Tribune
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Publié le 3 Décembre 2012

« Ni Hussein ni Nasser ne voulaient d'un État palestinien »

Retour avec Fréderic Encel, le spécialiste du Proche-Orient, sur la naissance puis l’évolution de la cause palestinienne.

La date du 29 novembre était déjà connue pour être celle de l’année 1947, lorsque l’Assemblée générale de l’ONU avait approuvé, par le vote de la résolution 181,la création de deux États, juif et arabe, faisant de Jérusalem une enclave internationale. Si la population juive a immédiatement accepté ce compromis, les États et résidents arabes ont quant à eux rejeté cette proposition. La question de la création d’un État palestinien était-elle déjà à cette époque à l’ordre du jour ?

 

Disons que l'idée de la séparation de la Palestine mandataire britannique en deux États, l'un juif, l'autre arabe, était dans l'air depuis au moins le milieu des années 1930. Grande révolte arabe d'une part (1936), construction rapide et cohérente du yishouv (le foyer national juif) d'autre part, coûts d'occupation sans cesse plus lourds ; tout pousse Londres à en finir avec cette question. D'où les deux plans de partage établis - cartes précises à l'appui - dès 1937 et 1938 avec les plans Peel et Woodhead. On y trouve déjà les deux États, et, en effet, un corpus separatum autour de Jérusalem. Mais quand le coût lié à la lutte de libération nationale par les organisations sionistes devient vraiment trop lourd, en 946-47, Londres transmet le dossier, la mort dans l'âme, à l'ONU. Et la Commission onusienne (UNSCOP) de conclure très vite, au cours de l'été 1947, à la même nécessité de créer un État juif de Palestine et un État arabe de Palestine. On connaît la suite : l'Organisation sioniste accepte la résolution impliquant le partage, les États arabes et le Haut Conseil arabe de Palestine refusent...

 

À la fin de la guerre d’Indépendance, l’Égypte disposait du contrôle de la bande de Gaza et la Jordanie avait annexé la Cisjordanie. Pourquoi n’y a-t-il pas eu à partir de là une volonté d’établir un État palestinien sur ces territoires ?

 

Vous avez tout à fait raison de le rappeler ! Le refus de ces deux États arabes d'accorder, au moins sur ces portions importantes du territoire palestinien initialement dévolu à l'État arabe de Palestine, ne serait-ce qu'une autonomie, prouve clairement leur volonté de ne pas voir se créer cet État. Peur de l'irrédentisme en Jordanie, crainte peut-être de la déstabilisation du Sinaï en Égypte... Le fait demeure : le roi Hussein et le président Nasser ne voulaient pas d'un État palestinien souverain, et ont instrumentalisé (surtout Nasser) sans vergogne cette cause à leurs profits respectifs. Du reste, chaque État arabe, de l'Irak à la Libye en passant par la Syrie et le Soudan, en a fait de même. Ce n'est qu'après 1967 et la prise de contrôle de la Cisjordanie et Gaza par Israël que l'occupation est devenue intolérable ! Lorsqu’elle était arabe, elle paraissait naturelle...

 

La plupart des experts estiment qu’une déclaration unilatérale d’un État palestinien risque surtout de créer des torts à la cause palestinienne. Comment expliquer l’obstination de Mahmoud Abbas ?

 

Ce n'est pas évident. Certes, on peut considérer que chaque tentative qui échoue constitue un revers. Mais mettons-nous un instant à la place de Mahmoud Abbas. Il a renoncé à l'usage de la violence, et tient plutôt bien l'économie dans les zones dont il a le contrôle. Son rival mortel, c'est le Hamas qui, lui, cherche la tension et le chaos (cf. mon article dans Le Monde daté du 23/11/2012). Sauf des initiatives diplomatiques à l'Assemblée générale des Nations unies, là où il sait avoir la majorité, que peut-il faire pour démontrer à son opinion que la cause de l'indépendance avance ? Son erreur est sans doute de ne pas prendre suffisamment en considération - j'y reviens en bon géopolitologue !- les rapports de force. C’est-à-dire qu'exiger depuis plusieurs années l'arrêt de la construction dans les implantations comme préalable à la reprise des pourparlers, alors même qu'Israël, globalement soutenu par les Occidentaux, réclame une reprise sans préalable, lui fait perdre un temps précieux. Or la puissance de l'État juif s'accroît (quoi qu'en bêlent les pénibles prophètes de malheur à longueur de blogs ou de conférences ineptes) par rapport à celle de l'Autorité palestinienne. Surtout, le temps de l'absence de négociations n'est pas perdu pour les fanatiques du Hamas, on vient de le voir...

 

Propos recueillis par Laëtitia Enriquez pour Actualité juive.