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Publié le 23 Juillet 2015

Alain Chouraqui: "Il n’y a aucune fatalité dans la barbarie"

Parce que l’actualité ne cesse de montrer qu’il est urgent de réagir, la Fondation du Camp des Milles choisit l’arme de la mémoire pour tirer les leçons du passé. 

Entretien avec Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles, propos recueillis par Pascale Monnier, entretien publié dans Ouest-France, juillet 2015
 
Le Camp des Milles fut-il le seul camp d’internement et de déportation français ?
 
Ce ne fut pas le seul camp, c’est le seul grand camp d’internement et de déportation français encore in- tact et accessible au public. Il y a eu 242 camps d’internement en France dont sept grands. Pendant des dé- cennies, on a préféré ne pas regar- der en face cette période difficile, ex- cepté sous l’angle de la Résistance. C’est vrai, d’ailleurs, qu’il était néces- saire d’avoir une vision volontariste et constructive après la guerre. Il a fallu at- tendre les années 1980 pour lever da- vantage le voile sur la déportation des résistants et des politiques. Puis sur celle des juifs, après l’attentat de la rue Copernic et celui de la rue des Rosiers.
 
Comment est-on sorti de cette amnésie historique ?
 
Le retour de la violence antisémite a conduit beaucoup d’anciens à parler alors qu’ils considéraient eux-mêmes que c’était du passé. Parler pour éclai- rer, pour expliquer. Car ce n’était plus seulement du passé. Et puis, le temps avait fait son œuvre. La génération qui était un peu gênée par cette pé- riode, y compris chez nos présidents de la République, l’a enfin affrontée. Et c’est particulièrement vrai pour le Camp des Milles. Il n’y a pas eu que de « méchants Allemands ».
 
Le site du mémorial se veut un lieu de mémoire pas comme les autres ?
 
Le président Chirac a reconnu, en 1995, la responsabilité française dans la déportation des juifs vers l’Al- lemagne. Cinquante ans après. Il a fallu dix-sept années de plus pour ob- tenir la reconnaissance des Milles. Car personne ne voulait remuer tout cela et personne n’en voyait l’intérêt. Nous nous sommes bagarrés parce que nous avions la conviction que le pire pouvait recommencer. Et, depuis le début, l’intention des fondateurs du mémorial est d’être le plus direc- tement utiles au présent, d’en faire un lieu vivant.
 
La mémoire en elle-même ne suffit donc pas ?
 
Non. Surtout avec le temps qui passe. Il était légitime de penser que la force de l’émotion, qui était encore là, pou- vait prémunir de nouveaux crimes. Or,  on  s’aperçoit  qu’il  y  a    une banalisation de ces horreurs passées. On en perd l’acuité, on en efface le sens...