Editorial du président
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Publié le 2 Décembre 2010

Benoit XVI et Pie XII, par Richard Prasquier, président du CRIF

La presse fait état des déclarations du Pape Benoit XVI au sujet de Pie XII, son prédécesseur à l’époque de la 2e Guerre Mondiale, dans un livre à paraître prochainement. Rappelons que l’an dernier, le Pape avait signé le décret établissant les « vertus héroïques » de Pie XII, premier pas vers la béatification, mais que la procédure n’avait pas été poursuivie.



Benoît XVI aurait dans ce livre présenté Pie XII comme un grand Juste, l’homme qui pendant la guerre a été responsable du plus grand nombre de Juifs sauvés.



Cette phrase est stupéfiante. Elle ne peut pas être acceptée par les historiens actuels. Il est vrai qu’elle reprend la très vieille assertion d’un diplomate israélien des années 50, Pinchas Lapide, ainsi que les commentaires enthousiastes de Golda Meir qui n’était pas non plus une historienne. Cette opinion a été mise en avant par quelques ecclésiastiques qui ont eu, et eux seuls, accès aux archives du Vatican pour cette période. Ces hommes vénèrent Pie XII, le dernier Pape à avoir exercé son pontificat dans la gloire et la pompe d’une période révolue, avant Vatican II. Ils tiennent, peut-être pour des raisons théologiques, à honorer sa personnalité et sont les promoteurs infatigables de sa béatification.



Si on en reste à ce qu’on sait de l’histoire (et beaucoup d’historiens de grande qualité ont écrit sur le sujet depuis Saul Friedlander en 1966), on n’a aucune preuve d’une action organisée de Pie XII pour protéger les Juifs persécutés. Certes, il n’était pas le Pape pronazi qui a été décrit dans certains ouvrages. Il savait, comme rédacteur de l’encyclique « Mit brennender Sorge » à l’époque de Pie XI, les incompatibilités du nazisme raciste avec le christianisme. Certes, plusieurs Juifs (au sens nazi de ce terme), dont le Rabbin de Rome, qui s’est ensuite converti au christianisme, ont bien été mis à l’abri à l’intérieur du Vatican, certainement avec son accord : la plupart étaient d’ailleurs de religion chrétienne. Beaucoup de Juifs furent au cours de la rafle de Rome cachés dans des couvents de la ville, grâce à l’organisation Delasem et au merveilleux père Benoît. Mais rien ne permet de faire du Pape le maitre d’œuvre héroïque de ces opérations de sauvetage. Ou alors, il faudrait aussi à l’inverse le rendre responsable du fait que de nombreux nazis ont échappé à la justice après guerre (opération Odessa) car certains monastères ont joué un rôle prépondérant dans cette fuite.



Ce qui frappe avant tout c’est la frilosité d’expression de Pie XII devant la tragédie: lorsque les Juifs de Rome, présents dans la ville depuis tant de siècles, sont raflés, quasiment devant ses fenêtres, il se tait, Lorsque les informations lui étaient auparavant parvenues de l’extermination de millions de femmes, d’hommes et enfants juifs en Europe de l’Est, il était déjà resté silencieux, en dehors d’une allusion isolée et ambiguë lors de son message radiodiffusé de la Noël 42. D’ailleurs, il n’avait pas non plus protesté quand des milliers de prêtres polonais étaient exécutés par les Allemands, désireux de briser les cadres d’une renaissance ou d’une résistance nationale. Et pourtant, qui mieux que lui pouvait être informé par les innombrables réseaux de l’Eglise de l’étendue des crimes ? Certes, il n’a pas été le seul, ni Roosevelt, ni Churchill, ni de Gaulle n’ont parlé. Mais eux faisaient la guerre. Du Pape on aurait attendu qu’il parle, qu’il hurle. Cela n’aurait servi à rien ? Peut-être. Bien des Justes ont laissé leur vie pour témoigner des valeurs que le Pie XII était censé porter plus que tout autre. Cela aurait mis d’autres catholiques en danger? Peut-être. Mais le courageux Mgr von Galen avait bien dénoncé en chaire les assassinats des handicapés mentaux malgré les représailles éventuelles pour l’Eglise catholique. Cela aurait favorisé l’Union Soviétique alors que l’Allemagne, même nazie, était un rempart de la civilisation chrétienne contre l’athéisme marxiste ? Peut-être. Mais un tel choix, qui fait des Juifs des victimes collatérales sans importance et trouve des vertus au nazisme, mérite-t-il une béatification?



Et ce silence n’est pas le seul. Une fois la guerre terminée, alors que Pie XII est devenu paradoxalement une icône absolue, il ne parle toujours pas. Comme s’il n’avait jamais estimé que l’extermination des six millions de Juifs au cœur d’une Europe chrétienne méritât sa réflexion, sa parole et sa guidance morale. Et pourtant quels étaient les risques de parler une fois la guerre finie? Donner indirectement des arguments au communisme ? Mais cela était digne d’un politicien machiavélien au petit pied, pas du Pape.



Oui, nous tenons la transformation radicale des relations et des regards réciproques entre Juifs et chrétiens à la suite de Vatican II pour un événement magnifique du XXe siècle et nous chérissons l’amitié qui s’est établie entre les uns et les autres. Oui, nous savons que le Pape Benoit XVI y est attaché autant que son prédécesseur Jean Paul II et qu’il rejette profondément l’antijudaïsme et l’antisémitisme. Mais avec le sentiment profond de respect que nous devons au Pape, nous disons que l’histoire ne correspond pas aux paroles qu’il aurait prononcées dans son récent livre. Pie XII ne fut pas le plus grand des Justes. Nous sommes les premiers à le regretter.



Photo : © 2007 Erez Lichtfeld