Le dernier venu est du à la plume d’une ancienne enseignante, Bona Hadjes, qui a choisi, pour faire revivre le temps jadis, de nous présenter le sujet par le biais de courtes nouvelles, une dizaine en tout.
Si certains des récits qu’elle livre à notre lecture traduit parfois des situations banales somme toute et aussi vieilles que le monde : histoires de couples en difficultés, affaires de jalousie, problèmes d’addiction au jeu, drames familiaux, les plus intéressants, sans conteste, sont ceux qui constituent un témoignage des événements dramatiques auxquels ont été confrontés les Juifs d’Égypte.
Ainsi, dans « Un départ », la découverte fortuite, dans le tiroir secret d’un petit secrétaire acheté dans une vente aux enchères, d’un lot de lettres, permet de reconstituer, pas à pas, l’odyssée d’un Juif cairote, exilé à Paris et contraint de vivre à l’aune de l’aide sociale communautaire en acceptant des petits boulots indignes de sa situation précédente. On découvre, écœuré, l’attitude scandaleuse de certains fonctionnaires et douaniers égyptiens qui n’hésitent pas à exploiter la misère de pauvres gens en détresse pour leur extorquer leurs dernières économies avant de les chasser du pays sans le moindre bien. Comme le dit Élise, répondant avec optimisme aux missives de son mari : « Nous ne tarderons pas à retrouver la joie de vivre, nos malheurs seront oubliés. L’Égypte ne sera plus pour nous qu’un souvenir vite effacé » et, plus loin : « Nous avons perdu notre fortune. Nous sommes en vie, nous nous aimons, que demander de plus ? ».
Dans « La mort du père », c’est encore par le biais d’une lettre écrite du kibboutz Nahalel que l’on suit le déroulement du tristement célèbre pogrome de Safed en 1929. À la lecture de ce document, à la suite d’un décès familial, une Juive égyptienne, Claire, a ces mots : « En Égypte, rien de pareil ne pourra jamais nous arriver ». L’avenir, peu après, lui donnera tort. Et Bona Hadjes d’ajouter, en manière de conclusion : « En 1956 et en 1957, les Juifs d’Égypte furent maltraités, emprisonnés, expulsés par le président Nasser. De 80 000 Juifs, il ne reste plus en Égypte que quelques vieillards ».
Dans « Une arrestation », enfin, on assiste aux derniers jours de la présence juive en Égypte. À chaque manifestation de soutien à Naguib et Nasser, les familles juives se réfugient dans les caves attendant que l’orage passe. Mais la peur s’ancre dans les esprits et la décision de quitter définitivement le pays se précise : « Ma fille, quittons ce pays où nous ne sommes plus aimés » dit un Juif cairote. Et il ajoute : « Quantité de malheurs nous attendent », précisant : « Le général Nasser déteste les Juifs. Il a déclaré hautement son intention d’occuper Israël ». Et quand vient le moment de l’arrestation, les policiers, sans ménagement, bousculent les Juifs que l’on va expulser : « Avancez, sale Juive ! »… « Allez, vous partez, vous êtes expulsées d’Égypte ».
Un témoignage précieux sur les tenants et les aboutissants du départ forcé des Juifs d’Égypte sous Nasser.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Édilivre. Avril 2010. Préface d’Angèle Saül. 180 pages 16 euros
On pourra consulter avec profit, notamment :
Yahudiya Masria. Les Juifs en Égypte. Éditions de l’Avenir. Genève, 1971.
Juifs du Nil. Textes réunis et présentés par Jacques Hassoun. Éditions Le Sycomore, 1981.
Les Juifs d’Égypte. Images et Textes. Ouvrage collectif. Éditions du Scribe, 1984.
Joseph Mélèze-Modrzejewski. Les Juifs d’Égypte. De Ramsès II à Hadrien. Éditions Errance, 1991.
Frédéric Galimidi. Alexandrie-sur-Seine. Cousins de Salonique, éditeurs, 1999.
Maurice Bensoussan. Souvenirs gourmands d’un « Français d’Égypte ». Éditions Créaxtion, 2005.
Fortunée Dwek. Nono. Un Juif d’Égypte. Éditions L’Harmattan, 2006. Voir notre recension du 25-09-2006.
Minou Azoulai. Murmures d’Alexandrie. Éditions Créaxion, 2006. Voir notre recension du 12-03-2007.
Photo : D.R.