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Nous tous, qui sommes rassemblés ici, une fois encore, ressentons au plus profond de notre être qu’il n’est pas d’humanité possible, qui puisse s’affranchir des balises heureuses, ou parfois tragiques, qui bordent nos chemins de vie.
Être présent au monde, c’est cela.
Naturellement, il est agréable, et très vivifiant de célébrer de joyeux évènements !
Mais il est aussi essentiel, d’attacher de la valeur au souvenir et au dépassement de nos peines.
Loin du divertissement auquel nous invite le mois de juillet, nous toutes, et nous tous, qui avons souhaité manifester le lien, vif et très affectueux, qui nous unit aux victimes de la rafle du Vel’ d’Hiv, voulons ainsi témoigner, que chacune et chacun d’eux, vit encore dans nos cœurs, victorieusement.
Le « Devoir de Mémoire », c’est cela.
Voici 21 ans seulement, que la France s’est libérée d’une amnésie d’un demi- siècle, qui occultait la tragédie du Vel’ d’Hiv. Il faudra encore attendre la Loi du 10 juillet 2000, pour que la République française confère enfin toute sa puissance institutionnelle, à la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français, et d’hommage aux « Justes » de France.
L’intime dialogue qui nous relie à nos martyrs, se donne aujourd’hui en partage, à la Nation tout entière.
C’est désormais la France, qui a un rendez-vous annuel avec sa conscience, comme chacun d’entre nous l’avait déjà.
Telle est bien la valeur particulière de cette commémoration, qui engage plus que toute autre, et oblige à se soumettre à l’épreuve de vérité : qu’aurais-je fait ?
Oui, qu’aurais-je fait, moi-même, à l’aube blême du jeudi 16 juillet 1942 et jusqu’au soir du 17, alors que 4500 policiers et gendarmes français, requis par le régime dictatorial de Pétain arrêtaient à leur domicile 13.152 juifs, pour les conduire au vélodrome d’hiver ?
La question est décisive : elle appelle une réponse, qui engage au plus profond de soi.
Comment bien concevoir d’ailleurs, quelles auraient été nos préoccupations, au temps de ces années fauves, durant lesquelles les valeurs judéo-chrétiennes, qui sont au fondement de nos sociétés et les droits démocratiques qui en régissent les libertés, n’avaient plus cours ?
À la stupeur de l’effondrement de la Troisième République, de la défaite de nos armes, et de la détresse matérielle, de tout un peuple bousculé par l’exode et les privations alimentaires, s’ajoutait alors l’abaissement moral, imposé par l’occupant, secondé par de zélés collaborateurs.
Comment imaginer en 2013, ici à Grenoble, à l’abri de notre armée et de notre police, en présence de nos représentants élus, et de nos plus hauts fonctionnaires revêtus de leurs uniformes, que l’autorité bienveillante et protectrice de l’État était alors - en 1942 - un bienfait, qui nous manquait ?
Pire encore, une apparence d’État – devenu illégitime - voulait subsister.
Fallait-il donc ajouter ce déshonneur à la défaite ?
Puisque la France, par la disgrâce de sa capacité à contenir et à vaincre, l’assaut brutal des nazis, avait cessé d’être la Nation libre que nous chérissons, fallait-il encore qu’elle se compromette, à des renoncements, bientôt mutés en consentements, pour devenir collaboration.
Ici même, à Grenoble, il est vertigineux de penser que l’occupation italienne, nous donne de conserver précieusement le souvenir du Général Maurizio de Castiglioni, s’opposant à des rafles de Juifs, engagées par des agents de la dictature pétainiste !
À Paris, en ce mois de juillet 1942, la vérité dérangeante entre toutes, est que la France, par l’entremise de son gouvernement scélérat, fut hélas la complice du criminel enlèvement d’une multitude, condamnée à la mort, du seul fait d’être Juive.
Comme le souligna, il y a maintenant 18 ans, le Président de la République, « la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ».
Devançant les ordres criminels de l’occupant, ce sont Laval, assisté de Bousquet et de Darquier de Pellepoix, qui ajoutèrent à l’abjection, en recommandant de n’épargner personne, pas même les enfants.
4115 enfants, furent ainsi emmenés seuls, séparés de leurs parents, dans les camps de transit, de Pithiviers et de Drancy, jusqu’aux camps d’extermination, situés dans l’actuelle Pologne.
Livrant aux bourreaux ses protégés, notre Nation venait à manquer au respect même, de ce qui fonde son identité.
Me vient à l’esprit, le douloureux cri d’alerte lancé par le Père Gaston Fressard, aux prémices de l’abaissement français :
« France, prends garde de perdre ton âme ! ».
Défaite spirituelle, à l’intérieur de la défaite matérielle, la ligne du conflit, au temps des années noires, passait par le cœur de chacun.
