Le CRIF en action
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Publié le 23 Juillet 2007

Fillon à la jeunesse de France : soyez les porteurs de la transmission

La journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux Justes de France s’est déroulée le dimanche 22 juillet à Paris, à l’occasion du 65ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. Les 16 et 17 juillet 1942, 13152 juifs dont 4115 enfants furent arrêtés, et 8160 parqués dans le stade avant d'être déportés dans les camps d'extermination. Cette cérémonie nationale, dont le CRIF est à l’initiative et partenaire de l’organisation, a réuni plus d’un millier de personnes en présence notamment cette année, de François Fillon, Premier Ministre, de Rachida Dati, Garde des Sceaux, de Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, d’Alain Marleix, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants, de Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'homme, de Bertrand Delanoë, maire de Paris, de Gille Alayrac, représentant Jean-Paul Huchon, Président du Conseil régional d’Île de France, de Simone Veil, ancienne ministre d’Etat et de René Galy-Dejean, maire du 15ème arrondissement de Paris.


Richard Prasquier, le président du CRIF, a rappelé la nécessité de poursuivre le travail de mémoire de la Shoah pour l'avenir, tout en mettant en garde contre les amalgames. Richard Prasquier a insisté sur le travail exemplaire de la France pendant ces nombreuses années, qui est « un travail d'histoire, de vérité, de responsabilité et de justice; […] un travail qui grandit notre pays » et qui n’est pas « une victoire pour les Juifs », mais « une victoire pour la France ».
Le président du CRIF a par ailleurs dénoncé « l'antisémitisme dans le monde [qui] ne diminue pas » en rappelant pour conclure que « pour la première fois depuis que cette cérémonie du Vel d'Hiv a lieu, un Etat prétend officiellement en faire disparaître un autre de la terre. Le pays à qui ce sort dramatique est promis est comme par hasard celui où s'est réfugié une grande partie du peuple juif. Nous ne les laisserons pas faire ».
Le Premier Ministre, François Fillon a choisi de conclure son allocution en s’adressant à la « jeunesse de France », leur demandant d’être le relais de la parole et de la mémoire des déportés. Le Premier Ministre évoquant la « faute pleine, indélébile » des responsables de Vichy, a déclaré à cette même jeunesse que « leur faute n'est pas votre faute » précisant qu’il y a cependant « dans leurs actes une horreur qui doit devenir la vôtre ».
Lors de la cérémonie l'ancienne ministre d’Etat, Simone Veil, a pris la parole au nom de l'Union des déportés d'Auschwitz, témoignant du retour difficile des rescapés dont elle faisait partie. Simone Veil a expliqué qu’ « il a fallu des années pour que nous puissions parler » et a raconté à quel point il était difficile pour les familles d’entendre ce qu’ils avaient subi.
Outre les personnalités politiques citées, Yedidia Levy-Zauberman, membre des EEIF, Roger Belbeoch, ancien policier et Juste parmi les Nations, Francine Christophe ancienne déportée, ont également pris la parole au cours de la cérémonie.
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Discours du Dr Richard Prasquier, président du CRIF
Monsieur le Premier Ministre,
Madame Simone Veil
Monsieur le Maire de Paris
Messieurs les représentants du culte,
Mesdames et Messieurs les représentants politiques de la République, de Paris et de sa région,
Mesdames et Messieurs les déportés, fils, filles de déportés, enfants cachés et survivants
Monsieur Belbeoch, Juste des Nations et les autres Justes présents,
Mesdames et Messieurs, chers amis
Vous me permettrez d'adresser mes premières pensées à l'homme qui si longtemps a ouvert de son discours cette cérémonie du Vel d'Hiv, Henri Bulawko. Lui qui symbolise le travail de mémoire, la mémoire l'abandonne aujourd'hui, mais ce qu'il a planté sera préservé et notre amitié l'entoure...
