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Publié le 20 Mai 2021

France - "Le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme conduisent directement à Auschwitz", met en garde Esther Senot, rescapée des camps

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, Esther Senot, rescapée du camps d’Auschwitz-Birkenau.

Publié le 20 mai dans France Info

Esther Senot, aujourd'hui âgée de 93 ans, est l'une des rares survivantes d'un camp de concentration. Déportée à 15 ans au camp de Drancy, puis dans celui d'Auschwitz-Birkenau, elle témoigne depuis trois décennies auprès des collégiens et des lycéens de ce pan de l'histoire. Elle publie avec Isabelle Erno : La petite fille du passage Ronce, aux éditions Grasset.

Franceinfo : La petite fille du passage Ronce est la promesse que vous aviez faite à votre sœur Fanny, décédée à Auschwitz. Une promesse faite au printemps 1944 dans le camp des femmes, bloc Revier ?

Esther Senot : J'ai été déportée le 2 septembre 1943. Je suis arrivée à Birkenau et j'ai retrouvé ma sœur tout à fait par hasard. Le soir, dans ces camps d'extermination, nous avions le droit d'aller dans une baraque qui s'appelait les latrines où là on avait un peu de liberté parce que ça sentait tellement mauvais que les kapos n'y rentraient pas. Je suis donc arrivée en septembre et j'ai retrouvé ma sœur fin décembre. Franchement, je ne l'ai pas reconnue. Je suis restée avec elle jusqu'en avril 1944 où elle a commencé à cracher du sang. Elle ne pouvait plus aller travailler et a été envoyée dans ce qu'on appelait 'le Revier' (le mouroir), en attendant le crématoire. Je me suis précipitée pour aller la voir et c'est là qu'elle m'a prise dans ses bras.

Elle m'a dit : 'Promets-moi de raconter ce qui nous est arrivé, ce que des êtres humains ont pu faire à d'autres êtres humains. Surtout qu'on ne soit pas les oubliés de l'histoire'. Esther Senot à Franceinfo

Tout bascule en mai 1940. La guerre qui semblait en sourdine, est finalement bien présente.

Oui bien sûr. Ça a commencé surtout quand Philippe Pétain est arrivé au pouvoir. Un pouvoir d'extrême droite et très antisémite, très xénophobe. En juillet 1940, sa première intention était de s'occuper du problème des juifs de France. Il a commencé par faire ce qu'on appelait 'le statut des juifs'. Il fallait aller dans les commissariats pour se faire recenser et ensuite sur les cartes d'identité, ils mettaient un tampon rouge sur lequel il y avait marqué 'juif'. Ensuite, il y avait l'interdiction de sortir après 20 heures. Dans les jardins, les squares, les endroits publics où on allait jouer en tant qu'enfant, il y avait des panneaux marqués : 'Interdits aux juifs et aux chiens'.

Vous êtes née Esther Dzik en janvier 1928, en Pologne. Vous avez deux ans quand vous arrivez en France, votre famille fuyant l'antisémitisme et la misère pour aller chercher finalement la liberté. Le 17 juillet 1942, alors que vous habitez passage Ronce, vous assistez à une rafle. Le lendemain, après une nuit passée ailleurs dans Paris, vos parents et votre petit frère ont été arrêtés.

Je crois que je suis la seule survivante de la rafle du passage Ronce. Quand je suis montée à l'appartement, il y avait les scellés sur la porte. Ils sont venus arrêter mes parents et mon petit frère. Ils ont été envoyés au Vél' d'Hiv’ puis déportés au mois d'août 1942.

Vous ne les avez plus jamais revus ?

Je suis toute seule avec ma petite robe d'été et mes espadrilles. C'est tout ce que j'avais quand j'ai quitté la maison. J'avais 14 ans.

Vous allez survivre, vous cacher mais le 23 août 1943, vous êtes arrêtée et immédiatement déportée à Drancy, puis à Auschwitz-Birkenau. Dès votre descente du wagon dans lequel vous avez voyagé, vous êtes sélectionnée, rasée, tatouée, votre matricule le 58 319. Et là, dès votre arrivée vous découvrez l'horreur.

On était à peu près 200 femmes, bloquées par des kapos nous disant : "Vous ne bougez pas, vous restez là". Il y a eu une première sélection. On est parties à pied bien sûr et quand on est arrivées et que les portes se sont ouvertes, on a cru qu'on rentrait dans un enfer. Il y avait de la fumée, d'ailleurs on ne voyait presque rien, des odeurs épouvantables. Quand on a commencé à marcher dans l'allée centrale du camp d’Auschwitz- Birkenau, on voyait des cadavres par terre, des chiens qui couraient après des squelettes ambulants.

On ne comprenait pas ce qui nous arrivait parce que jusqu'à la fin, on nous a toujours parlé d'un camp de travail, pas d'un camp d'extermination. On nous a mis dans des baraques. Ensuite, on nous a entièrement rasées et tatouées le numéro en nous disant que maintenant nous n'avions plus d'identité et que dès l'instant qu'on était interpellées dans le camp, il fallait qu'on donne notre numéro. Quand tout ça a été terminé, on a fini par demander à ces femmes qui nous tatouaient quand est-ce qu'on allait retrouver les gens montés dans les camions. Vous savez, une heure après, on était au courant du fonctionnement du camp de Birkenau. On nous disait : "Toute la fumée que vous voyez, ces gens-là sont montés dans les camions et sont arrivés directement dans les chambres à gaz". On ne pouvait pas y croire, en une heure de temps, exterminer 650 personnes...

Elles nous ont dit : "Ne vous faites pas d'illusions, ici vous rentrez par la porte, mais vous n'en sortirez que par la cheminée. Esther Senot à Franceinfo

Ici, au camp d'Auschwitz-Birkenau, il n'y a aucune espérance de survie.

Et pourtant, intérieurement, vous allez décider que vous allez sortir vivante.

Je me suis toujours mis dans la tête que je ne pouvais pas mourir à 15 ans. C'était devenu une idée fixe. Et puis, on finit par perdre conscience de ce qui se passe autour de nous. On avait notre petit groupe de Françaises dans lequel, psychiquement, on essayait de se remonter le moral et puis, finalement, on s'installe dans l'horreur du quotidien.

Ce livre est un appel à la tolérance, un message contre la haine ?

C'est pour mettre les jeunes en garde en disant que ce qui nous est arrivé peut encore arriver malheureusement, et qu'ils soient vigilants parce que le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme conduisent directement à Auschwitz.