Tribune
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Publié le 4 Septembre 2012

Nucléaire : Iran, Israël, qui est dans son droit ?

 

Téhéran est-il dans l'illégalité en enrichissant de l'uranium ? Tel-Aviv peut-il se protéger en attaquant les sites iraniens ? Voici l’analyse d’Armin Arefi pour le Point.

Israël sort renforcé du dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). L'État hébreu, qui n'a de cesse d'insister sur l'inefficacité du dialogue avec Téhéran, a été conforté par les déclarations de l'agence, selon laquelle la République islamique a doublé ses capacités d'enrichissement d'uranium sur son site souterrain de Fordo. Le 18 août dernier, l'Iran y avait installé environ 2 000 centrifugeuses, soit un millier de plus qu'en mai. Sur ce nombre, environ 700 demeurent aujourd'hui en activité, précise le rapport.

 

"Sans surprise, nous avons une confirmation du durcissement du programme nucléaire iranien", explique une source diplomatique occidentale proche du dossier. "Nous nous dirigeons aujourd'hui vers une cohésion avec la position israélienne. D'après elle, la menace ne se situe plus aujourd'hui dans le degré d'enrichissement de l'uranium (20 %), mais dans le nombre de centrifugeuses disposées sous terre, et donc désormais invulnérables." En d'autres termes, le temps presse avant que l'Iran n'ait assez de machines invulnérables face aux bombes. À ce moment-là, craint Israël, la République islamique pourrait décider quand bon lui semble de se lancer dans la construction de la bombe, en toute sécurité.

 

Une autre énergie alternative au pétrole

 

Un alarmisme que ne partage pas Akbar Etemad, ex-directeur de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA) de 1974 à 1978, sous le shah. "Le rapport de l'AIEA ne présente rien de nouveau", affirme-t-il au Point.fr "L'Iran a toujours dit qu'il continuerait à enrichir de l'uranium, ce que lui garantit le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) dont il est signataire» (depuis 1970, NDLR). Conclu en 1968, ce traité interdit le développement de l'arme atomique en dehors des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.

 

Il accorde en revanche l'accès à toutes les technologies et aux équipements nécessaires pour développer la recherche, la production et l'utilisation de l'énergie nucléaire civile. "L'enrichissement d'uranium en fait partie", souligne Akbar Etemad. L'Iran justifie son programme par le besoin de trouver une énergie alternative au pétrole, une source vouée à s'épuiser. Téhéran affirme également vouloir équiper son réacteur de recherche médicale, servant à diagnostiquer certains cancers. Mais, pour les grandes puissances chargées de négocier avec l'Iran (les cinq membres du Conseil de sécurité, plus l'Allemagne), la finalité du programme nucléaire iranien serait tout autre.

 

"Aucun autre objectif que la bombe"

 

"Il n'y a aucun autre objectif crédible que la bombe atomique", souligne un diplomate occidental. En 2002, c'est la révélation par l'opposition iranienne de l'existence de deux sites nucléaires inconnus - une usine d'enrichissement d'uranium à Natanz, et à réacteur d'eau lourde à Arak - qui a lancé les spéculations quant à la nature purement civile du programme nucléaire iranien. "Une bombe iranienne serait une catastrophe du point de vue de la prolifération dans la région", insiste le diplomate.

 

"Depuis quand se base-t-on sur des suspicions, et non des faits, en droit international ?" s'insurge de son côté Akbar Etemad, qui rejette en bloc le risque de prolifération. "L'Inde et le Pakistan, qui n'ont pas signé le TNP, ont bien la bombe, et ce n'est nullement une catastrophe, d'autant plus qu'Islamabad n'est pas un modèle de stabilité." L' Arabie saoudite, en guerre froide avec Téhéran, a pourtant averti qu'elle se lancerait elle aussi dans la course à l'armement atomique si son grand rival chiite accédait à la bombe.

 

Deux poids, deux mesures

 

"Si l'Arabie saoudite dit vrai, Riyad aurait déjà réagi lorsqu’Israël, son ennemi à l'époque, s'est doté de l'arme atomique." Pour l'ex-directeur de l'OIEA, le cas de l'État hébreu cristallise encore mieux ce deux poids, deux mesures. "Israël est un pays hors la loi du point de vue nucléaire : Tel-Aviv, qui menace aujourd'hui d'attaquer l'Iran, n'a jamais signé le TNP et n'a jamais pour autant été sanctionné par le Conseil de sécurité de l'ONU", souligne-t-il. S'il n'a jamais reconnu être détenteur de l'arme nucléaire, l'État hébreu posséderait, d'après les spécialistes, entre 100 et 200 ogives nucléaires. Il a conclu en 1969 une "entente" avec les États-Unis, aux termes de laquelle les dirigeants israéliens s'abstiennent de toute déclaration publique sur le potentiel nucléaire de leur pays et ne procèdent à aucun essai. En échange, Washington renonce à exercer des pressions liées à ce dossier.

 

Pour justifier son refus de voir l'Iran se doter de la bombe, Israël insiste sur les menaces des dirigeants iraniens, dont il fait régulièrement l'objet. Le 15 août dernier, le guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, a encore déclaré qu'Israël, une "excroissance sioniste artificielle", "disparaîtra du paysage" de la région. "Il existe un Conseil de sécurité pour qu'Israël porte plainte contre ce genre de propos, affirme Akbar Etemad. Mais ce pays ne peut être à la fois juge et partie en s'engageant dans des frappes." Pour éviter les conséquences potentiellement explosives d'une telle initiative, l'Occident insiste sur la nécessiter d'accentuer les sanctions contre Téhéran. Car celles-ci touchent durement l'économie iranienne.

 

Disparition de traces suspectes

 

"En termes de capacité de sanctions, nous sommes passés de 10 % en début d'année à 70 % aujourd'hui", note une source diplomatique occidentale, se référant à l'embargo européen sur le pétrole iranien, entré en vigueur le 1er juillet dernier. "Ce qui reste, ce serait un embargo général sur le commerce avec la République islamique, mais nous en sommes encore loin", concède la source. Problème, le cours élevé du baril assure à Téhéran de confortables rentrées d'argent, malgré la baisse de ses exportations.

 

Les inquiétudes occidentales ne se limitent pas aux sites nucléaires. L'AIEA accuse également l'Iran d'entraver son travail de vérification sur la base militaire de Parchin, laissant clairement entendre que Téhéran a fait disparaître des traces suspectes, juste après que l'agence a demandé à le visiter. Le "gendarme du TNP" soupçonne les autorités iraniennes d'avoir procédé dans un conteneur à des tests d'explosion conventionnelle à forte puissance, pouvant être applicables au nucléaire, ce que Téhéran dément.

 

"L'agence estime que cette base militaire est liée au nucléaire, car elle contient des éléments pouvant être détournés", explique un expert proche du dossier. "L'AIEA possède avec l'Iran un accord de sûreté nucléaire qui porte uniquement sur le contrôle de matières fissiles dans les centres déclarés : un domaine qui exclut donc Parchin", estime pour sa part Akbar Etemad.