Actualités
|
Publié le 15 Juin 2015

Günther Jikeli, invité de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF

La Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF a reçu le 10 juin Monsieur Günther Jikeli
 

Par Jean Corcos, Président délégué de la Commission
Günther Jikeli est un historien allemand. Docteur de l'Université de Berlin, il s'est intéressé à la montée de l'antisémitisme d'origine musulmane dans sa ville, à partir de 2001. Son travail de chercheur l'a conduit, à la fois à réaliser des interviews de jeunes Musulmans, en Allemagne, en France et Royaume-Uni, et à analyser en profondeur les sondages réalisés dans différents pays européens. Son expertise est aujourd'hui bien reconnue au niveau international, en particulier suite à la publication de son ouvrage en langue anglaise "European Muslim Antisemitism. Why young urban males say they don't like Jews" (IU Press). Il est actuellement "Research fellow" du "Moses Mendelssohn Center for European Jewish Studies", Université de Potsdam, et au "Groupe Sociétés, Religions, Laïcités" au CNRS.
Il a souligné dans son exposé les points "quantitatifs" suivants qui ressortent de l'ensemble des sondages étudiés : le niveau d'antisémitisme est 2 à 5 fois plus élevé (selon les sondages et les pays), chez les Musulmans que dans l'ensemble de la population ; le niveau d'antisémitisme augmente avec la religiosité et le degré de fondamentalisme ; l'identité d'origine semble avoir aussi une influence (ainsi, pour une étude WZB portant sur l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la France, les Pays-Bas et la Suède), les Sunnites d'origine turque sont plus hostiles que ceux d'origine marocaine, mais également que les Alévis d'origine turque (courant musulman minoritaire dans ce pays) ; les corrélations avec la discrimination ou les variables socio-économiques  ne sont pas significatives.
D'un point de vue "qualitatif", 4 types d'argumentations antisémites ont pu être relevées : antisémitisme "classique" (théories du complot, stéréotypes divers) ; opinions négatives se rapportant à Israël ("ils tuent des enfants") ; des opinions négatives se rapportant à une identité musulmane ou ethnique ou à l’Islam (il est naturel de penser que "les Musulmans n'aiment pas les Juifs" ; des opinions négatives ne faisant pas l'objet d'une rationalisation, comme s'il était "tout naturel" de haïr les Juifs.
Comment contrer ces tendances redoutables, qui se sont concrétisées par de nombreuses agressions physiques et parfois des assassinats ? Günther Jikeli propose de soutenir les "anti antisémites", qui existent aussi chez les Musulmans, et qui eux développent les arguments suivants : critique des "identités collectives" ; foi dans les Droits de l'Homme ; conscience que "accuser les Juifs pour tout est trop facile" ; existence d'ami(e)s juifs ou juives très proches ; souhait de mener une vie en paix et sans problèmes. Comme il a d'ailleurs été noté lors du débat, ces valeurs sont précisément celles mises en avant, en France au mois de janvier, après les immenses manifestations suite aux attentats contre "Charlie Hebdo" et l'Hypercasher.
En conclusion, notre invité a insisté sur le fait qu'il existe bien un antisémitisme musulman spécifique, bien que l'hostilité vis-à-vis des Juifs concerne bien d'autres milieux ; cet antisémitisme, devenu une "norme" chez certains, ne peut pas être réduit à la "colère" contre la politique d'Israël ; et les courants islamistes, en règle générale, véhiculent de la haine contre les Juifs. Il faut donc déconstruire la thèse d'une "guerre éternelle" entre "les Juifs" et "les Musulmans", notamment en soutenant les "anti-antisémites", en isolant les organisations islamistes et par des actions d'éducation.
Un riche débat a conclu cet exposé avec Günther Jikeli, dont le travail de synthèse est réellement inédit.