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Publié le 26 Juin 2008

Américains Juifs ou Juifs américains ?

Question : Françoise Ouzan, vous êtes docteur en histoire de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et maître de conférences habilitée à diriger des recherches. Vous êtes actuellement chercheuse au Goldstein-Goren Diaspora Research Center de l’Université de Tel-Aviv et chercheuse associée au Centre de recherche français de Jérusalem. Vous publiez un nouvel ouvrage : Histoire des Américains Juifs (André Versaille éditeur). De quoi s’agit-il ?


Françoise Ouzan : J’ai voulu démêler l’entrelacs noué entre la réalité de la présence juive aux Etats-Unis, à la fois sur le plan démographique, culturel et politique, et ses représentations, parfois malveillantes et souvent mythiques. En effet, chaque fois qu’une crise affecte le Proche-Orient où qu’une élection présidentielle américaine fait la hune des journaux, la relation particulière qui existe entre les Etats-Unis et Israël devient l’objet de spéculations diverses, notamment sur l’influence du vote juif et d’un prétendu « lobby juif » tirant les ficelles de l’Amérique et dictant la politique étrangère de la première grande puissance mondiale. Ces deux motifs m’ont incitée à découvrir et faire découvrir une véritable aventure sur le sol américain puisque la présence juive (1654) est antérieure à la constitution des Etats-Unis.
La démarche historique adoptée m’a permis de conduire une analyse des points communs entre la culture juive et la culture américaine et d’élaborer deux conclusions principales. La première réside dans le constat de la façon remarquable dont la « minorité » juive a réussi à s’intégrer dans la société américaine et à y préserver son identité. Si l’intégration a été réussie au point que certains dirigeants de la communauté juive pensent qu’elle menace aujourd’hui l’identité, celle-ci semble avoir été généralement préservée par le biais de deux facteurs : d’un côté, l’antisémitisme et de l’autre, la prise de conscience de l’universalité de l’expérience juive dans les années 1960. Cette prise de conscience a été engendrée par la cassure des liens avec la communauté noire qu’elle avait longtemps soutenue et intensifiée par la pénétration de la mémoire de la Shoah dans la sphère publique à la suite du procès Eichmann en 1961. Et c’est avec la guerre des Six Jours en 1967 qu’il s’est produit un transfert sur Israël du sentiment de vulnérabilité que cette mémoire de la Shoah a ravivé. Cette constatation touche à la deuxième conclusion de mon analyse : la relation privilégiée entre expérience américaine, culture juive et projet israélien. On remarque, d’une part, que si les Juifs ont trouvé en Amérique un véritable foyer, en sens inverse, la mémoire de la Shoah a été « américanisée » pour enseigner, en particulier à travers le musée qui est lui est consacré à Washington les valeurs d’universalisme et de liberté chères à la démocratie américaine. D’autre part, il est important de relever que l’expérience américaine et l’expérience israélienne comportent une communauté d’intérêts : deux nations de pionniers qui, depuis le 11 septembre sont toutes deux confrontées au terrorisme islamique. Communauté de destin et communauté d’ennemis unissent aujourd’hui les deux démocraties.
Il est à noter cependant que l’attitude des diverses communautés juives américaines envers Israël peut relever du paradoxe : d’un côté, l’identification à la nation américaine a dissuadé les Juifs, hormis une partie des « orthodoxes » de faire leur aliya (« montée vers Israël ») et de l’autre, l’attachement à l’Etat hébreu (bien qu’il soit en baisse), pays perçu comme un refuge pour les Juifs victimes de discrimination, auxquels les Juifs aux Etats-Unis refusent de se compter, les a incités à accorder un indispensable soutien politique et financier à Israël.
Question : Vous citez dans votre ouvrage l’écrivain Philip Roth qui traduit ses craintes relatives à la résurgence de l’antisémitisme dans un best-seller publié en 2004. Brièvement, comment abordez-vous ce thème ?