Lorsque les premières commémorations de la rafle du Vel d'Hiv eurent lieu, peu après le retour des camps, les déportés survivants étaient plus nombreux qu'aujourd'hui, mais ils étaient moins entourés. Certes, ils avaient souffert, mais la France entière avait souffert sous la domination d'un ennemi impitoyable; la France avait résisté, elle s'était révoltée et avait chassé l'occupant. Honneur aux héros. L'immense majorité des survivants des camps allemands étaient des résistants: les 50000 qui en étaient revenus témoignaient pour ceux en nombre égal qui y étaient morts. Il nous faut aujourd'hui et toujours rappeler l'héroïsme des résistants qui a permis à la France de redresser si vite la tête.
Mais les Juifs de retour étaient peu nombreux, 3000 environ. Derrière eux, 76000 disparus faisaient anecdote dans l'histoire glorieuse et tragique du combat contre l'envahisseur.
Notre regard s'est aujourd'hui modifié, il y a eu le procès Eichman, le travail d'une nouvelle génération d'historiens, des œuvres comme le film Shoah de Lanzmann et pour la France, un long et pénible combat mené par les déportés et par des militants de la mémoire: ce combat est aujourd'hui pour l'essentiel derrière nous: 20 ans depuis le procès Barbie, 10 ans depuis le procès Papon, 12 ans depuis le discours historique du Président Chirac sur ces lieux. Ce combat nous a tous façonnés: votre présence, Monsieur le Premier Ministre, en est le témoignage: nous savons aujourd'hui que le destin que les nazis assignaient aux Juifs ne relève pas des vengeances commises par un vainqueur contre ceux qui ont lutté contre lui; que ce n'est pas un de ces crimes de guerre horribles dont les êtres humains ont parsemé et continuent de le faire leur histoire tragique, criminelle et parfois grandiose. Nous savons qu'il s'agissait de les exterminer de la surface de la terre, de les éradiquer au sens où un hygiéniste fou rêverait de supprimer une race de bactéries ou de virus.
Et nous savons aussi que l'Etat français de l'époque fut le complice de ce crime, en envoyant des policiers français effectuer contre des innocents absolus ces horribles rafles du 16 et du 17 juillet 1942 à l'issue desquelles 13152 hommes, femmes et enfants furent arrêtés; 8160 furent parqués dans les conditions de promiscuité et d'hygiène épouvantables de ce Vélodrome d'Hiver aujourd'hui détruit, dans lequel, paradoxe morbide, les règlements de l'époque interdisaient aux Juifs d'entrer.....
L'immense majorité des victimes, livrée aux allemands, fut convoyée vers Birkenau et y fut gazée dès l'arrivée dans l'une des deux petites maisons, la blanche et la rouge, du bois de bouleaux derrière le camp.
Pensons un instant à une famille anonyme, des artisans modestes, avec leurs difficultés matérielles, leurs joies familiales, leurs espoirs pour leurs enfants, la crainte diffuse accumulée depuis deux ans: pensons au réveil brutal dans la nuit, la police, la mère qui supplie pour laisser ses enfants, l'horreur du Vel d'Hiv, six jours sans sanitaires, sans matelas, presque sans eau et sans nourriture, le calvaire des trois jours de train, et là-bas le déshabillage en plein air en attendant d'entrer dans la chambre à gaz...
Le travail exemplaire de mémoire auquel la France a procédé pendant ces nombreuses années est un travail d'histoire, de vérité, de responsabilité et de justice; c'est un travail qui grandit notre pays, ce n'est pas une victoire pour les Juifs, c'est une victoire pour la France. Nous en sommes les dépositaires, nous n'avons pas à rechercher de nouvelles luttes, nous avons à recueillir, à réfléchir, à prévenir, à adapter et à transmettre. Car peu à peu vient le temps des héritiers, ce temps où s'estompe la voix des victimes, des survivants et des rares témoins, ce poids d'expériences et de souffrances, ce côtoiement de l'horreur et de la mort dont au fond ils ne sont jamais sortis, mais dont ils ont su par on ne sait quel miracle, faire une leçon de vie et de respect pour l'autre. Dure tâche que de leur succéder, pour nos épaules moins préparées, affaiblies par la facilité de notre quotidien de consommateurs à tout crin . A nous de prendre notre part, mais seulement notre part: moi qui n'ai perdu ni père, ni mère, qui n'ai aucun droit à me prévaloir d'un statut de victime, je dois assumer mon devoir de transmission et de vigilance.
