Lu dans la presse
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Publié le 15 Septembre 2020

France - Hommage : Georges Wolinski, le croqueur de femmes et de falaises

France Inter dresse le portrait de tous les protagonistes du procès des attentats de janvier 2015 : victimes, familles, terroristes, accusés, magistrats, avocats… Retrouvez l'intégralité des portraits sur le site de France Inter (franceinter.fr).

Publié le 24 août dans France Inter

“Tout Wolinski est dans 'Les Falaises'”, affirmait-il lui-même. Le dessinateur de presse Georges Wolinski est mort le 7 janvier 2015, transpercé par une balle de kalachnikov des frères Kouachi. Il avait 80 ans.

Une falaise, la mer, et le soleil. Au bord de la falaise, un bus Charlie Hebdo percute une petite barrière qui protégeait du vide, le bus s’envole dans le ciel, son nez pique vers les vagues, et on ne voit pas comment l’engin pourrait ne pas sombrer, englouti dans les profondeurs marines. Dans une bulle, Wolinski fait dire au chauffeur, stoïque : “Si on s’en sort, c’est un miracle !” C’est le dernier dessin que Georges Wolinski a publié dans les colonnes de Charlie Hebdo, le mercredi 7 janvier 2015, quelques heures avant d’être tué, d’une balle de kalachnikov tirée en plein cœur par le terroriste Chérif Kouachi. Le dessin a aujourd’hui un air tristement prémonitoire, même si Wolinski voulait surtout illustrer dans ce dernier coup de crayon les difficultés financières du journal qu’il avait co-fondé et tant aimé, journal au bord du gouffre en ce mois de janvier 2015.
 
Trois jours après l’attentat, Maryse Wolinski, veuve de Georges, a trouvé dans le bureau de son mari le tout dernier de ses dessins, non encore publié celui-ci, encore scotché au mur. Cette dernière œuvre de Georges Wolinski montrait un couple nu faisant l’amour sur un lit, une petite culotte sexy posée au sol, à côté d’escarpins et de grosses charentaises. La femme tient la main d’un autre homme, à moins que ce ne soit le même homme que celui qui est en train de l’aimer et se dédouble à la fois, s’élevant vers le ciel, rejoignant Dieu. Ultime dessin, étrangement prémonitoire lui aussi. Les dernières satires de Wolinski le résument parfaitement. “Tout Wolinski est dans 'Les Falaises'” affirmait-il souvent. Wolinski qui toute sa vie a aussi dessiné des femmes, centrales depuis sa prime enfance.

Dessiner, comme son père, mort assassiné lui aussi

Georges Wolinski est né à Tunis, en 1934. Son père, Siegfried, est un juif polonais qui a fait le tour du monde avant de s’installer en Tunisie. Il y est devenu chef d’une entreprise de ferronnerie d’art. En 1936, éclatent les grandes grèves. Siegfried Wolinski veut licencier un ouvrier. L’ouvrier sort un pistolet et le tue. C’est le premier drame dans la vie du jeune Georges. Sa mère, une Franco-italienne prénommée Lola, est bientôt envoyée dans un sanatorium pour soigner sa tuberculose. Georges est élevé par ses grands-parents, pâtissiers. Il ne retrouve sa mère qu’à l’âge de treize ans, alors qu’elle s’est remariée. Le voilà collégien, puis lycéen à Briançon, où il anime le journal Le potache libéré.

Georges dessine. Il dessine depuis qu’il sait tenir un crayon. Comme son père, qui adorait lui aussi le dessin. Georges entre aux Beaux-Arts. Il dessine à partir des poèmes de Villon, sur les pendus. Puis un jour, il achète le journal Hara-Kiri, voit les dessins de Topor, les trouve incroyables, et se dit que c’est exactement ce qu’il a envie de faire. Pour l’instant, c’est encore la guerre d’Algérie et il y a été envoyé. Mais lors d’une permission, il va présenter ses dessins à Cavanna, qui dirige Hara-Kiri. Cavanna lui dit de s’asseoir et de rester travailler au journal. Nous sommes en 1960. C’est le début de sa carrière de dessinateur de presse.

