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Publié le 28 Juin 2021

France - Une bande-dessinée sur la vie de Gino Bartali, un champion cycliste parmi les Justes

Une bande dessinée met en image la vie de Gino Bartali, et son engagement silencieux dans la résistance au fascisme.

Illustration : La couverture du roman graphique sur Gino Bartali. (Éditions Marabulles)

Publié le 22 juin dans L'Équipe

Sans doute, Fausto Coppi fut le plus grand coureur italien de l'histoire, qui surpasse les autres champions majuscules par le palmarès et par la classe, et parce que son règne marqua l'entrée du cyclisme dans sa « modernité ». Mais Gino Bartali, à qui on l'oppose souvent au seul motif que la foi de l'un met en exergue l'incroyance de l'autre, pèse d'un poids tout différent, non pas seulement sur l'histoire de son sport, mais bel et bien sur l'Histoire.

Gino est né en 1914, après ses deux soeurs et avant son frère Giulio. Enfant d'extraction modeste, peu porté sur la chose scolaire, il deviendra mécanicien de cycles et, tôt, coureur cycliste professionnel. Il est connu aussi bien pour son talent précoce que pour sa longévité phénoménale. Ainsi Bartali gagna-t-il le Giro dès 1936, à la veille de ses 22 ans, renouvelant l'exploit l'année suivante. Quant au Tour de France, il en remporta deux éditions à dix ans d'intervalle - en 1938 et 1948 !

Mais Bartali est aussi connu pour être un catholique fervent que la mort accidentelle de son frère en juillet 1936, frappa, selon ses propres mots, « comme un avertissement divin », et mena au seuil du mysticisme. C'est vraisemblablement pendant le Tour 1937 - on le répute alors méditer chaque soir les écrits de Sainte Catherine de Sienne - qu'il hérite de ce surnom qui ne le quittera plus : Gino le Pieux.

Or, pour exaltée qu'elle fut peut-être, la foi de Bartali n'avait rien d'aveugle, relevant d'un humanisme profond et teinté de mélancolie. C'est de cette tonalité saturnienne qu'a su s'empreindre le beau « roman graphique » publié ces jours-ci aux Éditions Marabulles : « Gino Bartali, un champion cycliste parmi les Justes ». L'illustratrice Lorena Canottiere y dessine à traits sobres et dans ce chromatisme aussi subtil que limité (rouges, oranges, ocres - virant parfois au bleu glacial selon les exigences du récit) qui évoque la sanguine, la vie du héros à travers les heures sombres de l'Italie fasciste.

Ce registre tout en douceur qui semble fait pour estomper la brutalité du réel, donne l'impression d'adopter le point de vue Bartali lui-même, de voir le monde par ses yeux, d'enfant puis d'adulte, tour à tour, joyeux, incrédules, circonspects, tristes. La part du texte, réduite à l'os, confère au livre un côté « impressionniste ». C'est l'image qui, occupant parfois jusqu'aux bulles enfermant la parole des personnages, dit tout. Le scénario de Julian Voloj balaie des temporalités diverses, procédant par une alternance d'évocations fugaces et d'appesantissements - telle cette image, du vélo à la guidoline déchirée, abandonné par Gino qui cesse un moment de courir après la mort de son frère.

Bien sûr, le centre de gravité du récit, c'est le refus par Gino d'un régime fascisme qui l'instrumentalisa pourtant - l'obligeant par exemple à préférer le Tour au Giro, à des fins de propagande. C'est sa stupéfaction et son indignation à la promulgation des lois « sur la pureté de la race » qui obligèrent la famille d'un ami d'enfance à s'exiler à la campagne.

C'est donc surtout le rôle qu'il joue pendant la guerre : entré en résistance à l'instigation du cardinal Dalla Costa (qui à l'occasion de la visite d'Hitler à Florence déclara « refuser que soient vénérées d'autres croix que celles du Christ » !), le champion risqua sa vie à transporter des messages et de faux papiers d'identité dissimulés dans les tubes de son vélo. Au prétexte de s'entraîner, il parcourait ainsi des distances de plus de 300km, reconnus dans les villages qu'il traversait par des admirateurs ou des soldats allemands qui l'imaginaient tous préparer son retour à la compétition.

Il ne fit jamais mention lui-même de ces activités, et c'est en 2013 seulement qu'il fut élevé au rang de « Juste parmi les Nations » par le Mémorial de Yad Vashem. Bien entendu, sauver des dizaines de vies en risquant la sienne relativise l'exploit sportif, mais il fait surtout de Bartali le plus grand des champions, un héros sans héroïsation métaphorique.

« Gino Bartali, un champion cycliste parmi les Justes », par Lorena Canottiere et Julian Voloj - Éditions Marabulles