient, pour mon plus grand bonheur, d’adopter une Constitution qui ouvre la voie à toutes les espérances.
J’ai une tendresse intacte pour l’Italie, la terre de mon père. J’ai une tendresse intacte pour Malte, la terre de ma mère. Comme l’écrivait Marc Bloch : "C'est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d'une tendresse".
Mais pour le reste, je le répète : ici c’est ici et là-bas c’est là-bas. Oui là-bas il y a un conflit.
Et la diplomatie française joue le rôle qui est le sien notamment en réaffirmant que la sécurité de l’État d’Israël ne saurait être menacée. De même, elle joue son rôle lorsqu’elle souligne par la voix de notre Président de la République, qu’il est indispensable de garantir la création d’un État palestinien viable et souverain, vivant en paix et en sécurité aux côtés de l’État israélien.
Mais ici ce n’est pas là-bas. Dans notre pays, nous devons refuser que le peuple français puisse, d’une manière ou d’une autre, se diviser, se déchirer, s’affronter. Dans notre pays, nous devons au contraire montrer que nous sommes capables de nous rassembler. Nous devons donner au monde - et singulièrement aux israéliens et aux palestiniens - l’exemple d’une société unie, autour des mêmes valeurs. Une société, où l’on peut vivre ensemble, quelles que soient nos croyances, nos origines, et notre couleur de peau. Oui, nous devons être une source d’inspiration.
Si nous voulons tarir les sources de l’antisémitisme et du racisme, nous devons également faire en sorte que la société arrête de flatter les instincts mauvais de nos compatriotes. Comme le dit très justement le journaliste Frédéric Haziza - auquel je tiens à exprimer une nouvelle fois, publiquement, mon soutien - : « on dit que la parole se libère, en réalité elle s’avilit ».
C’est aux parents et à l’école, qu’il revient aujourd’hui de faire en sorte que nos enfants ne pensent pas à « se lâcher » mais, plutôt « à s’élever ».
Nous devons œuvrer à ce que nos enfants connaissent notre histoire. Qu’ils n’oublient pas les crimes et les horreurs du passé.
Je sais à quel point le CRIF accomplit, à ce titre, un travail remarquable.
Nous devons également leur apprendre à refuser toute espèce de concurrence des mémoires.
Qu’ils connaissent, au contraire, ces instants de fraternité.
Qu’ils connaissent l’histoire d’Abraham Bloch, le grand-rabbin de Lyon, tué pendant la Première guerre mondiale alors qu’il apportait à un blessé chrétien, un crucifix. Qu’ils entendent l’histoire de Léopold Sédar Senghor qui se mobilisa contre la montée du fascisme.
Qu’ils sachent l’histoire de Mohammed V, roi du Maroc, qui refusa l’application des lois de Vichy dans son royaume, et qui sur son lit de mort, fit promettre à son fils de veiller « au salut de la communauté juive ». Qu’ils écoutent l’histoire de ces musulmans, de ces justes, dont les patronymes figurent aujourd’hui parmi les 25 000 noms du mémorial de Yad Vashem.
Qu’ils mesurent le courage de l’Abbé Antoine Corriger, curé de Chaumontel, en Val-d'Oise, qui cacha une quinzaine d’enfants et d’adultes juifs dans les sous-sols des locaux paroissiaux, comme l’ont fait de nombreux « Justes parmi les nations ».
Qu’ils contemplent l’image du pasteur Martin Luther King marchant avec le rabbin Abraham Heschel en tête de la manifestation de Montgomery.
Enfin et surtout, pour assécher à jamais les sources de l’antisémitisme, nous devons susciter et renforcer le sentiment d’appartenance à notre Nation.
Aujourd’hui, comme hier, les marchands de haine tentent de séduire des jeunes livrés à eux-mêmes.
Des enfants incapables de trouver leur place dans la société ; des jeunes qui n’arrivent pas à comprendre le monde qui les entoure. C’est à ce moment-là que certains de nos jeunes, commencent à s’enivrer de visions manichéennes, d’explications simplistes, de théories du complot, de doctrines fanatiques délivrées clef en main.
Veillons ensemble sur les enfants de la République, faisons en sorte que chacun d’eux trouve sa place dans notre société, dans notre pays, et dans notre histoire. Faisons en sorte qu’ils soient à jamais fiers et heureux d’être français.
Ce n’est pas rien d’être français. Ce n’est pas rien de contribuer à l’histoire de ce pays, qui a accueilli tant de personnes présentes ce soir dans cette salle. Ce pays qui est l’un des plus généreux, des plus tolérants et des plus hospitaliers du monde.
Être français, ça nous honore.
Être français, ça nous oblige.
Parce que nous sommes les héritiers de cette histoire de France. Les héritiers de cette France des Lumières, de cette révolution française. De cette révolution, dont le rabbin de Nîmes, lors d’un service célébré dans sa synagogue à l’été 1889, a dit : « c’est notre sortie d’Egypte. C’est notre Pâques moderne ».
Nous devons être à la hauteur de cet héritage. A la hauteur des valeurs de la République.
Chacun à notre manière, nous nous y essayons.
Je sais que le CRIF Rhône Alpes, qui regroupe près d’une quarantaine d’associations, y œuvre d’ailleurs à sa manière.
Lors de son procès organisé en 1942, par le régime de Vichy, Léon Blum déclara : « nous sommes dans la tradition de ce pays depuis la Révolution Française. Nous n’avons pas interrompu la chaîne, nous ne l’avons pas brisée, nous l’avons renouée et nous l’avons resserrée ».
Mesdames et Messieurs, chers amis, puissions-nous, un jour, pouvoir en dire de même.