On a toujours, la possibilité de faire le choix du Bien, même dans les situations les plus désespérées, au plus profond du dénuement, lorsque même la Providence semble devoir nous ignorer ;
On a toujours, la possibilité de faire le choix du Bien, mais qu’aurais-je fait, moi, individuellement, alors que l’immense machine de domination, installée sur le continent, tenait tout, sous son occupation militaire et policière, ne laissant aucun territoire à la Liberté.
Qu’aurais-je fait, alors que nos couleurs, nos ministères et nos mairies, nos tribunaux, notre Police, nos fonctionnaires et aussi nos Entreprises, nos industries, nos fermes et nos champs, nos chemins de fer et nos routes, tout, absolument tout, était réquisitionné par l’occupant et ses valets, pour asservir la France et les Français, à devenir les supplétifs de l’obscure force, qui s’était emparée dix ans auparavant de l’Allemagne.
À la veille des préparatifs de la Rafle, aurais-je été, ce Commissaire de police parisien, qui donnera les alertes de départ immédiat, pour des familles juives ciblées ?...
Au petit matin du 16 juillet, lorsqu’à 5 heures du matin arrivent les premiers fourgons de police, et bientôt les bus réquisitionnés, aurais-je été, cette concierge, qui s’élance rapidement dans les étages de son immeuble, pour recommander à ses locataires juifs, de faire silence dans leurs appartements, avant que de feindre leur absence devant ses interrogateurs ?...
Aurai-je été, l’une des sœurs Cathala, envoyées à l’intérieur même du Vel’ d’Hiv, munies de faux certificats d’assistantes sociales, par le Mouvement national contre le racisme, afin de secourir, s’il était encore temps, ceux qui n’avaient pu échapper à l’enfermement ?...
Oui, on a toujours, le choix du Bien contre le Mal, et cependant, qu’aurions-nous fait durant ces journées, qui nous appellent à des choix radicaux, qui peuvent sceller notre destinée – et aussi, tant d’autres destinées- en une fraction d’instant.
Comment ne pas penser dans cet instant de fulgurance - comme l’a si bien mis en scène Jean Anouilh - à l’insurrection sacrée qui mobilise Antigonne, défenseure d’un ordre juste, face à la tyrannie de Creon ?
Ces femmes et ces hommes, parfois encore des enfants, ont été assez nombreux, pour nous assurer, que la plus petite lumière, parvient à déchirer l’immensité des ténèbres, que la vie contenue dans une simple graine, trouvera à se frayer un chemin, au travers de l’hostilité minérale d’un sol pavé, pour faire éclore un brin d’herbe libre.
Depuis 1963, l’État d’Israël et le Mémorial Yad Vashem de Jérusalem, a souhaité célébrer l’exemple que toutes et tous, nous donnent et les remercier d’avoir agi en pleine liberté, pour le secours des Juifs :
Cohorte sacrée, qui nous invite à faire grandir l’humanité qui est en nous, ce sont les Justes parmi les nations.
Durant ces cinquante années, ce sont 3654 Justes de France, qui ont été dénombrés, parmi lesquels plus d’une centaine d’Isérois. Animés de convictions spirituelles et religieuses, ou encore, parfois simplement pétri d’humanité, tous ont en partage d’avoir répondu à l’appel des circonstances, dans lesquelles les avaient placés la Providence.
Secrétaires de mairie, pourvoyeuse de papiers d’état civil ; gendarmes demeurés fidèles à la protection de la population, quand le crime, la spoliation, les abus de toute nature, sont commandités par l’autorité illégitime ;
Supérieures de Couvents – comme à Notre Dame de Sion- qui cachèrent familles et enfants, guidés par Sœur Denise Paulin-Aguadich, efficace agent de l’OSE ;
Communautés villageoises entières, comme à Le Gua, tous les Justes ont en commun, cette extrême élégance, cette simplicité humaine, cette noblesse pour tout dire, d’avoir été des héros, et toujours au péril de leur propre vie, et de celle de leurs proches, comme nous le rappelle cruellement, la déportation de dizaines de familles Drômoises ou Ardéchoises ; des héros véritables donc, qui se pensaient comme ne faisant seulement, que leur simple devoir d’humain.
Le remarquable travail scientifique, accompli par les équipes du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, et la Maison des Droits de l’Homme de la Ville de Grenoble, nous a donné, tout au long de l’année 2012-2013, la chance de découvrir, les beaux visages lumineux de ces Justes de l’Isère, dans une muséographie de très grande qualité, et un cycle de spectacles et manifestations culturelles et cinématographiques, qui ouvrent nos esprits et nos cœurs sur cet « Insondable Mystère du Bien », qui toujours vient réparer notre Humanité abîmée.
Nous gardons tous encore en mémoire, le souvenir ému de cette belle cérémonie, qui nous a réunis, le lundi 6 mai dernier, autour des descendants de Pierre et Marie Charles, d’Allemont, de Gabriel et Louise Ferrand, d’Eydoche aussi en Isère, de François et Henriette Lizzardi de Chambéry, de Jean-Baptiste et Marie-Louise Palluel-Blanc de Hauteluce, et de Charles et Alice Perrier et de Marie Expert-Ranque de Sainte-Hélène du Lac en Savoie, qui recevaient à titre posthume, du Comité français pour Yad Vashem, la médaille et le diplôme de Justes parmi les Nations.