Ce devoir, pour quoi le poursuivre?
Il le faut pour le passé, il le faut pour le présent, il le faut pour le futur.
Le passé, ce sont les victimes. Ceux qui sont morts sont tellement les plus nombreux, mais ce ne sont pas des nombres. Parmi d'autres, Benjamin Fondane, convoi 75:
"un jour viendra quand vous foulerez ce bouquet d'orties
qui avait été moi dans un autre siècle
souvenez-vous que j'étais innocent
et que tout comme vous,
j'avais eu moi aussi un visage marqué par la colère, par la pitié et par la joie
un visage d'homme tout simplement....."
Parmi ceux qui ont survécu, si certains ont fait le choix du silence, la plupart ont voulu parler. Ne pas les écouter, pire encore, refuser de nommer correctement ce qu'ils ont vécu, c'est proprement les faire entrer de nouveau dans l'"innommable", les faire sortir de l'histoire des hommes. Pour cette tentative de meurtre symbolique le négationnisme est un crime.
Pour le présent, c'est paradoxalement l'histoire. Car l'histoire est une ascèse qui poursuit le vrai, l'antidote nécessaire en ces temps de propagande facile dans un monde virtuel et émotionnel alors même qu'une certaine critique efface la complexité du vrai pour faire valoir sa relativité et l'équivalence morale de toutes les opinions.
Oui le vrai est complexe: c'est cela qui nous permet de vivre la multiplicité, d'éviter les conflits de mémoire, le plus souvent absurdes mais parfois très douloureux, les stéréotypes d'appréciation porteurs de haine et de rejet. Le vrai est une valeur forte et vitale: nous avons pour mission de le rappeler.
La recherche du vrai conduit souvent à débusquer le mal et parfois à retrouver le bien. C'est le message merveilleux et la leçon que nous apportent les Justes, ces Justes des Nations nommés par Yad Vashem et ceux qui restent inconnus, ces Justes qui furent de tous les pays, y compris de ceux où sévissait l'antisémitisme le plus virulent, et qui sont le rayon de lumière dans la nuit des crimes et des meurtres d'innocents.
Les Justes de France, que nous honorons chaque année au cours de cette cérémonie ont reçu un hommage exceptionnel au Panthéon en janvier 2007. En tant que Président du Comité français pour Yad Vashem, vous imaginez mon émotion à les voir reconnus par la République parmi ses enfants les plus glorieux. Pourquoi ont-ils fait ce qu'ils ont fait et pris des risques que tant d'autres ont refusé de prendre? Un remarquable film de Nicolas Rybowski donne des éléments de réponse sans franchir le mystère de l'individu: on y voit M.Belbeoch Juste des Nations qui me suivra à cette tribune expliquer: c'est très simple, il fallait dire non, non et s'y tenir....Non, ce n'est pas si simple, ce n'est pas si fréquent, c'est dangereux, mais c'est une utopie vitale....Merci aux Justes de nous montrer qu'elle est potentialité de l'être humain.
