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Publié le 12 Mars 2010

S’inspirer de la réconciliation franco-allemande pour le processus de paix israélo-palestinien

Au moment de la relance des pourparlers indirects entre Israël et l'autorité palestinienne, Bernard Philippe, fonctionnaire européen spécialiste du Proche-Orient, s'interroge pour metrofrance.com sur le rôle de l'Europe dans la résolution du conflit. Extraits :



« La visite de Joe Biden avait attisé l'espoir des deux côtés mais une fois de plus, on revient au point mort. Que s'est-il passé ?



La visite de Joe Biden s'est passée effectivement dans un contexte très tendu. Du côté d'Israël, l'annonce de nouvelles constructions de colonies de peuplement à Jérusalem-Est a jeté un froid dans la relation avec les Américains. Mais il ne s'agit là que d'un épisode parmi d'autres, qui ne devrait pas empêcher les partis de revenir bientôt à la table des négociations.



Si les Américains ne parviennent pas à intervenir, que peut l'Europe ?



Sur ces questions, l'Europe n'a pas beaucoup d'influence elle non plus, ce qu'elle peut faire de son côté, c'est d'inciter malgré tout les partis à reprendre les négociations et de se concentrer sur les dossiers concrets à résoudre. C'est ce que l'Europe ne cesse de faire dans ses contacts avec les partis impliqués et tous les pays du Proche-Orient.



Les rapports entre l'Europe actuelle, qui n’a pas de vraie tête, et les Etats Unis d'Obama lui permettent-ils d'espérer jouer un rôle autre que de gesticulation au Proche-Orient ?



Il est vrai que, jusqu'à présent, l'UE a manqué de visibilité et d'unité et c'est pourquoi le nouveau traité européen de Lisbonne a prévu de créer un service diplomatique européen qui permet davantage de coordonner les points de vue des Etats membres et de parvenir petit à petit, à une voix unique sur la scène internationale. La construction d'une politique extérieure de l’Union européenne est un chantier majeur qui est en plein cours d'élaboration et qui devrait permettre à l'UE d'avoir une présence accrue sur les grands dossiers internationaux. Cette présence accrue et cette voix unique devraient en priorité profiter aux pays du Proche et du Moyen-Orient.



L'Europe pourrait aider la population de Gaza, certes, mais au risque de renforcer le Hamas ?



Concernant la population de Gaza, l'UE est très attentive pour s'assurer que son aide arrive effectivement à la population qui en a besoin et ne profite en rien au Hamas. C'est pour cela que, dans l'aide importante de l'Europe, un effort très particulier est fait pour atteindre directement les populations et non pas renforcer des structures contestables comme celle du Hamas.



Comment expliquer que la Cisjordanie parvienne tout doucement à se reconstruire, à poser de nouvelles bases économiques alors que Gaza continue de sombrer dans le chômage et dans une situation catastrophique ?



Il y a d'énormes différences entre la Cisjordanie et la bande de Gaza et si l'on note effectivement pour la Cisjordanie un redémarrage de l'économie notamment, on ne voit rien d'équivalent à Gaza, qui est à la fois empêchée de tout contact extérieur mais aussi soumis à de fortes tensions intra-palestiniennes, elles-mêmes alimentées par la fermeture hermétique qui caractérise la bande de Gaza.



Kouchner proposer d'aider à créer un Etat palestinien tout de suite, est-ce réaliste ?



La proposition de Mr Kouchner de créer un Etat palestinien tout de suite a pour avantage de souligner l'urgence de trouver une solution politique. Mais on peut se demander si les conditions pour un tel Etat sont déjà remplies. En particulier, il est nécessaire de créer l'unité entre Palestiniens et d'avoir autorité unique sur la Cisjordanie et la bande de Gaza. Une fois cette unité crée, la question pourra être reposée en terme plus concret.



Concrètement, que proposez vous comme solutions dans votre livre ? Pouvez-vous être plus précis ?



Dans mon livre, je me suis beaucoup inspiré de la réconciliation franco-allemande. Ce qui est intéressant dans cette réconciliation, c'est qu'elle a pu se produire une fois que, du côté allemand et du côté français, on s'est rendu compte que celui d'en face avait aussi une famille, une histoire et qu'il avait le droit de vivre malgré toutes les horreurs produites par les guerres successives entre Français et Allemands. Le 1er enseignement de la réconciliation allemande, c'est le besoin de changer le regard que l'on porte sur l'adversaire. Une fois ce regard changé, l'expérience de l'Europe nous montre qu'il y a des méthodes de réconciliation et de paix. Parmi celles-ci, il y a l'idée forte qui a servi à construire l'Europe, c'est que les pires rivalités peuvent être transformées en atout. Je pense en particulier au fait que l'Europe a été construite sur un changement fondamental, c’est-à-dire en transformant le charbon et l'acier, qui étaient les fondations de la guerre en mécanisme de coopération et sont devenus les fondements de la paix. Les deux principaux éléments de la guerre en Europe (charbon et acier) sont devenus la base de la construction de l'Europe. Cette première étape a permis de dépasser des intérêts nationaux étroits et ainsi de favoriser l'intérêt général. En outre, des institutions communes ont été créées pour dialoguer et échanger, et on a mis en place des règles communes pour dépasser les différends.



La situation entre Israéliens et Palestiniens est très différente qu'entre Allemands et Français mais le principal enseignement de la construction de l'Europe est de témoigner que les guerres peuvent être transformées en coopération, enseignement qui mérite d'être pris en compte. Il vient nous affirmer que la violence peut-être régulée entre pays traditionnellement ennemis et que cette régulation de violence peut même aboutir à la paix. Ce que je propose dans mon livre, ce ne sont pas des solutions toutes faites mais de dire et c'est ce que prouve l'expérience européenne, que deux pays ne sont pas condamnés à la violence à jamais et peuvent écrire ensemble une histoire nouvelle faite de concorde et de paix.



Mais cela suppose de changer le regard sur celui qui est perçu comme un ennemi. C'est une tâche longue et difficile, mais la réconciliation au sein de l'Europe qui était à l'origine de la violence, nous montre que c'est possible. »



Photo : D.R.