Ainsi qu’il est souligné dans le livre d’Isaïe 56.5 « Et je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs, un mémorial (YAD) et un nom (Chem), qui ne seront pas effacés ».
Parmi les belles figures, également, qui ont éclairé notre année dédiée aux Justes, c’est celle d’Aristide Sousa-Mendes, Consul général du Portugal à Bordeaux, que le CRIF Dauphiné-Grenoble et le Musée de la Résistance, avons voulu spécialement révéler au public, par l’ampleur de son initiative qui procura, 30 000 visas en 9 jours à des réfugiés, parmi lesquels 10 000 juifs. Au mépris du péril encouru pour sa famille et lui-même, le Consul proscrit de juin 1940 a ainsi osé « mettre ses impératifs de conscience, au-delà de ses obligations de fonctionnaire ».
Son acte décisif a permis que le fil de la vie jamais ne se rompe. Ses valeurs demeurent agissantes aujourd’hui encore, au sein d’une association, qui rassemble les bénéficiaires de son sauvetage, et leur descendance.
L’idée est belle d’offrir aux enfants des Justes, de marcher sur les pas de leurs aînés, à la rencontre de ceux qu’ils ont sauvés et de leur descendance.
Un projet me taraude, que je souhaite vous faire partager et bien sûr adhérer, je me tourne en particulier vers nos élus pour les impliquer.
Organiser un voyage à Jérusalem, pour que les descendants des justes de notre département, découvrent dans l’Avenue des Justes, les arbres plantés au nom de leur lumineux parent, et dans le Jardin des Justes, leur nom gravé pour l’éternité, sur les murs élevés en ce lieu, pour rappeler que « celui qui a sauvé une vie, a sauvé l’humanité tout entière ».
Sans aucun doute, est-ce un indispensable complément des voyages de jeunes à Auschvitz, qu’organise chaque année notre Député–Maire, Michel Destot, à qui nous réitérons notre plus profonde reconnaissance pour encourager depuis plusieurs années, ce travail de mémoire.
Cette journée à la mémoire des victimes du Vel’ d’Hiv, nous invite très expressément, à honorer simultanément, les Justes de France.
Leurs enfants et les enfants de leurs enfants, s’inscrivent dans la longue continuité des gens de bien, qui choisirent de faire rempart contre le Mal.
Leur héritage les engage.
Ils sont les « Passeurs d’Espérance » qui doivent aujourd’hui cheminer auprès des « Passeurs de Mémoire », pour qu’ensemble, nous parvenions à conjurer les formes nouvelles d’antisémitisme qui s’installent dans nos sociétés.
Une enquête administrée l’an passé révélait, que les 2/3 de nos jeunes de moins de 20 ans, ignoraient ce qu’était la tragédie du Vel’ d’Hiv : peuvent-ils imaginer seulement, qu’il est des victimes, qui avaient leur âge, et aussi, des Justes, qui luttèrent pour tenter de les sauver ?
Donner en exemple le Bien, au moment de se confronter à la révélation du Mal, apparaît une nécessité.
Au moment où le vieil antisémitisme a revêtu les habits neufs de l’antisionisme, nous sommes dans l’espérance qu’une génération nouvelle de Justes, se lèvera et voudra faire rempart, pour le droit légitime du peuple juif à la vie.
Avec l’État qui nous promet la protection de la République Française, ainsi que l’a réaffirmé à Toulouse, le Président de la République, c’est toute la société française – ou au moins les meilleurs de nos concitoyens - qui doit s’engager, ainsi que l’ont fait les Grenoblois autour de leur Maire, et de nombreux élus, lors de notre marche silencieuse, mars 2012, pour que plus jamais notre communauté française ne soit confrontée au chagrin d’ assassinats, semblables à ceux perpétrés les 11 et 15 septembre à Montauban et le 19 mars 2012, contre les enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, par un jihadiste grandi parmi nous.
« Il y a quatre mois, à Toulouse, des enfants mouraient pour la même raison que ceux du Vel d’Hiv : parce qu’ils étaient juifs », constatait François Hollande, lors de son premier discours commémoratif du Vel’ d’Hiv, en 2012.
Le diagnostic est établi.
Le temps est venu de rassembler nos énergies pour agir.
Chaque samedi matin, dans toutes les synagogues françaises, à la fin de l’office, retentit la prière des Juifs de France, celle qu’ils adressent pour le salut de la patrie qu’ils aiment et qu’ils veulent servir : « Que la France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde.
Qu’elle jouisse d’une paix durable et conserve son esprit de noblesse parmi les Nations ».
La très belle réponse du Président de la République, nous va droit au cœur de l’entendre affirmer avec force que : « Cet esprit de noblesse, c’est la France tout entière, qui doit en être digne ».