Tribune
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Publié le 7 Février 2014

Lorsque le numéro 2 du FN joue avec le feu

Tribune de Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Études du CRIF

 

La lutte courageuse de Manuel Valls pour faire interdire les spectacles de Dieudonné a été l'objet d'une vive passe d'armes entre le Ministre de l'Intérieur et Florian Philippot, jeudi 6 février 2014, sur le plateau de "Des paroles et des actes" de France 2. « Vous avez l'air complètement obsédé » par Dieudonné, a répondu le vice-Président du FN à qui le Ministre de l'Intérieur demandait s'il qualifierait le polémiste controversé d' « antisémite ». « Il a été condamné pour cela », a répondu Philippot, comme pour se défausser. Par ailleurs, le numéro deux du FN a accusé le Ministre de l'Intérieur d'avoir été « irresponsable » en déclarant, après la manifestation dite du "Jour de colère" le 26 janvier, qu'il y avait eu une « haine du juif (qui) réunit l'extrême droite ». « Vous êtes obsédé par les années trente », a-t-il affirmé. Commentons. 

Disons-le clairement ici : les gesticulations et les faux-semblants du numéro 2 du FN sont pathétiques. Rappelons à Florian Philippot que Jean-Marie Le Pen, Président d’honneur du FN et grand bonimenteur de ce parti, a pesé lourdement sur la vie politique lorsqu’il a provoqué l'opinion publique par des propos scandaleux ; en distillant la haine et en qualifiant de « détail » le plus important génocide de l'Histoire ; en incitant à la haine contre une partie de la population en raison de sa religion ou de sa race ; en agitant le spectre de l’immigration et en jouant sur les peurs et les fantasmes ou en induisant le rejet de l'autre. Jean-Marie Le Pen ou l’obsession des années 30 et de l’Occupation allemande. Un Jean-Marie Le Pen qui, rappelons-le ici, jusqu'en avril 2011, avait été condamné 18 fois par la justice de notre pays, pour diverses infractions.

 

Rappel des faits :

 

1)         Un scandale éclate lorsque Jean-Marie Le Pen déclare le  13 septembre 1987, au Grand Jury RTL-Le Monde, à propos de la contestation, par des négationnistes, de l'utilisation par les nazis de chambres à gaz homicides : « Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Face à la réaction du journaliste, il répond : « Non, la question qui a été posée, c'est de savoir comment ces gens ont été tués ou non ».

 

2)         Ces propos seront réitérés en 1997 en Bavière (pour lesquels il sera à nouveau condamné), en 2008 dans le magazine Bretons (1), puis en séance du Parlement européen le 25 mars 2009 qui avait antérieurement levé son immunité parlementaire le 6 octobre 1998 pour les propos de 1997 (2).

 

3)         Jean-Marie Le Pen, avait estimé dans un entretien qu’il avait accordé à l'hebdomadaire négationniste Rivarol le 7 janvier 2005, que « l’occupation allemande » (en France) n’a pas été particulièrement inhumaine » et qu’« il y aurait beaucoup à dire » sur le massacre d’Oradour-sur-Glane. Le Pen avait expliqué également que « si les Allemands avaient multiplié les exécutions massives dans tous les coins comme l'affirme la vulgate, il n'y aurait pas eu besoin de camps de concentration pour les déportés politiques ».

 

4)         Le 2 septembre 1988 (3), lors de l'université d'été du Front national au Cap d'Agde, il déclare : « Monsieur Durafour et Dumoulin, obscur Ministre de l'ouverture dans laquelle il a d'ailleurs immédiatement disparu, a déclaré : “Nous devons nous allier aux élections municipales, y compris avec le Parti communiste, car le Parti communiste, lui, perd des voix tandis que l'extrême droite ne cesse d'en gagner…” M. Durafour-crématoire, merci de cet aveu ». Le jeu de mots fait scandale.

 

5)         Le Président du Front national avait maintenu le lundi 28 novembre 2005, dans un entretien télévisé à la BBC, ses déclarations sur les chambres à gaz qui lui avaient valu une condamnation par la justice française. « Je vais vous dire exactement ce que j'ai dit : les chambres à gaz sont un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale », avait déclaré Jean-Marie Le Pen, alors que le journaliste de la BBC venait de lui rappeler de manière incomplète les propos qu'il avait tenus en 1987. À la BBC, Jean-Marie Le Pen avait trouvé « assez douteux, assez suspect » qu'il ait pu faire l'objet d'une condamnation judiciaire pour ces propos ».

 

Florian Philippot prétend vouloir donner une nouvelle image au FN. Il ferait mieux de condamner sans réserve les déclarations de son Président d’honneur et de présenter les excuses de son parti.

 

Alors, M. Philippot, selon vous, Dieudonné dont Jean-Marie Le Pen est devenu le parrain de son troisième enfant, est-il antisémite?

 

Répondez clairement à cette question. Clairement, sans vous défausser.

 

Notes :

1. « Jean-Marie Le Pen récidive sur les chambres à gaz », Le Monde, 26 avril 2008.

2. « Le Pen continue à minimiser les chambres à gaz au Parlement européen », AFP, 25 mars 2009.

3. Antenne 2, 3 septembre 1988.