Tribune
|
Publié le 4 Mai 2012

Dieudonné: un raciste accueilli au Québec

Le 28 avril dernier, La Presse publiait ce que nous sommes en droit d'appeler un publi-reportage sur l'antisémite français Dieudonné. Jamais, dans l'article de La Presse, le journaliste Éric Clément ne pose les dures questions qui auraient dû être posées à ce raciste reconnu comme tel par plusieurs cours de justice.

Je ne comprends pas la popularité de cet horrible personnage au Québec, alors qu'il est maintenant honni en France. Avec raison.

 

Mais au Québec, on l'accueille encore.

 

Comme l'a écrit le chroniqueur du Devoir Christian Rioux , « [s]i l'humoriste Dieudonné doit demander un jour l'asile politique quelque part, ce sera probablement au Québec. » (Christian Rioux, « Le "martyr" Dieudonné », Le Devoir, vendredi 14 juillet 2006).

 

Au départ humoriste talentueux, Dieudonné a depuis plusieurs années sombré dans un antisionisme et un antisémitisme obsessionnels. Il fréquente les groupuscules conspirationnistes, d'extrême droite et d'extrême gauche. Et il attaque les Juifs au vitriol.

 

La controverse Dieudonné commence véritablement en décembre 2003, à la télévision française. Déguisé en « colon israélien facho », Dieudonné termine son sketch en faisant le salut nazi et en lançant « Isra-Heil ». Il fait alors le lien entre Israël et l'Allemagne nazie, l'équation entre la victime et son bourreau.

 

Comme l'écrit avec raison la journaliste française Anne-Sophie Mercier : « Dans notre inconscient collectif, le nazisme reste le mal absolu. Ce qui est nazi doit être combattu par tous et disparaître».

 

Dans le Journal du Dimanche, en février 2004, il accuse les Juifs d'être des « négriers reconvertis dans la banque ». Dieudonné fut condamné par la justice française pour ces propos, une décision confirmée par la Cour d'appel de Paris le 15 novembre 2007.

 

Lors d'une conférence à Alger le 16 février 2005, il se fait poser une question sur le mot « antisémitisme ». Il répond : « Ça ne veut plus rien dire (...). C'est une vaste escroquerie (...). Rien que le terme est une aberration, une escroquerie. Mais en France il ne faut pas changer de mot, parce que le mot, il a toujours fait bingo. Donc on garde, voilà, c'est une manipulation. Je parle de pornographie mémorielle. Je pense que ça devient pornographique ».

 

Ces déclarations ont été condamnées vigoureusement en France. Du Parti socialiste, par la voix de son Premier secrétaire, à l'UMP (droite), par la voix du porte-parole du gouvernement d'alors Jean-François Copé, les propos de Dieudonné ont été condamnés par le monde politique français.

 

Une réaction politique a cependant retenu mon attention: celle de Harlem Désir, ancien président de SOS-Racisme, militant antiraciste bien connu en France et député socialiste européen : « Il faut boycotter Dieudonné et ses spectacles comme on a boycotté, hier, l'apartheid et demander à la justice de le condamner sans ménagement. (...) En déclarant à la presse algérienne que "le sionisme est le sida du judaïsme" après avoir parlé de la Shoah comme d'une "pornographie mémorielle", Dieudonné ajoute l'ignoble à l'indécence. (...) Il est aujourd'hui l'un des plus grands antisémites de France. »

 

Les grands médias hexagonaux ne manquèrent pas non plus de commenter. Le quotidien Le Monde, en éditorial, a écrit: « L'humoriste Dieudonné ne fait plus rire. Et ce constat vaut déjà condamnation. À 39 ans, le comédien appartient désormais au passé, lorsqu'il formait un duo inénarrable avec le comique Élie Semoun dans les années 90. Aujourd'hui, cet artiste est sorti de scène, comme on dit d'un véhicule qu'il est sorti de route. Son discours est saturé d'antisémitisme au point que l'on peut se demander s'il ne lui est pas aussi naturel que la prose à Monsieur Jourdain, le personnage de Molière (...).

 

Comme Jean-Marie Le Pen, président du Front National et expert en petites phrases nauséabondes, Dieudonné lance ses traits et se rétracte aussitôt sur le thème : je n'ai pas dit ce que vous avez entendu. Autrement dit, le raciste n'est pas celui que l'on croit! Malheureusement pour lui, il n'y a pas de complot. Seulement un comique à la dérive saisi par un militantisme communautariste indigne ». (Dieudonné, assez, Le Monde, 22 février 2005).

 

L'hebdomadaire de gauche Le Nouvel Observateur, sous la plume de Claude Askolovitch y va d'une chronique très dure intitulée Dieudonné : Enquête sur un antisémite (Le Nouvel Observateur, 24 février 2005.)

 

Le 28 mars 2005, Dieudonné en remet. Il déclare sur les ondes de la station de radio Beur FM : « Dans le livre de classe de mes enfants, j'ai arraché les pages sur la Shoah ».

 

En annonçant sa candidature (qui ne durera pas longtemps) à la présidence de la République française, en janvier 2006, Dieudonné prend la défense du président iranien Mahmoud Ahmadinejad qui appelle à rayer Israël de la carte.

 

Sans gêne, il défend la chaîne de télévision du groupe terroriste libanais Hezbollah, Al Manar, qui diffuse sur ses ondes une série télévisée antisémite inspirée du faux document intitulé Le Protocole des sages de Sion.

 

Le 11 novembre 2006, il se rend au lancement de la campagne présidentielle du leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen. Le Pen et Dieudonné ont même des liens familiaux maintenant. En effet, le leader d'extrême droite a été choisi par Dieudonné pour être le parrain de son quatrième enfant.

 

Le 26 décembre 2008, il a remis un prix au négationniste bien connu Robert Faurisson sur la scène du Zénith. Pour ce qu'il a dit lors de cet événement, Dieudonné a été condamné par la Cour d'Appel de Paris en mars 2011, pour injures racistes.

 

Son dernier film, L'antisémite, a été financé... en Iran, pays du négationnisme de l'Holocauste et dont le président a appelé à rayer Israël de la carte.

 

On pourrait continuer encore longtemps.

 

Notamment avec sa condamnation par la Cour supérieure du Québec à verser 75 000$ au chanteur Patrick Bruel pour avoir traité ce dernier de « supermilitant » sioniste, de «militaire israélien» qui approuve que l'armée israélienne « tue les enfants palestiniens » au sud du Liban lors de l'émission Les Francs-Tireurs du 29 novembre 2006, à Télé-Québec. Dieudonné avait également affirmé que le chanteur souffrait du « complexe de supériorité de certains Israéliens », c'est-à-dire qu'il pense qu'il fait partie « d'un peuple supérieur ».

 

Dieudonné est devenu tellement obsédé par les Juifs qu'il a même fondé un Parti antisioniste - « aux nets relents antisémites », selon Le Monde - pour les élections européennes de 2009, élections au cours desquelles il a fait patate.

 

Ces quelques exemples donnent une bonne idée de ce personnage nauséabond qui, pourtant, est encore accueilli au Québec.

 

Les Français ne sont plus dupes.

 

Pourquoi les Québécois le sont-ils encore?