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Publié le 1 Avril 2010

Poètes juifs de langue française, par Jacques Éladan (*)

C’est un fait incontestable : de nos jours, la poésie est le parent pauvre de la production littéraire française. Alors que des centaines, voire des milliers de romans, d’essais et d’ouvrages historiques sont publiés chaque année en France, que les maisons d’édition, petites, moyennes et grandes, se multiplient, les éditeurs, qui, dans notre pays, se risquent à publier de la poésie, se comptent sur les doigts d’une main. Parmi eux, Arfuyen, Alpha-Magnum ou encore la librairie-galerie Racine. Et le phénomène se constate pareillement dans la production à thème juif. Nous n’avons pas manqué de signaler, en son temps, lors de la parution de la belle anthologie, Pages Juives (1) la portion hélas congrue réservée à la poésie. On doit dès lors rendre hommage au travail militant et pionnier de chercheurs comme Pierre Haïat, passionné du sujet (2) ou Michèle Bitton (3). La publication de recueils de poésie est si rare et si confidentielle qu’il faut féliciter leurs auteurs pour leur patience et leur pugnacité. Nous avons ainsi pu apprécier, d’Alain Suied, Laisser partir (4) et de Jacques Éladan, Iris du couchant (5). Et c’est précisément à ce dernier, infatigable défenseur et promoteur de la poésie à thème juif, que l’on doit ce véritable dictionnaire illustré où sont répertoriés 77 poètes juifs de langue française. Des auteurs célèbres, comme Max Jacob, Benjamin Fondane ou Claude Vigée et d’autres, la grande majorité, qui sortent enfin de l’ombre imméritée dans laquelle ils étaient jusqu’ici confinés. Pour chaque auteur, une biographie, une bibliographie et un choix de poèmes, un, deux, parfois trois. Le classement est chronologique en fonction de la date de naissance des poètes, d’Alexandre Weil (1811-1899) à Sarah Naor. Force nous est de remarquer que la totalité des auteurs est, au départ, originaire d’Europe. L’Afrique du Nord ne vient que bien plus tard, avec Ryvel (1898-1972), Blanche Bendahan (1903-1975) et Albert Memmi, né en 1920. Il faut reconnaître qu’ils se sont rattrapés par la suite au point de devenir majoritaires dans les périodes les plus récentes. On sera infiniment reconnaissant à Jacques Éladan de nous permettre de retrouver ce cercle intime des poètes trop tôt disparus tels le prometteur Gilles Zenou (1957-1989), fauché par un motocycliste dans la fleur de l’âge et Alain Suied, déjà cité (1951-2008), emporté par la maladie.


Aucun recueil de ce type ne saurait être exhaustif. Qu’on nous permette cependant de signaler quelques omissions qui devraient pouvoir être réparées dans une prochaine édition. Je pense notamment à quelques « Tunes » qui ont marqué leur époque. Et tout d’abord à Léon Madlyn, alias Élie-Léon Brami, natif de Tunis où il anima des publications comme « Tunis-Revue » et qui dirigea, de 1960 à 1970 la Galerie Vendôme. Dans sa monumentale Histoire de la poésie française (6), l’académicien Robert Sabatier le couvre d’éloges, citant notamment ses Élégiaques (1974).



Comment ne pas évoquer également Claude Bénady, Gabriel Berdat, Lucien Boccara et Georges Castro.



Pour vous donner un avant-goût de ce magnifique recueil qui en ravira plus d’un, j’ai choisi un couple, Bruno Durocher, alias Bronislaw Kaminski (Cracovie 1919-Paris, 1996) et son épouse, Nicole Gdalia ( Tunis, 1942). Ils sont les parents de Maître David-Olivier Kaminski, membre du Comité Directeur du CRIF.



Écoutez Bruno Durocher :
S’il y avait un poète parmi nous-nous assisterions aux miracles
S’il y avait cent poètes parmi nous-la face du monde serait changée
car en vérité je vous le dis-la poésie n’est pas l’art mais une voix
qui jaillit du fond de Dieu
Abandonnez donc les jolis mots, toute la matière qui vous entoure,
ne dites plus moi, mais dites LUI et vous trouverez
la poésie plus claire
que la source de la lumière
Et Nicole Gdalia, son épouse, comme en écho :
Se saisir du langage
vêtir ma voix
de l’espérance du mot
en extraire l’étincelle
secrète combinaison
de la lettre et du chiffre
géométrie créatrice de
l’alpha et l’oméga
la forme
purifiée à l’extrême
appréhende l’harmonique signature
le ton est juste
et le poète aura le timbre du prophète
Une anthologie émouvante et nécessaire. Bravo !



Jean-Pierre Allali



(*) Éditions Courcelles Publishing. Préface du Grand rabbin René-Samuel Sirat. Décembre 2009. 390 pages. 20 euros
(1)Éditions Armand Colin. Juillet 2008. Voir notre recension dans la Newsletter du 25-11-2008.
(2)On lui doit notamment 35 siècles de poésie amoureuse. Anthologie. Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1979, Anthologie de la poésie juive du monde entier depuis les temps bibliques jusqu’à nos jours. Éditions Mazarine, 1985 et Dieu et ses poètes à travers le bouddhisme, le christianisme, l’hindouisme, l’islam, le judaïsme et la poésie de tous les temps. Éditions Desclée de Brouwer, 1987.
(3)Auteure de Poétesses et lettrées juives. Une mémoire éclipsée. Éditions Publisud, 1999.
(4)Éditions Arfuyen, date. Voir notre recension dans la Newsletter du 19-11-07
(5)Éditions Auteurs du Monde. Mai 2007. Voir notre recension dans la Newsletter du 10-05-2009
(6)Éditions Albin Michel, 1988.