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Publié le 22 Juillet 2020

Monde - Ouïghours du Xinjiang : comment la Chine s'est retrouvée dans l'impasse en quelques semaines

L'ethnie musulmane minoritaire, qui fait l'objet d'une politique d'internement massive en Chine depuis 2017, est de nouveau au cœur des préoccupations internationales.

Publié le 22 juillet dans Le Figaro

Serait-ce l'échange de tirs de trop ? La question des Ouïghours, cette ethnie musulmane turcophone qui peuple la province du Xinjiang, située à l'extrême-ouest de la Chine, suscite à nouveau une escalade de tensions entre Pékin d'un côté, Washington et Londres de l'autre.

Si la politique d'assimilation des Ouïghours par l'État-Parti ne date pas d'hier - mais de l'annexion de la province du Xinjiang en 1949 -, elle a pris la forme d'une répression inédite depuis 2017, année à laquelle sont apparus les premiers «camps de rééducation». Sous la houlette de Chen Quanguo, le nouveau secrétaire du Parti communiste nommé à la tête de la province et connu pour ses méthodes répressives au Tibet, l'immense territoire semi-désertique du Xinjiang s'est bunkerisé au motif, selon Pékin, de la lutte contre le «séparatisme» et le «terrorisme» ouïghour.

À ce jour, plus d'un million de femmes et d'hommes Ouïghours ont été envoyés dans ces prisons plantées en plein désert, selon Amnesty International et Human Rights Watch. Pékin les désigne sous le nom de «centres de formation professionnelle» destinés à aider la population à trouver un emploi afin de l'éloigner de la tentation de l'extrémisme islamiste.

Depuis trois ans, la communauté internationale oscille, effarée, entre dénonciation et dénégation. Washington en a fait l'un de ces fers de lance dans la guerre commerciale qui l'oppose à Pékin. Les percées des Nations unies pour diligenter une délégation de représentants dans la province sont jusqu'ici restées vaines. Seuls les témoignages de rescapés qui parsèment la presse attestent de l'horreur des camps de rééducation : le bourrage de crâne, le travail forcé, les mauvais traitements, la torture et, maintenant, la stérilisation forcée des femmes. Cette fois, le vernis craque et la Chine se trouve sommée de répondre de ses actes. Mais comment en est-on arrivé là en quelques semaines seulement ?

Quel est le point de départ ?

C'est une étude qui a mis le feu aux poudres. Parues le 29 juin dernier, ces 28 pages démontrent qu'en plus d'un emprisonnement massif, les Ouïghours du Xinjiang feraient l'objet d'une campagne de stérilisation forcée visant à éradiquer leur ethnie à petit feu. Son auteur, le chercheur allemand Adrian Zenz, s'était déjà fait connaître pour ses études politiques sur le Xinjiang, notamment sur l'identification des camps de rééducation à partir des données de géolocalisation de la province. Cette fois, les recherches du sinologue soulignent comment la Chine a franchi un degré de violence inédit. En entravant les naissances, Pékin tente de faire disparaître les Ouïghours, l'un des cinq critères de génocide défini par la convention et la répression du crime de génocide des Nations unies de 1948.

Le lendemain, l'Union européenne demande à Pékin d'autoriser une délégation d'observateurs indépendants à accéder à la région du Xinjiang pour y mener «une évaluation indépendante, objective, impartiale et transparente», précise Virginie Battu-Henriksson, la porte-parole du chef de la diplomatie européenne Josep Borrel, lors d'un point presse à Bruxelles. «Les stérilisations massives constituent un génocide selon une série de textes, reconnaît-elle. Mais pour l'instant il s'agit d'un rapport et cela reste à confirmer».

Comment Washington s'est à nouveau emparé du sujet ?

À l'étude d'Adrian Zenz, s'ajoutent alors de nouvelles preuves potentielles. Le 2 juillet, les autorités fédérales de New York saisissent 13 tonnes d'extensions pour cheveux, d'une valeur de 80.000 dollars, soupçonnées d'avoir été fabriquées à partir de cheveux humains de détenues au Xinjiang. Dans un article du Time, Brenda Smith, commissaire adjointe du Bureau du commerce du CBP (douane et protection des frontières) déclare que «la production de ces marchandises constitue une violation très grave des droits de l'homme, et l'ordonnance de détention vise à envoyer un message clair et direct à toutes les entités cherchant à faire des affaires avec les États-Unis que les pratiques illicites et inhumaines ne seront pas tolérées ».