Françoise Ouzan : Philip Roth exprime l’idée d’une symbiose menacée entre les Juifs et les Etats-Unis, au sens où dans son livre A Plot Against America aurait pu se révéler un complot contre les Juifs… Roth imagine qu’en novembre 1940, Franklin Roosevelt n’est pas réélu et que Charles Lindbergh entre à la Maison Blanche. Or, le célèbre aviateur et farouche isolationniste a eu des contacts avec les nazis. En 1941, à la veille de Pearl Harbour, il dénonçait un prétendu « lobby juif » qui poussait les Etats-Unis à entrer en guerre…
La perspective historique que j’adopte permet de repérer très tôt les sentiments ambivalents des Américains à l’égard des Juifs et qui seront plus ou moins présents selon les époques et les crises du moment. C’est cette ambivalence qui sous-tend les poussées d’antisémitisme, qu’il soit latent, ou plus rarement actif, comme au cours du lynchage en 1913 d’un jeune patron juif accusé injustement à Atlanta (Georgie) d’avoir violé une jeune fille et d’avoir ainsi « souillé la race chrétienne ». En remontant plus loin dans le temps, c’est l’accusation de « tueur du Christ » qui accompagne la venue des premiers colons juifs réfugiés du Brésil dans la colonie hollandaise de New Amsterdam en 1654 (actuelle New York), vertement accueillis par le gouverneur Peter Stuyvesant. C’est encore cette accusation qui ressort du film récent de Mel Gibson « La passion du Christ », où ce stéréotype s’impose encore. Le juif est à la fois « même et autre » pour reprendre des termes philosophiques. S’il y a fascination pour le Juif qui a plus rapidement que les autres minorités gravi les échelons de l’échelle sociale, il coexiste aussi des sentiments de crainte, de méfiance et de suspicion. On voit alors surgir et resurgir l’accusation brûlante et inextinguible du « complot juif », recyclé différemment selon les lieux, la conjoncture et les médias.
Ce qui frappe, c’est qu’aujourd’hui les Juifs aux Etats-Unis ne représentent que 2% de la population américaine, c’est-à-dire un peu plus de 5 millions de personnes. Du point de vue sociologique, il faut se représenter un groupe aux frontières poreuses étant donné que le taux d'exogamie dépasse les 50 pour cent et que, dans l’ensemble, au lieu de persécuter les Juifs, on les épouse, pour reprendre les termes du célèbre avocat américain et juif, Alan Dershowitz. En fait, les dirigeants communautaires s’inquiètent surtout de l’avenir de la communauté juive qui est très hétéroclite et assimilée et dont la plupart des membres ne sont pas affiliés. C’est pourquoi ils sont, dans l’ensemble, plus américains que juifs. A l’exception des 10 pour cent d’orthodoxes, les Juifs aux Etats-Unis se reproduisent peu et les sociologues et politologues s’accordent à penser qu’en dessous du seuil actuel de 2 pour cent, la communauté juive n’aurait plus l’influence politique et culturelle qu’elle a aujourd’hui. On peut en effet considérer qu’elle est encore dans un âge d’or. La preuve ? Les 250 ans de la présence juive aux Etats-Unis ont été célébrés en grande fanfare en 2004 par les diverses communautés juives des Etats-Unis. Telle une aventure riche en périples, les trois principales vagues d'immigration ont été rappelées dans diverses expositions sur le plan national: l'immigration sépharade, puis l'immigration allemande et celle des Juifs d'Europe de l'Est.
Au fil de la fresque brossée dans ce livre, je repère une adéquation, instable, car elle dépend de la conjoncture, entre l’identité juive américaine (laïque et religieuse) et l’identité nationale. Celle-ci est particulièrement pertinente après le 11 septembre. Après ces actes terroristes d’envergure sur le sol américain, l’Etat hébreu est apparu dans les sondages comme l’allié « naturel ». Des points communs que j’énumère et illustre ici, il ressort une évidente proximité qui permet d'expliquer en partie le sentiment actuel d'une convergence entre les sympathies pour l'Etat d'Israël et l'intérêt national, à la fois dans l'opinion américaine, au sein du Congrès et de la présidence.
Question : Comment les immigrants Juifs ont-il façonné cette Amérique qui n’a d’abord pas voulu d’eux ?
Françoise Ouzan : Malgré les obstacles, essentiellement les sentiments antijuifs, particulièrement perceptibles dans les années 1920 et jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ce groupe s’est caractérisé par une intégration réussie et par une participation active à la vie politique du pays. Si les premiers colons deviennent rapidement d’importants marchands, dès la fin de la Guerre d’Indépendance américaine, les Juifs accèdent à des fonctions importantes dans la vie professionnelle et publique. Les fils de marchands portugais exilés deviennent docteurs comme Daniel Peixotto Hays et Abraham Jacobi. Le chef spirituel d’une des communautés religieuses est promu régent de l’Université Columbia de New York de 1784 à 1814 et premier administrateur juif de cette prestigieuse université dont le sceau comporte le nom hébreu du Créateur. Des mots hébraïques se trouvent aussi sur l’emblème de l’Université de Yale et se détachent sur un livre ouvert. Il faut rappeler que l’étude de la Bible et de l’hébreu étaient obligatoires dans presque toutes les universités, avec comme autre option le latin ou le grec. Mais cette empreinte du judaïsme n’a pas empêché l’apparition de quotas, d’un « numerus clausus » dans les universités au cours des années 1920, limitant le nombre d’étudiants juifs afin « d’éviter l’antisémitisme ». Il y a donc toujours une sorte de mouvement de balancier dans la société américaine : une oscillation entre l’attirance pour le peuple juif mais aussi la crainte qu’engendrent chez certains son « élection divine » et sa « surreprésentation » au sein des bons étudiants comme, plus tard, au sein des professions libérales.