Mais l'enseignement de la Shoah, c'est aussi un travail pour l'avenir, un travail pour le type de cité que nous voulons promouvoir. En cela le CRIF est partie prenante: c'est une de ses obligations statutaires que de préserver la mémoire, c'en est une autre que de lutter contre l'antisémitisme. Ce sujet capital ne peut être qu'effleuré ici: je voudrais témoigner de l'importance des voyages sur les lieux d'extermination et sur l'importance de la formation des professeurs. Grâce à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et au travail effectué par les équipes du Mémorial de la Shoah, nous sommes pourvus d'une infrastructure excellente. D'autres projets de grande qualité, comme le camp des Milles dans le Sud de la France doivent être soutenus. Il faut montrer avec précision ce que fut l'histoire de la Shoah , et éviter ainsi les amalgames.
Mais nous devrons aussi, au-delà de l'histoire, mieux analyser les phénomènes de massification des comportements, les effets d'entraînement du groupe et de soumission à l'autorité charismatique. Tout cela n'est pas spécifique à la Shoah, mais les exécutants du plus grand crime de l'histoire ont été pour la plupart des hommes ordinaires, lâches, ambitieux ou manipulés par des procédés aujourd'hui encore en cours dans d'autres régimes totalitaires. Ceux qui utilisent ces méthodes prospèrent aujourd'hui, ils sont admirés dans l'immensité du web. L'antisémitisme dans le monde ne diminue pas et, pour la première fois depuis que cette cérémonie du Vel d'Hiv a lieu, un Etat prétend officiellement en faire disparaître un autre de la terre: le pays à qui ce sort dramatique est promis est comme par hasard, celui où s'est réfugiées une grande partie du peuple juif.....
Nous ne les laisserons pas faire.......
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Intervention du Premier ministre, François Fillon
Monsieur le maire,
Monsieur le président,
Monsieur le grand rabbin,
Très chère Simone Veil,
Monsieur le secrétaire d’Etat,
Mesdames et messieurs,
La France que nous aimons, la France fidèle au pacte sacré de la liberté et de la dignité humaine, cette France là nous oblige. Elle nous oblige à ne jamais sacrifier nos idéaux. Elle nous oblige à ne pas choisir les chemins de complaisance qui, de compromis en compromission, conduisent à la déroute morale. Elle nous oblige au souvenir. Notre pays doit célébrer ses jours de grandeur et reconnaître ses heures de honte car la mémoire d’un grand peuple ne se divise pas. C’est dans la pleine reconnaissance des lumières et des ombres du passé que la nation s’instruit et se grandit.
Au cœur du XXème siècle, la barbarie nazie précipita l’Europe dans les ténèbres. La shoah dévoilait alors l’humanité dans son atroce inhumanité. Nous ne sommes pas et ne pourrons jamais être guéris de l’holocauste.
En ce lieu, il y a soixante cinq ans, à quelques dizaines de mètres, 8 160 êtres humains, pourchassés, parce que Juifs, étaient entassés au Vélodrome d’hiver. Parmi eux, 1129 hommes, tous étrangers, 2916 femmes, toutes étrangères, et leurs 4115 enfants de moins de 16 ans, presque tous français.
Dans le camp de Drancy furent internés les célibataires et les couples sans enfants - 1989 hommes, 3003 femmes.
Le bilan de cette gigantesque rafle, la plus importante jamais conduite sur le sol de notre pays, s’établissait à 13 152 innocents. Ceux qui les avaient arrêtés portaient l’uniforme français : ils étaient aux ordres du gouvernement capitulard, antisémite et xénophobe de Vichy, oeuvrant pour le compte de la gestapo allemande.
L’Etat français venait de se rendre complice des nazis les plus fanatiques et les plus déterminés.
Vichy avait livré, et livrerait encore aux barbares des dizaines de milliers de Juifs. Dans cette immense tragédie, 80 000 Juifs ont été les victimes de la solution finale en France : 76 000 déportés, dont moins de 3 000 sont revenus, 3 000 morts dans les camps en France, et un millier de Juifs exécutés ou abattus sommairement.