Dessin de Georges Wolinski exposé le 28 janvier 2015 à Paris

Dessin de Georges Wolinski exposé le 28 janvier 2015 à Paris © AFP / Pierre Dufour

L’année suivante, en 1961, Georges Wolinski épouse Jacqueline Saba, surnommée “Kean”. Ensemble, ils ont deux filles, Frédérica et Natacha. Un sombre jour de 1966, deuxième grand drame pour Wolinski. Sa femme a un accident de voiture, en voulant éviter un chien, alors que lui se repose sur la banquette arrière. Il est indemne physiquement, elle succombe à ses blessures. Georges se sentira éternellement coupable. Il se retrouve veuf à 32 ans, avec deux fillettes orphelines. 

En 1968, “Wolin”, comme l’appelaient ses amis, entre au Journal du Dimanche, où il rencontre sa seconde épouse, Maryse, jeune et jolie blonde. “J’avais 21 ans, et pas encore ma carte de presse”, sourit-elle. “Georges venait de faire un dessin à la une. On est tombés amoureux. Il racontait tout le temps cette histoire.” Entre Maryse et Georges Wolinski, c’est une très belle histoire d’amour. “J’ai eu le mari idéal, que beaucoup de femmes m’ont envié”, assure-t-elle. Un mari qui lui a écrit pendant plus de quarante-sept ans, chaque jour ou presque, des mots d’amour, souvent sur de simples post-it, longtemps collés un peu partout chez eux. Sur un de ces post-it : “Bonne nuit ma chérie. Repose-toi. Ça fait 40 ans que je t’aime. G.” Sur un autre : “Chérie, je pense à toi. Je m’inquiète pour toi. Je t’aime. Georges.” Ou encore : “Chérie. 21h. Je pense à toi. Tu es la femme de ma vie. Hélas ! La vie est courte. À demain, je crois que nous allons au théâtre (vieux). Ton époux, depuis 42 ans. Je t’aime. G.” Quand il ne lui écrit pas des mots doux, Georges propose à Maryse de poser pour ses dessins. Mais elle n’a jamais voulu être son modèle, même si elle sait qu’il s’est beaucoup inspiré d’elle, pour les mille et un dessins de femmes qu’il a croqués.

Une vie à croquer les femmes, leurs fesses, leurs seins

Georges Wolinski a dessiné des milliers de femmes les fesses à l’air, admirées par des hommes souvent dénudés, eux aussi. L’humanité résumée à un homme et une femme nus, leurs amours, leurs fantasmes, et les problématiques du monde. Engagé sur des questions de société, Wolinski a également dessiné pour protester contre les marées noires, le nuage de Tchernobyl, ou pour se moquer du capitalisme, comme dans ce dessin où un homme d’affaires à lunettes, cravate au cou, attaché-case au bras, téléphone à l’oreille, crie en panique face un soleil couchant sur la mer : “Allô… Le soleil est à son plus bas niveau… Vendez !”

Après Hara-Kiri et sa collaboration comme dessinateur au Journal du Dimanche, Georges Wolinski fonde L’enragé, avec Siné, pendant les événements de 1968. L’enragé sera très éphémère, mais la coloration politique des dessins de Wolinski demeurera. Parmi ses derniers dessins publiés le 7 janvier 2015 dans Charlie Hebdo, il y avait d’ailleurs aussi celui du président Hollande juché sur un vélo, le vélo représenté par les chiffres de l’année 2015, au bord d’une falaise et François Hollande s’exclamant : “Est-ce le bon chemin ? Je ne le saurai qu’à la fin…”

Dessinateur prolifique et éclectique

C’est dans les colonnes de Charlie Hebdo que Wolinski est devenu un roi de la satire politique. Charlie Hebdo, qui restera jusqu’au bout son journal préféré, celui qu’il a co-fondé en 1970 avec ses maîtres d’Hara-Kiri, Cavanna et le professeur Choron. Mais Georges Wolinski a aussi multiplié les dessins pour d’autres titres, L’Humanité, ou Paris Match. Et les plus engagés lui ont parfois reproché ces collaborations éclectiques, avec un trait de crayon moins féroce. Les puristes ont aussi critiqué les publicités auxquelles Wolinski a participé. La pub de la célèbre barre chocolatée Mars, c’était lui, au début des années 70.