Les Juifs allemands sont arrivés massivement au XIX ème siècle en apportant avec eux la réforme du judaïsme qu’ils ont « américanisé », en modernisant certains aspects du culte, ressemblant davantage au protestantisme. Ils ont su passer du colportage au commerce du textile et à la confection. A la fin de la Guerre de Sécession et grâce à l’invention de la machine à coudre par un Juif, Elias Howe qui sera perfectionnée par Issac Singer, les Juifs allemands qui ne rechignent pas à travailler de longues heures, s’imposent dans la distribution. Pionniers de la distribution de masse à bas prix, ils contribuent à réduire les différences vestimentaires qui séparent les riches des pauvres. Les exemples de réussite fourmillent même si la pauvreté existe aussi chez les Juifs. Mais il faut dire que ce groupe a participé à l’ascension économique de l’entre-deux-guerres plus massivement que les autres immigrants car le « Peuple du Livre » a toujours valorisé l’étude.
Pour réussir, puis exceller et donc avoir accès à la respectabilité, les Juifs se sont employés à détourner les discriminations plus ou moins larvées dont ils ont été victimes, en particulier dans le domaine de l’emploi. Ils ont aussi saisi l’opportunité de se lancer dans des domaines neufs où des fiefs n’étaient pas encore constitués, comme le cinéma où ils ont pu sans entraves exercer leur créativité. D’où la formule que chacun connaît selon laquelle les Juifs ont « inventé Hollywood ». C’est l’exemple célèbre des frères Warner qui ont fondé un empire en gageant la montre de leur père pour une poignée de dollars.
Dans la médecine et dans l’édition par exemple, il a fallu détourner les discriminations. Au sein du peuple juif dont la tradition religieuse sanctifie la vie, les médecins sont très respectés. Jusqu’aux années 1950, une minorité de Juifs ont accès aux écoles de médecine et obtiennent leurs diplômes. Mais de nombreux postes hospitaliers leur sont interdits. En conséquence, au début des années 1960, période à laquelle les restrictions s’appliquant aux Juifs dans les écoles de médecine commencent à être supprimées, on compte 70 hôpitaux juifs dans 26 villes. Mount Sinai à New York, est le plus célèbre d’entre eux. Ces établissements accueillent aussi des non Juifs et dans les années 1970, leur nombre est supérieur à celui des patients juifs. Dans ce domaine encore, on peut parler d’un impact juif sur la société américaine, même si ironiquement, celui-ci est né d’un rejet, d’une discrimination. L’édition américaine, est demeurée elle aussi un fief fermé dans la première partie du XX ème siècle. Là encore ils ont innové, créant en 1920 le premier « club du livre » incitant ses membres à acheter un livre par mois, ils ont recherché des titres populaires ou accepté des manuscrits rejetés ou encore créé un domaine de publications universitaires, inaugurant le genre aux Etats-Unis. Puis, en bref, les intellectuels new-yorkais, les écrivains et artistes juifs ont exprimé une forme de judéité (quand ils l’on fait) qui a permis au public américain d’adhérer à la vision universelle proposée, qu’il s’agisse du thème de la nostalgie de l’immigrant ou celui du fossé entre les générations, par le biais, parfois, d’un humour caustique. Les exemples utilisés m’ont également permis d’engager une réflexion non seulement sur l’identité juive, extrêmement diverse, souvent insaisissable et néanmoins présente, mais aussi sur la relation entre ethnicité et modernité.
Question : A partir de quelles dynamiques les valeurs américaines que nous aimons ou détestons ont-elles été définies par la culture qu’ils ont engendrée ?