En cette seule année 1942, année terrible pour les Juifs de France, 19 000 hommes, 15 000 femmes et 6 500 enfants, dont plus de mille avaient moins de 5 ans, furent victimes de la soumission de l’Etat français à la volonté génocidaire nazie.
Philippe Pétain, chef de l’Etat français, Pierre Laval, chef du Gouvernement, René Bousquet, chef de la police, n’avaient pas été à l’origine de la solution finale, mais c’est en pleine conscience de leurs actes qu’ils ont choisi de remplir le rôle de pourvoyeurs des camps de la mort.
Ces hommes qui dirigeaient la France de la collaboration n’ont droit à aucune circonstance atténuante. Pas même celle de la défaite, car on ne sauve pas la France en déshonorant ses principes. Aucune circonstance atténuante, parce que c’est spontanément qu’ils ont inscrit dans la loi un statut discriminatoire des Juifs, et qu’ils ont pris les mesures qui les réduisaient à la condition de parias.
Cette collaboration indigne, ce pacte sombre avec l’occupant nazi, beaucoup de Français en ont ressenti le caractère déshonorant et tragique.
Dès octobre 1940, malgré la défaite et la désolation de tout un pays brisé, des citoyens français se sont émus et insurgés, telle cette femme s’adressant à Pétain le jour de la promulgation du statut des Juifs : « Je crois qu’il est peu de choses aussi affreuses que d’être honteux de son pays, au moment où on l’aime avec plus de tendresse et d’intensité que jamais à cause de son immense malheur. Ce n’est pas un pays sans visage que la France. Et un des traits que nous aimons et respectons le plus est son humanité... Ce sont ces droits (ceux de la personne humaine) qui sont dangereusement atteints par le statut des Juifs... Nombreux sont les Français qui sont prêts, sous votre conduite, à souffrir n’importe quoi, pourvu que tout soit fait pour que la France reste la France, dans son âme aussi bien que dans son territoire. »
Voilà les mots d’une Française, les mots de l’honneur national.
Non, aucune circonstance atténuante ne tient, parce que face aux chefs SS, il restait aux autorités de Vichy le pouvoir de résister, l’issue de dire « non » ; il leur restait l’Empire, la flotte, l’horizon voisin de la France libre ; il leur restait enfin et surtout la volonté des Français de ne pas voir la France perdre son âme. Cette volonté, le pasteur Boegner l’exprimait si justement dans une lettre restée sans réponse à Pétain : « Je vous supplie, Monsieur le Maréchal, d’imposer des mesures indispensables pour que la France ne s’inflige pas à elle-même une défaite morale dont le poids serait incalculable. »
Au lieu de répondre à cet appel, le Gouvernement de Vichy a balayé les traditions françaises d’asile et de protection, ces traditions chevaleresques et humanistes du pays ; il s’est associé au crime contre l’humanité dans toute son horreur, car il ne pouvait ignorer le sort funeste qui attendait les déportés.
Ce sort, beaucoup le connaissaient, ou le pressentaient.
Les enfants eux-mêmes, enfermés durant ces quelques journées effroyables dans le Vélodrome d’hiver, n’entretenaient aucune illusion.
Voici la lettre d’un garçon de 15 ans à l’un de ses amis : « Mon cher Claude, Lorsque cette lettre te parviendra, nous serons sans doute déjà partis. Nous sommes presque fous à force de penser à cela, surtout que nous craignons d’être séparés. Je termine cette lettre en ayant une forte envie de pleurer, car vois-tu, je crois que nous ne nous reverrons plus, et vois-tu, je crois que c’est vraiment la fin. »
Par la suite, les familles internées au Vel d’hiv furent transportées dans deux camps du Loiret, à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, où très vite, elles furent disloquées.