À l’époque, “la pub utilisait un moyen d’expression aujourd’hui devenu rare, le dessin animé. On voyait un petit personnage qui tapait sur une grosse caisse et qui s’effondrait au bout d’un moment, épuisé par son effort. Alors, il croquait la friandise, qui telle une potion magique, lui redonnait aussitôt une énergie illimitée”, se souvient le dessinateur Riss, dans son livre Une minute quarante-neuf secondes. Il y écrit : “Wolinski avait beau être de gauche, proche du Parti communiste, travailler à Charlie Hebdo, il n’avait pas d’état d’âme à gagner de l’argent avec la publicité.” Wolinski était aussi l’auteur d’une pub pour du papier à cigarette ou une 4L. “Wolin” a aussi été un prolifique auteur de bandes dessinées - scénariste des Paulette. Un auteur de théâtre, également : Je ne veux pas mourir idiot, d’après son album éponyme de bande dessinée, en 1968. Puis, en 1969 : Je ne pense qu’à ça, d’après une autre de ses BD. Ou Le roi des cons, en 1975. Cette pièce a été adaptée au cinéma. Wolinski avait aussi co-écrit des scénarios de films.

Généreux, drôle et mélancolique

“Il disait tout le temps : 'Je suis vraiment un homme très paresseux’”, s’étonne son épouse Maryse. Mais comme elle, qui est journaliste et écrivaine, il travaillait un peu tout le temps. “Il avait un rythme de travail bien particulier", raconte-t-elle. "Le matin, il allait acheter les journaux, tous, L’Huma, Le Parisien, Le Figaro, Libération, il avait tout, il étalait ses journaux au petit déjeuner et il entourait les idées qui pouvaient générer des dessins.” Ensuite, “Wolin” déjeunait. “Il n’aimait pas déjeuner dehors, donc il se faisait sa cuisine, ensuite il faisait la sieste, c’était un amateur de siestes.” Puis, il s’installait à sa table à dessins, rapportée des États-Unis. “Et là, il exécutait l’idée qu’il avait trouvée le matin, ça c’était son rythme”, résume Maryse Wolinski. “Je ne le voyais jamais se presser. Il n’aimait pas l’urgence.”

"Wolin" voyait aussi beaucoup son grand ami Cabu. “Ils s’aimaient beaucoup tous les deux, et c’est ça qui me manque, c’est la joie, c’est le rire”, soupire Maryse, inconsolable depuis cinq ans. Inconsolable et en colère, contre ce qu’elle appelle les "failles" qui, d’après elle, ont rendu possible cet attentat : fin de la surveillance policière des frères Kouachi, contre lesquels les services de renseignement n’avaient plus rien de concret justifiant cette surveillance ; allégement de la surveillance policière devant Charlie Hebdo quelques semaines avant l’attentat, malgré la persistance des menaces. Ces menaces, Georges Wolinski ne lui en avait jamais vraiment parlé, pour ne pas l’inquiéter, pense-t-elle. “Georges m’a toujours énormément protégée. Il était généreux.” Généreux, c’est l’adjectif qu’elle choisirait en premier s’il ne fallait en retenir qu’un, pour résumer son mari chéri, qu’elle regarde encore amoureusement, sur des portraits de lui, nœud papillon, sourire et cigare aux lèvres, le regard malicieux. Derrière la malice, il y avait aussi une “vraie mélancolie”, dit-elle. Mais le rire et l’humour cachaient cette mélancolie.

À l’hiver 2014, Georges Wolinski avait parlé de la mort en général et évoqué son souhait d’être incinéré. Maryse lui avait demandé où. Et il avait répondu en blaguant : “Jette les cendres dans les toilettes, comme ça, je verrai tes fesses tous les jours !” Georges Wolinski repose finalement au cimetière du Montparnasse. Mais Elsa Wolinski, fille de Georges et de Maryse, a fait un cadeau post-mortem à son père. Un jour, de son vivant, elle lui avait proposé de broder ses dessins sur les culottes des filles. Il s’était exclamé : “C’est le rêve ! Toutes les femmes porteront mes dessins sur les fesses !” Le rêve est réalisé, à travers des culottes facétieusement baptisées Wolinskiki.