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Publié le 1 Avril 2016

François Heisbourg, invité du Crif Auvergne-Rhône-Alpes

Le président de l'Institut International d' Etudes Stratégiques à Londres a évoqué un monde dangereux et complexe. 

Dans le cadre de ses déjeuners-débats rencontres, le Crif Auvergne-Rhône-Alpes a reçu le mardi 8 mars 2016, François Heisbourg, président de l'Institut International d' Etudes Stratégiques à Londres, du Centre Politique de Sécurité à Genève et conseiller du président de la Fondation pour la recherche stratégique…
 
C'est dans la salle comble du restaurant de l'Espace Hillel que François Heisbourg a exposé sa vision du monde actuel avec son œil de clinicien-expert.
 
Le 8 mars était la journée des femmes…Après quelques mots d’humour sur ce sujet, le constat selon notre orateur en cette journée est que les femmes sont toujours aussi peu représentées dans les postes où les décisions se prennent.
 
Selon lui, le monde d’aujourd’hui est plus dangereux et plus complexe en termes d’analyse car nous sommes surinformés. 
 
Mais il nous présente son analyse :
-Après 15 à 20 ans de la période de la guerre froide, depuis 2007 l’équilibre des pouvoirs dans le monde a peu à peu changé et nous devons faire face à la menace terroriste.
- la Russie de Poutine commence à nouveau à se faire respecter.
-Après l’échec cuisant subi par les Etats-Unis en Irak  et la crise des sub-primes, on assiste à une montée de la superpuissance de la Chine
- à l’inverse, apparait un enlisement, une fragmentation de l'Europe, entrée à son tour dans la crise économique. Par rapport à l’Inde, la Chine ou les Etats-Unis, l’Europe a perdu 10 ans de croissance.
 
En août 2013, on assiste à une volte-face inexplicable de l'Amérique d' Obama et ses alliés, à quelques heures de l'attaque contre la Syrie, accusée d'avoir utilisé des armes chimiques (…).Cette faute politique est sans doute explicable par les échecs en Irak et les critiques permanentes adressées par l’Europe à propos de l’interventionnisme américain.
 
Mais les réactions de la Chine avec des mouvements militaires depuis cette époque et de Poutine n'ont pas tardé et l'Europe a été renvoyée à ses faiblesses (économiques, frontières extérieures de l'espace Schengen).
 
L’année 2014 est une année charnière avec l’annexion de la Crimée, l’installation d’un nouveau conflit avec la Russie insatisfaite de son statut, et l’irruption de l’état islamique (EI).
 
Si l’Europe parvient à plus ou moins gérer l’affaire ukrainienne, elle ne se sort pas des problèmes du Moyen-Orient et ni de l’arrivée des réfugiés avec ses frontières trop faibles, jusqu’à devoir tout récemment se mettre à genoux devant les exigences d’Erdogan !
 
Au Moyen-Orient, aucun service de renseignement, aucune diplomatie n'avait prévu une telle irruption de l’EI (2014).
 
Il y avait 157 groupes armés en Syrie avec chacun leur agenda propre. Le facteur "chance" est intervenu quand Daech s'est retrouvé près des puits de pétrole (source de rentrée d'argent), puis s’est emparé de Mossoul où il a récupéré des armes US et russes.
 
C’est en fait la remise en cause des frontières de la région définies après le découpage de l’empire ottoman (accords de Sykes-Picot) et la stratégie de l’EI relève en fait d'une stratégie réfléchie, sophistiquée, avec un langage politique très clair visible sur une vidéo officielle.
 
Le Moyen Orient est entré dans une ère semblable à la guerre de 30 ans, car Daech n'est l'ennemi principal de personne dans cette région où chaque pays a son ennemi prioritaire (Kurdes, Sunnites, Rebelles, chiites…)
 
Israël fait preuve d'une prudence stratégique, en considérant l’Iran comme son principal ennemi. Israël surveille la menace périodique du Hezbollah et s'allie provisoirement avec les monarchies "modérées" (c'est un euphémisme) du Golfe…
 
Pour François Heisbourg « Israël fait œuvre d’opportunisme stratégique »
La Russie est révisionniste en terme géopolitique et stratégique. Elle connait des difficultés économiques, mais Poutine reste populaire dans son pays en jouant avec la fierté nationale retrouvée.
Les élections américaines?  Hillary Clinton est sans doute la mieux préparée mais elle donne l’impression que le pouvoir lui est dû.
Elle a un comportement "dépassé" en 2016. Quant à « l'histrion » Donald Trump, c'est un homme redoutable, à l'épiderme très sensible et non contrôlé.
 
Il faut espérer que le "rêve américain"  qu'il incarne pour beaucoup d'électeurs ne se transforme pas en cauchemar pour tout le monde. 
Le terrorisme: Un vrai tournant en novembre 2015, malgré les attentats du début 2015, où la France a connu les attentats les plus meurtriers depuis la guerre d'Algérie.
 
Le 13 Novembre 2015 est comparé au 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, mais le fait de parler de "guerre" est une erreur qui conforte l’EI dans sa propagande et qui donc est dommageable. 
 
Une guerre a « un début, un milieu, une fin », mais le terrorisme, au même titre que la criminalité, ne peut s'éradiquer. On doit lutter tout le temps contre. Si les bombardements sont nécessaires, ils n’apporteront aucun résultat conséquent.
 
Il faut en même temps amplifier la lutte contre les discriminations pour supprimer le vivier, et renforcer le renseignement et la collecte des informations pour assurer l'anticipation et combattre le djihadisme.
Une Commission d'enquête travaille aujourd’hui sur les différents attentats pour évaluer les disfonctionnements et en tirer les leçons.
Selon François Heisbourg le prolongement de l’état d’urgence est inutile et pas valable du point de vue constitutionnel. Il en est de même pour la déchéance de nationalité.
 
François Heisbourg a répondu à de nombreuses questions : 
L’avenir de l'Europe ? … "qui ne sera pas si sombre si elle parvient à un règlement stable avec la Turquie, à surmonter avec la Grèce le problème des migrants, à faire vivre Schengen, à se faire à l'idée que le Royaume Uni ne se voit plus faire partie de l'Europe…et à comprendre que son faible taux de croissance risque de durer !"
 
Sur les USA: F. Heisbourg pense que Donald Trump, s'il est élu, s'apercevra très vite que la méthode des "gros bras" face à Poutine ne marchera pas. Quant à Hillary Clinton, elle va se sentir obligée de se montrer plus dure que sa vraie nature, pour se différencier d'Obama.
Sur la Turquie: pour lui, "c'est comme le supplice du pal, cela commence bien mais finit très mal… l'excès de confiance des dirigeants de la Turquie après un redressement de son économie leur a fait perdre la raison…"plus inquiétant, le bruit de guerre entre Turquie et Russie…
 
En conclusion, F.Heisbourg a affirmé qu'il est déraisonnable de penser qu'on ne peut pas assumer ce fardeau du terrorisme. Son pessimisme professionnel n'empêche pas son optimisme personnel de penser qu'on va passer à  travers ces épreuves.