Les pères partirent par un convoi, avec leurs fils adolescents nés à l’étranger. Les milliers de mères partirent par d’autres convois avec leurs filles adolescentes, après avoir été séparées à coups de crosse, de leurs enfants en bas âge. Quelques témoins de ces séparations brutales se sont exprimés :
« Il est impossible - écrivait l’un d’eux - de vous décrire les conditions dans lesquelles ces déportations ont eu lieu. On a arraché des enfants à leurs mères et tout ce que vous pourrez imaginer à ce sujet sera en dessous de la vérité. »
Un autre témoin a rédigé le jour même, le 7 août, cette demande pressante :
« Il faut que vous racontiez à tous ces femmes, véritables folles qui hurlent adieu à leur enfant de 4 ans, de 10 ans, de tous les âges, qu’on leur arrache ».
Ces 3 000 enfants en bas âge restèrent seuls, plongés dans la détresse extrême des corps, des cœurs et des esprits. Certains verront leur martyre s’achever sur place, et seront inhumés dans des tombes ou dans des fosses communes des cimetières locaux. Tous les autres furent transportés au camp de Drancy parce que les autorités allemandes ne voulaient pas de trains remplis exclusivement d’enfants. Là, on les mélangea à des adultes raflés en zone libre, qui n’étaient pas leurs pères, qui n’étaient pas leurs mères, afin de faire croire à la population française qu’ils partaient en famille. Ils furent déportés en 6 convois, à raison de 500 enfants par convoi.
Deux jours et deux nuits de rail, dans une promiscuité étouffante, sous la chaleur lourde de l’été. Le train stoppe. Les portes s’ouvrent sur la rampe de Birkenau. L’angoisse, les peurs, les cris éclatent. Des ordres résonnent. Les colonnes se forment. Quelques instants plus tard, quelques pas plus loin, ils entreront dans la machine exterminatrice nazie. Pas un de ces enfants n’est revenu.
Quant aux milliers de mères, qui espéraient encore que la nationalité française de leurs enfants les protègerait, elles ont appris à Auschwitz, trois semaines plus tard, qu’ils y avaient été déportés à leur tour, et assassinés dès leur arrivée. Moins de dix de ces mères survécurent.
Ici même, le 16 juillet 1995, Jacques Chirac déclarait : « Ce jour là, la France, terre d’asile, patrie des Lumières, ce jour là, la France a accompli l’irréparable. »
Il fallait cet acte de courage et de lucidité pour regarder en face le passé de notre nation, pour décider d’en assumer les responsabilités et les conséquences, pour permettre en particulier de créer la Commission Matteoli, dont les propositions ont été suivies par les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin : réparation pour les orphelins de la déportation, création d’une Commission d’indemnisation des victimes de spoliations, création de la fondation pour la mémoire de la Shoah.
Oui, la France avait prêté la main aux actes commis par Vichy contre les Juifs ; en particulier, aux arrestations menées par la police française, qui est allée jusqu’à se saisir en août 1942, en zone libre - territoire où il n’y avait pas de troupes allemandes - de 10 000 Juifs transférés en zone occupée, d’où ils furent immédiatement déportés.
A côté de Vichy - cette France inique - une autre France existait cependant, une France d’honneur, celle de la résistance, celle du général de Gaulle, une France d’action et de foi, une France aussi de cœur, discrète mais généreuse, désarmée mais vertueuse. Il a fallu le travail lent et précis d’historiens pour dégager son rôle salvateur, le décrire, le mesurer justement.
« Si le régime de Vichy a abouti à une faillite morale, et s’est déshonoré en contribuant efficacement à la perte d’un quart de la population juive, les trois quarts restant doivent essentiellement leur survie à la sympathie sincère de l’ensemble des Français, ainsi qu’à leur solidarité agissante, à partir du moment où ils comprirent que les familles juives tombées entre les mains des Allemands étaient vouées à la mort. » Voila ce qu’écrivait l’historien et chercheur Serge Klarsfeld dans la conclusion de son ouvrage, Vichy-Auschwitz, dès 1983.