Le 19 juillet, le New York Times dévoile une enquête, photos, vidéos et documents gouvernementaux chinois à l'appui, selon laquelle des Ouïghours auraient été déportés du Xinjiang vers les quatre coins du pays, puis forcés de travailler dans des usines de fabrication d'équipements de protection individuelle (PPE) qui conçoivent, entre autres, les masques de protection exportés en Europe.

Deux jours plus tard, Washington choisit la voie économique pour abattre une énième carte. Le département du Commerce américain place sur liste noire onze entreprises chinoises impliquées «dans des violations des droits de l'homme liées à la mise en oeuvre de la campagne de répression, d'incarcération de masse, de travail forcé, de collecte involontaire de données biométriques et d'analyses génétiques visant les minorités musulmanes de la région autonome ouïghoure du Xinjiang». Les sanctions, qui limitent l'accès de ces entreprises aux technologies et produits américains, concernent entre autres Xinjiang Silk Road et Beijing Liuhe, qui pratiqueraient des analyses génétiques «pour réprimer les Ouïghours et autres minorités musulmanes», précise le communiqué.

Pourquoi le Royaume-Uni est-il impliqué ?

L'affaire se complique encore plus pour Pékin dimanche 19 juillet, à Londres. L'ambassadeur de Chine, Liu Xiaoming, interviewé sur le plateau de la BBC suite à l'exclusion de Huawei du réseau 5G britannique, se voit contraint de réagir à une série d'images pour le moins embarrassantes. Derrière lui, la vidéo, réalisée par un drone et datant d'août 2019, montre des centaines de prisonniers ouïghours agenouillés, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, emmenés dans des trains à quai qui ne sont pas sans rappeler ceux des nazis.

Liu Xiaoming botte en touche. Il se contente d'évoquer un «transfert de prisonniers, comme il en existe dans n'importe quel pays» et balaye la question de la stérilisation forcée d'un revers de main : «Le nombre de Ouïghours est passé de 5 millions à 11 millions en quarante ans au Xinjiang. On nous parle de nettoyage ethnique, mais la population a doublé», déclare-t-il.

"La question du Xinjiang n'est pas une question de droits de l'Homme, de religion ou de groupe ethnique. C'est une question de lutte contre la violence, le terrorisme et le séparatisme" Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères

Dans le climat de tension à Hongkong qui oppose déjà Londres et Pékin depuis le vote de la loi de sécurité nationale, l'affront est trop grand. Dominique Raab, le chef de la diplomatie britannique, réagit quelques heures plus tard, accusant la Chine de commettre des «atteintes graves, choquantes aux droits de l'homme» . Là encore, la Chine campe sur sa position de déni. Le 20 juillet, Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, accuse Dominique Raab de répandre des «calomnies» . «La question du Xinjiang n'est pas une question de droits de l'homme, de religion ou de groupe ethnique. C'est une question de lutte contre la violence, le terrorisme et le séparatisme», martèle-t-il.

Quelle est la réaction de la France ?

Si la France ne s'est prononcée qu'en pointillé sur le sujet depuis 2017, l'affaire des masques fabriqués par des détenus Ouïghours change la donne et la pousse à prendre la parole. Invité de France Info hier, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a condamné «fermement» l'internement de l'ethnie, «une pratique révoltante et inacceptable». Cette question «doit évidemment faire partie de la discussion que nous avons avec nos partenaires chinois», a ajouté le locataire de Bercy, sans se prononcer sur l'existence d'éventuelles importations de masques en France.

"Dans l'immédiat nous demandons à ce que la Chine permette l'accès à des observateurs indépendants internationaux dans cette zone" Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères

L'après-midi même, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a insisté devant le parterre des députés de l'Assemblée nationale : «Ce qui transparaît de l'ensemble des informations que nous avons ou lisons, ce sont des camps d'internement pour les Ouïghours, des détentions massives, des disparitions, du travail forcé, des stérilisations forcées, la destruction du patrimoine culturel ouïghour et en particulier des lieux de culte, la surveillance de la population et plus globalement tout le système répressif mis en place dans cette région». «Toutes ces pratiques sont inacceptables. Nous les condamnons avec beaucoup de fermeté», a-t-il poursuivi, suscitant des applaudissements dans l'hémicycle. Et d'ajouter : «Dans l'immédiat, nous demandons à ce que la Chine permette l'accès à des observateurs indépendants internationaux dans cette zone et qu'elle permette à la Haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU de visiter le Xinjiang en toute liberté». À ce jour, la Chine boude encore les demandes de la France et de l'UE.