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Le crime et son ampleur, les enjeux qui l’accompagnent, font que la mémoire de la Shoah continue et continuera d’être un combat. Survivants d’Auschwitz-Birkenau, si depuis 1945, nous travaillons à perpétuer la mémoire du génocide, c’est aussi pour que l’o
En ces 16 et 17 juillet 1942, nous aurions tellement voulu que 13 000 Justes se lèvent pour protéger chacune des personnes arrêtées, parmi lesquelles plus de 4 000 enfants. Ces milliers de malheureux arrêtés à leur domicile par la police française furent enfermés au Vélodrome d’Hiver dans des conditions insupportables et indignes puis dans différents camps d’internement – Drancy et ceux du Loiret – en vue de leur déportation rapide à l’autre bout de l’Europe, à Auschwitz-Birkenau, où ils ont été mis à mort.
Cette cérémonie qui nous réunit aujourd’hui est là pour rappeler la noirceur de ces jours terribles et, plus largement, celle de l’ensemble de la déportation juive entre 1942 et 1944. Cette commémoration, devenue le symbole de la Shoah en France, rend compte également de la lente émergence de la mémoire du génocide. Elle fédère désormais trois entités au terme d’une évolution de plusieurs décennies.
A côté des victimes juives et des institutions notamment du CRIF, deux autres entités sont venues s’adjoindre ces vingt dernières années. L’une est incarnée par les Justes que je viens d’évoquer ; ces Justes de France dont la place au sein de cette journée est officielle depuis l’année 2000. La troisième entité est celle des pouvoir publics. Cette année 2013 est pour moi l’occasion de souligner le 20e anniversaire de la reconnaissance, par la République française, des crimes du gouvernement de l’Etat français dit de Vichy dans les « persécutions racistes et antisémites ». C’était en 1993… plus d’un demi siècle après la Rafle. Cela se fit sous l’impulsion d’Henry Bulawko et par la volonté du Président François Mitterrand. Vint ensuite, en 1995, le discours décisif du Président Jacques Chirac. A partir de cette époque-là, cette journée devint « nationale ».
Il me semble impossible d’évoquer aujourd’hui les Justes sans rappeler l’Etat et le rôle que le gouvernement de Vichy a joué dans cette tragédie. En recueillant des Juifs, les Justes ne se sont pas seulement opposés aux Nazis mais également aux autorités de leur propre pays - à mes yeux, cela fait d’eux des Résistants. Nous ne venons pas ici seulement nous souvenir des victimes juives et honorer les Justes mais nous venons aussi nous souvenir de ce crime d’Etat. Certes, il s’agissait du gouvernement de Vichy. Mais dans le ressenti qui est le mien, celui d’un homme de près de 90 ans, qui a grandi en notre pays avant la Seconde Guerre mondiale, Vichy, ce fut aussi en grande partie la France.
C’est parce que les Juifs ont été abandonnés par les autorités de l’Etat, qu’ils sont devenus une proie pour les nazis. L’Etat français, servile valet de l’occupant allemand, s’est fait le complice de la destruction de milliers d’être humains. C’est dans ce contexte-là que des personnes, des familles, ceux que désormais on appelle les Justes, ont aidé des Juifs et particulièrement des enfants. L’identification de ces Justes a fait et continue à faire partie intégrante du travail de mémoire. Beaucoup, néanmoins, resteront sans doute anonymes.
Aujourd’hui, au terme d’une évolution à la fois politique et intellectuelle, l’existence du génocide est reconnue dans ses dimensions plurielles. Il ne relève pas de la seule histoire des Juifs mais de celle de l’humanité, à l’image de ce que ce génocide a été, un crime contre l’humanité où s’est exprimé l’abîme d’horreur et d’ignominie présent en l’Homme. Car, que ce soit ici en France, lors des arrestations et des déportations, que ce soit sur les terres d’Ukraine, que ce soit sur la rampe de Birkenau, dans le camp ou autour des chambres à gaz, toute une hiérarchie d’individus s’est manifestée, des hommes et des femmes, vils, lâches, des assassins, figures antithétiques des Justes.
Oui, les Justes ont fait du bien aux corps, aux âmes et soulagé les cœurs. Sans doute, est-ce là a posteriori un réconfort. Jamais assez puissant toutefois pour voiler le souvenir des enfants du camp de Pithiviers, ces 4 000 enfants, de tous âges, qui ont été séparés de leur mère puis déportés et assassinés durant l’été 1942 à Birkenau.
Mais quels lendemains les responsables nazis et fascistes espéraient-ils donc ? S’ils étaient parvenus à vaincre la liberté et la démocratie, qu’auraient-ils fait du génocide « accompli » ? Un triomphe peut-être ? Parce que désormais leur monde aurait été, selon leur projet initial, Judenrein – la traduction est violente, « un monde débarrassé des Juifs » ? Ou alors : auraient-ils tu le génocide à jamais ? L’auraient-ils nié comme ils l’ont fait lors des procès où plus aucun d’entre eux ne s’est avéré capable d’endosser la part prise à l’assassinat d’un peuple ?
Le crime et son ampleur, les enjeux qui l’accompagnent, font que la mémoire de la Shoah continue et continuera d’être un combat. Survivants d’Auschwitz-Birkenau, si depuis 1945, nous travaillons à perpétuer la mémoire du génocide, c’est aussi pour que l’on n’oublie pas ce que l’Homme est capable de faire endurer à son semblable. Sur ce chemin, je sais que nous ne sommes pas seuls.