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Publié le 31 Décembre 2008

Les Trois religions du livre II. Le christianisme. Joies et souffrances (*)

Surprenant, ce deuxième numéro de la revue lacanienne de psychanalyse sur les « Trois religions du Livre ». Après le judaïsme (1) et en attendant l’islam, voici le point de vue de divers spécialistes sur cette religion vue comme porteuse de « joies et de souffrances ».


Regroupées en quatre sections « Théologiques », « Représentations », « Cliniques » et « Perspectives », les contributions d’une vingtaine d’auteurs sont aussi variées qu’originales.
Cela commence très fort avec « L’erreur du fils de Petro di Bernardone » où Charles Melman considère que « le catholicisme est habité par un goût de l’ascèse étranger à l’enseignement vétéro testamentaire. « A Assise, après une vie de débauche, le fils de Pietro di Bernardone, s’engagea dans l’exercice exemplaire qui consistait à retrancher de soi toute satisfaction, qu’elle soit objectale ou narcissique… »Telle est, selon le fondateur de l’Association Freudienne Internationale, « l’erreur de Saint François » que l’on retrouve, dit-il « dans l’expansion de la névrose, propre à ce que fut la culture et qui est liée au refoulement des désirs ; on la retrouve exaltée aujourd’hui dans la popularité qu’a l’anorexie auprès des jeunes, avides de goûter de ce rien dont notre abondance les prive ».
Au fil des pages, on découvre ou on redécouvre des personnages qui ont marqué leur temps, tel Maître Eckart, né en 1260, dont la rumeur dira qu’il exerçait sur le peuple une influence pernicieuse et qui fut jugé comme hérétique (« Etre, un, néant : notes sur la théologie négative » de Marie-Charlotte Cadeau) et, surtout, l’extraordinaire Hadewijch d’Anvers dont les Visions étonnantes « privilégient l’expérience amoureuse, personnelle et directe avec Dieu.
Pressée par l’amour dès l’âge de dix ans (Hubert Ricard), Hadewijch utilise des mots pour le moins inattendus : « …ce que je découvrais entre lui et moi dans le rapport intime de l’amour, car les amants n’ont point coutume de se cacher, mais de se manifester au contraire l’un à l’autre dans le sentiment réciproque lorsqu’ils savourent jusqu’au fond, se dévorent, ce boivent et s’engloutissent sans réserve aucune ». L’érotisme et la sensualité du Cantique des Cantiques sont ici largement dépassés.
Très intéressante et pleine d’enseignements, l’analyse, par Jean-Marc Berthomé de la crise des images qui opposa, à Byzance, entre 726 et 843 les partisans des icônes à leurs adversaires qui mettaient en avant le fameux interdit biblique de la représentation : « Tu ne feras pas d’images… ». Iconophiles contre iconoclastes. De la sainte horreur au désir, chacun avec son obsession.
L’examen attentif du tableau d’Antonello da Messina, « Le Christ à la colonne » permet une étude sur « la représentation de la souffrance du Christ et des martyrs » (Alexandra Blaise). Quant au brésilien Mario Fleig, il nous offre une époustouflante présentation d’une religion locale, le syncrétisme chrétien afro-kardeciste brésilien.
Après que Jean-Michel Rey, en bonnes feuilles de son nouveau livre, nous décrive « son » Saint-Paul, l’inattendu Guy Sitbon, sous le titre « Le Rouge et le Noir », nous parle de « l’universalisation de la religion chrétienne » qui se produit, selon lui, ironie de l’Histoire, « au moment même où le christianisme s’éteint ».
Rappelant que « la souffrance chrétienne a d’abord été une souffrance juive », Marc Nacht, boucle la revue en nous narrant l’histoire de l’enfant roi : Yeshua ben Yoseph.
Des illustrations parsèment l’ouvrage et quelques textes sont également consacrés au protestantisme (Agnès Condat et Lis Haugaard). Par ailleurs, la revue innove, non seulement en proposant un texte en anglais sur l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman
(C. Edward Robins) par crainte d’une traduction réductrice, mais aussi un texte écrit à la main, ratures comprises d’Esther Tellermann sur Bernanos.
Une lecture certes, parfois ardue, mais quel plaisir !
Jean-Pierre Allali
(*) N°16 (Printemps-été 2008 de La Célibataire, revue de psychanalyse. 240 pages. 25 euros.
(1) Voir notre recension sur le premier volet : « Le bonheur juif » en date du 22-04-08