Lu dans la presse
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Publié le 30 Septembre 2021

France - "Comment doit-on écrire et enseigner l'histoire de la Shoah ?"

Dans un ouvrage qui rend compte des évolutions récentes de l'historiographie de la Shoah, de nombreux chercheurs dirigés par Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat et Olivier Lalieu n'évitent pas les questions sensibles, voire polémiques.

Publié le 29 septembre dans Le Figaro

Depuis plusieurs années, une nouvelle forme d'antisémitisme renaît en France. De même, une nouvelle forme de négationnisme prospère. Ce contexte a-t-il motivé l'écriture de ce livre, où vous renouvelez profondément la connaissance que nous avons de la Shoah ?

Olivier LALIEU. - Disons que le moteur premier a été la volonté de mettre en lumière et de partager largement les avancées historiographiques de ces dernières années tout en proposant une synthèse accessible. Mais en abordant les questions liées au complotisme et au négationnisme notamment, il s'agissait aussi d'intégrer et de proposer des éléments de réponse sur des enjeux très contemporains, tout en gardant une distance critique. Il s'agit aussi d'aborder des questions pédagogiques liées à la transmission et à l'enseignement.

Nous vivons la fin de « l'ère du témoin », pour reprendre la juste formule d'Annette Wieviorka, c'est-à-dire la fin d'une mémoire incarnée par les derniers contemporains des faits. Olivier Lalieu

Les témoins de la Shoah ont été pendant plus d'un demi-siècle les vecteurs d'une mémoire fondée sur l'émotion. Avec leur disparition, le temps d'une analyse distanciée et fondée sur l'étude est-il venu ? Que cela implique-t-il en termes de transmission de l'histoire de la Shoah ? Est-ce le début d'une nouvelle ère ?

La disparition progressive des rescapés est une réalité depuis 1945 mais ce que nous vivons est celle de la fin de «l'ère du témoin», pour reprendre la juste formule d'Annette Wieviorka, c'est-à-dire la fin d'une mémoire incarnée par les derniers contemporains des faits, de ceux qui pouvaient raconter directement leur vécu et essentiellement parmi les rares rescapés du camp d'Auschwitz-Birkenau. Ceci dit, la reconnaissance de la spécificité de la Shoah a été facilitée aussi par l'émergence d'une considération nouvelle pour les victimes dans les années 1960.

La mémoire de la Shoah a été profondément marquée par l'engagement des survivants, sans empêcher le développement de la recherche scientifique et non sans friction parfois. Nous entrons forcément dans une nouvelle ère, à partir des acquis symboliques, historiques, politiques et pédagogiques des dernières décennies. L'exemple de la Grande Guerre montre qu'il faut être confiant dans la transmission, pour autant que la demande sociale et les choix politiques l'accompagnent. Il souligne aussi la complémentarité fondamentale entre histoire et mémoire.

Vous consacrez un chapitre aux nouveaux problématiques de l'enseignement de la Shoah dans le cadre scolaire. La montée des tensions d'ordre religieux, notamment avec la question de la place de l'islam, pose-t-elle de nouveaux défis aux enseignants ?

Avec Alexandre Bande et Pierre-Jérôme Biscarrat, il nous semblait essentiel d'accorder une place à la question de l'enseignement au regard de la place majeure donnée à la Shoah dans les programmes scolaires et du besoin des professeurs d'être accompagnés dans leur mise en œuvre. La montée des tensions n'est pas propre à l'enseignement de la Shoah. Le négationnisme ou le complotisme ne sont pas d'essence religieuse. Les tensions, les difficultés existent et il ne faut pas les nier. Cependant les généraliser serait abusif et reviendrait à nier le travail formidable mené par de nombreux enseignants partout en France. Vous soulignez à juste titre les nouveaux défis, ils sont réels et nécessitent de consolider les acquis comme de savoir réinterroger les pratiques en s'adaptant à un monde en mouvement permanent.

Une nouvelle génération de chercheurs, notamment en France, dépasse le cadre national pour s'intéresser à l'épicentre de la Shoah, à l'Est. Olivier Lalieu

Grande nouveauté, vous évoquez le phénomène de la résistance des juifs, finalement assez méconnu, à la fois en France et à l'Est ? Pourquoi ces sauvetages, pour exceptionnels qu'ils aient été, sont-ils si rarement cités ?

Cette nouveauté n'en est pas une tout à fait. L'évocation des résistances juives en Europe est un sujet abordé de longue date, à commencer par ses propres acteurs. Elle est essentielle pour comprendre la diversité des réactions face au génocide et aux persécutions, et prendre la mesure des tentatives, parfois désespérées, pour les contrecarrer. Elle vient aussi s'opposer à l'image, encore trop souvent présente, de la supposée passivité des victimes juives. L'action des résistances juives, leur solitude souvent, et l'aide apportée par une partie des populations, en particulier à l'Est de l'Europe, fait l'objet de travaux récents et alimentent des débats très prégnants, par exemple en Pologne.

L'équipe de chercheurs qui a réalisé cet ouvrage est globalement «jeune». L'objectif était-il de mettre à jour un état de la recherche méconnu sur les connaissances que nous avons de la Shoah ? Auquel cas, quels sont les principaux apports de ces nouveaux travaux ?

L'étude de la Shoah est une composante de la recherche en histoire, même si elle se nourrit d'apports venus des autres sciences sociales. Si les premiers jalons ont été posés par des pionniers dès l'après-guerre, elle n'a cessé de se poursuivre et de se développer depuis quarante ans, en particulier en Allemagne et dans le monde anglo-saxon. Alors que des archives et des documents émergent encore aujourd'hui, une nouvelle génération de chercheurs, notamment en France, s'inscrit dans ce mouvement tout en dépassant le cadre national pour s'intéresser à l'épicentre de la Shoah, à l'Est. L'échelle du crime est bien celle du continent européen, voire au-delà. Il s'agissait de la restituer pleinement, sans perdre de vue le cadre français. Nous avons voulu aussi aborder d'autres crimes de masse comme l'opération T4 et l'extermination des Roms et Sinti.