Françoise Ouzan : L’accès à la culture, les cours du soir pour les premières vagues d’immigrants et notamment les ouvriers, puis l’Université pour leurs enfants, a été la voie royale de l’ascension sociale. Au fil des siècles, ce groupe s'est caractérisé par une réussite remarquable, par une "stratégie de l'excellence", en harmonie avec les valeurs américaines liées à la méritocratie. C’est pourquoi, de nos jours, les politiques « d’affirmative action », appelées aussi «discrimination à rebours », favorisant les groupes appartenant à une minorité ayant été défavorisée semblent injustes à tout groupe qui en est exclu car elles rompent avec l’éthique américaine du travail, de l’excellence, de la méritocratie.
Dans les universités, cette politique peut rappeler par certains côtés, les quotas des années 1920, qui de façon déguisée, limitait drastiquement l’entrée des Juifs dans les universités prestigieuses, au point que les étudiants en médecine qui le pouvaient devaient se rendre à l’étranger pour « faire médecine ».
Question : Dans la culture, le droit, la politique, la finance, les Juifs aux Etats-Unis sont-ils vraiment passés de la marge à l’influence ?
Françoise Ouzan : Il faut être très prudent lorsqu’on parle d’influence car il se trouve que pour les Juifs tout se passe comme si une autre échelle de valeur s’appliquait à eux. Par exemple, on les accuse « d’accaparer » la finance ou les médias. S’il est vrai qu’ils ont tiré parti du climat de tolérance et de la prospérité, les postes de directeurs ou de cadres qu’ils ont obtenus dans la haute finance par exemple, ne veulent pas dire qu’ils « contrôlent » Wall Street, ce qui n’est pas le cas, mais illustrent leur excellente intégration et réussite sociale dans la société américaine qui souvent conduit à une assimilation dans la société globale. Comme je le montre dans cet ouvrage, leur influence existe bien, j’en étudie l’ampleur mais aussi les limites et, dans ce contexte, la faiblesse de leur représentation démographique n’est pas la moindre.
Question : On imagine souvent un pouvoir Juif puissant tirant les ficelles de l’Amérique… Son pouvoir est-il bien réel ?
Françoise Ouzan : Ce qu’on nomme le « pouvoir juif » ressemble à une accusation qui rappelle les théories les plus nauséabondes sur le « complot juif » véhiculées initialement par le document forgé que sont les Protocoles des Sages de Sion rendues populaires par Henry Ford, le puissant constructeur d’automobiles qui, dans le journal qu’il lance en 1920, le Dearborn Independent ( tiré à 700 000 exemplaires) se fait fort d’avertir du danger d’une conspiration juive internationale contre l’Amérique chrétienne. Le thème d’une « domination juive mondiale » a d’ailleurs été repris en 1937 dans les sermons radiophoniques du père Charles Coughlin.
Ce qu’on appelle improprement « le lobby juif » est une nébuleuse d’organisations souvent appelée « la soupe d’alphabets », tant leurs appellations se ressemblent. En effet, ces organismes sont nombreux et se recoupent. Ils sont parfois animés par des querelles internes qui nuisent à leur efficacité. Certains se mobilisent pour une cause qui n’est pas nécessairement une cause juive et disparaissent ensuite. Il peut s’agir du droit à l’avortement ou de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il faut savoir que les institutions juives ne sont pas rassemblées dans une même organisation comme le CRIF, un organisme communautaire qui par exemple, définisse des attitudes politiques. En revanche, le lobby pro israélien est une réalité. Il est réputé pour son efficacité même s’il a connu des échecs dans le passé. Contrairement à une idée incorrecte et répandue, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) n’est pas « le lobby juif », comme on l’entend souvent, mais le lobby pro israélien. De plus, tous les Juifs aux Etats-Unis ne suivent pas les recommandations de l’AIPAC car étant nombreux à être de tendance « libérale » et donc « plus à gauche » que l’AIPAC, ils sont plus ouverts à un dialogue avec les Palestiniens. Comme on le sait, les Juifs votent traditionnellement du côté démocrate, bien que récemment les plus orthodoxes aient adopté le camp républicain qui prône l’attachement aux valeurs morales.
Il faut souligner qu’aux Etats-Unis, les lobbies ont une existence légale ce qui implique que chaque groupe ethnique a son lobby, de même que les retraités ont le leurs où les partisans des armes à feu par exemple. L’influence de l’AIPAC est limitée par d’autres lobbies ethniques comme le lobby arabe, calqué sur ses structures ou le lobby hispanique qui prend de l’ampleur. Chacun fait valoir ses intérêts et essaie d’avoir une influence sur la politique étrangère des Etats-Unis ou tout au moins d’œuvrer pour un rapprochement entre les Etats-Unis et leur patrie d’origine ou virtuelle. C’est le cas des Américains arabes, des hispaniques et d’une partie de la communauté juive qui est loin d’être homogène. En définitive, l’influence d’un lobby s’exerce lorsqu’il y a concordance entre l’intérêt particulier du groupe et l’intérêt national.