Redisons-le aujourd’hui : derrière les Justes de France, figures exemplaires et reconnues, un large peuple a agi, des églises ont parlé, des voix nombreuses ont protesté qui, pendant l’été 1942, au moment des victoires allemandes en Afrique du Nord et dans le Caucase, ont réussi par leur hostilité marquée aux mesures anti-juives, à freiner la coopération massive instituée entre les polices de René Bousquet et de Karl Oberg, entre la police de Vichy et la gestapo.
Rappelons non seulement les lettres pastorales de Mgr Saliège, de Mgr Théas, de Mgr Gerlier, de Mgr Delaye, mais aussi les réactions de très nombreux Français, immédiatement retransmises par les préfets au Gouvernement de Vichy. Rappelons les avec émotion, avec gratitude pour la France, avec reconnaissance pour la part d’honneur sauvé.
Mesdames et messieurs,
Soixante cinq années se sont écoulées depuis cette rafle du Vélodrome d’Hiver, emblématique de toutes les autres rafles qui eurent lieu à la même période.
Soixante cinq ans. Le temps a passé, reléguant dans une mort obscure les coupables historiques, et avec eux la nécessité d’expier. L’horreur, elle, n’a pas diminué ; et avec elle s’est perpétuée notre obligation de protester, de pratiquer l’exercice du souvenir et de la vigilance.
Au nom du président de la République, au nom du Gouvernement, je m’adresse ici à la jeunesse française.
Il y a soixante cinq ans, des responsables de Vichy, des fonctionnaires, des collaborateurs, se sont souillés d’une faute pleine, indélébile. Leur faute n’est pas votre faute. Leur honte n’est pas votre honte. Mais il y a dans leurs actes une horreur qui doit devenir la vôtre, un dégoût qui doit soulever vos cœurs comme il a soulevé le nôtre ; non pour vous mortifier, mais pour vous prémunir ; non pour réécrire le passé, mais pour entretenir le culte de la vérité ; non pour condamner la France dans son entier, ce qui serait injuste, mais pour exiger d’elle le meilleur ; non pour abaisser l’esprit de résistance dont elle fit preuve, mais bien au contraire pour en mesurer la force et le prix.
De la Shoah, des survivants sont encore là pour témoigner, mais leur nombre s’amenuise, et bientôt ne resteront que les écrits, les images, les livres d’histoire. Lorsque la voix de ceux qui ont vécu cette tragédie se sera tue, il vous reviendra, à vous jeunesse de France, de prendre le relais de leurs paroles, de leur mémoire. Vous le ferez pour eux, vous le ferez pour la France.
Oublier, c’est commencer à mourir.
A ceux qui ont perdu des êtres chers, et dont la souffrance n’est pas révolue, je veux dire combien je comprends qu’ils refusent de se résigner ; combien je respecte leur chagrin, leurs larmes infinies. A leur côté, je retiens, moi aussi, la leçon de cette page noire de l’histoire de notre pays. C’est une leçon profondément politique, une leçon ancienne.
En 1572, rapporte Voltaire, le gouverneur d’Auvergne Saint-Herem, répondait au roi Charles IX, qui lui avait demandé d’exécuter les protestants tombant sous sa juridiction :
« Sire - répond-il - j’ai reçu un ordre sous le sceau de votre majesté de faire mourir tous les protestants qui sont dans ma province. Je respecte trop votre majesté pour ne pas croire que ces lettres sont contrefaites ; et si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’ordre est véritablement émané d’elle, je la respecte encore trop pour lui obéir ».
C’est cette quête de grandeur morale, intellectuelle, spirituelle qui doit conduire l’Etat et l’administration. C’est ce choix de l’honneur et du courage qui doit inspirer ceux qui ont en charge d’incarner la République. C’est le combat perpétuel contre tous nos démons - l’antisémitisme, la xénophobie, le racisme - qui doit frayer sa voie. C’est la victoire de la dignité et de la justice qui éclaire l’âme de la France.