En 2006, le rapport Walt-Mearsheimer a renouvelé cette inquiétude en fournissant une « étude » marquée du sceau universitaire et accusant le lobby pro israélien, en particulier l'AIPAC, d'influencer la politique étrangère américaine. Ce rapport qui est en fait un acte d’accusation répondant à une sorte d’obsession du « complot juif » a été vivement critiqué, d’autant que l’Anti-Defamation League (ADL) a fait état de la présence de ces deux universitaires en août 2006 à une conférence de presse organisée par le Council on Islamic-American Relations (CAIR) au Club de la Presse Nationale à Washington et que d’aucuns les ont accusé de nourrir des sentiments antisémites qui n’étonneraient pas dans un contexte de montée de l’antisémitisme en liaison avec les manifestations antisionistes dans les campus universitaires au cours des récentes années. D’autre part, le CAIR a toujours refusé de considérer le Hamas et le Hezbollah comme des groupes terroristes. Les accusations contre « Le lobby » proférées par Walt et Mearsheimer ne sont pas nouvelles mais à cause de l'appartenance universitaire de leurs auteurs, elles ont suscité une vive controverse. Leur dénonciation de l'influence du lobby pro israélien comme nuisant à l'encontre de "l'intérêt national" révèle un parti pris ou une incompréhension de l'élaboration des intérêts nationaux dans une démocratie pluraliste. En effet, les lobbies ethniques sont des acteurs à part entière de la politique étrangère américaine et après le 11 septembre le soutien américain à Israël correspond à des intérêts géostratégiques en même temps qu’il répond à la proximité entre l’identité juive aux Etats-Unis et l’identité américaine. D’autre part, un des piliers essentiels d’AIPAC est formé par les chrétiens évangélistes qui soutiennent Israël, l’aliya et la politique pro israélienne. Soulignons que le groupe de pression sioniste chrétien qui compte des milliers de membres est très influent. La politique américaine vis-à-vis d’Israël est un domaine où l’influence des évangéliques est plus importante que celle d’AIPAC. Depuis longtemps, ce sont eux qui professent un soutien inconditionnel à l’Etat hébreu. Ils ont diverses stratégies allant de la coopération avec l’AIPAC à l’aide financière à l’implantation de nouvelles colonies. En effet, ils désirent qu’Israël ressemble à ce qu’il représentait géographiquement lorsque le Christ y vivait. C’est en ce sens qu’évangéliques et chrétiens « born again » (l’appartenance du président George W. Bush) confèrent un rôle décisif au peuple juif et à l’Etat d’Israël dans le projet divin pour la fin des temps. L’AIPAC, qui compose avec ce soutien ambivalent et parfois embarrassant, demeure l’un des lobbies les plus puissants aux Etats-Unis, derrière celui des retraités.
Question : Evaluée à seulement deux pour cent de la population américaine, la communauté juive est-elle menacée de disparition entre 2050 et 2075, comme l’affirment d’éminents sociologues américains ?
Françoise Ouzan : De nos jours, contrairement à d'autres diasporas, les Juifs aux Etats-Unis, dans leur ensemble, se perçoivent comme des "Américains juifs" plutôt que des "Juifs américains'. L'appellation que j'ai choisie pour titre de mon ouvrage déroge à la dénomination traditionnelle et traduit l'assimilation croissante de ce groupe minoritaire au sein de la société globale. Cependant, comme l’indique dans sa préface Sergio Della Pergola, le démographe du monde juif, il est peu probable que la communauté juive américaine cesse de jouer un rôle dans la vie politique ou qu’elle puisse disparaître. Même si les Américains juifs joueront un rôle moins important demain qu’aujourd’hui s’ils représentent moins de 2 pour cent de la population, le judaïsme américain porte en lui les forces du renouveau : les dirigeants communautaires tentent de renforcer les liens avec Israël par différents biais et de consolider l’enseignement de l’histoire juive et de la Shoah. Par ailleurs, le renforcement récent de l’orthodoxie est une réalité qui fait dire aux plus optimistes que ce noyau autrefois perçu comme un anachronisme porte en lui la survie du groupe. La peur que chaque génération ne soit la dernière est une crainte inhérente au judaïsme américain…
Propos recueillis par Marc Knobel