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Publié le 10 juin sur Handicap.fr
Jamais deux sans trois... Pour la troisième année consécutive, le handicap reste le principal motif de discriminations (22,7%) loin devant l'origine (14,5%) et l'état de santé (10,3%) en 2019. Elles sont particulièrement prégnantes dans le domaine de l'emploi, l'éducation et la formation ou encore les services publics.
Le 8 juin 2020, à quelques semaines de la fin de son mandat, Jacques Toubon, Défenseur des droits (DDD), publie son sixième et ultime rapport annuel d'activité. En 2019, 103 066 réclamations ont été portées à son attention, soit 7,5% de plus que l'année précédente. Depuis son arrivée en 2014, elles ont bondi de 40,3% . « Partant du constat qu'au fil des années les discriminations persistent et se manifestent dans tous les aspects de la vie quotidienne, le DDD regrette l'absence d'une politique publique volontariste et ciblée pour mieux les prévenir et les combattre », annonce le rapport en préambule.
Dans ce texte de 119 pages, le DDD révèle ses « dix combats de l'année 2019 ». Le premier ? Les difficultés d'accès aux services publics, qui font l'objet de plus de 60 000 saisines, soit plus 10, 4 % par rapport à 2018 et 78,4 % par rapport à 2014. Selon lui, cette hausse « confirme l'ampleur des effets délétères de l'évanescence des services publics sur les droits des usagers ». Le rapport dépeint ainsi une France « à la croisée des chemins », minée par « les inégalités territoriales » mais aussi par le « sentiment d'abandon » provoqué par « la fracture numérique et la dématérialisation à marche forcée » des services publics. « Le recul de la présence humaine aux guichets des administrations et la dématérialisation des démarches ont encore été la source de nombreuses ruptures d'égalité », observe-t-il. Dans un précédent rapport dédié, le DDD déplorait notamment l'inaccessibilité de nombreux sites publics aux personnes en situation de handicap et exhortait le gouvernement à appliquer des sanctions, parmi une dizaine d'autres recommandations pour « mettre tout le monde sur un pied d'égalité » (article en lien ci-dessous).
Le DDD déplore également la persistance des discriminations fondées sur le handicap en emploi et rappelle que « l'obligation d'aménagement raisonnable impose à l'employeur de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre à un agent dont le handicap n'a pas été déclaré incompatible d'accéder à l'emploi en cause, de l'exercer et d'y progresser ». Pourtant, tout au long de son mandat, il a pu observer que le handicap était le premier critère de saisine dans le domaine de l'emploi public. Un exemple ? Le Défenseur des droits a, dans sa décision du 26 février 2019, rappelé qu'il était discriminatoire de diminuer le taux de prime d'un agent en situation de handicap pour compenser les investissements réalisés pour adapter son poste de travail. Le tribunal administratif a suivi ses observations et sanctionné l'administration concernée.
Le DDD continue également d'être saisi par des bénéficiaires des différentes complémentaires santé solidaire (AME, ACS, CMU-C) à qui des professionnels de santé refusent de prodiguer des soins ou de pratiquer le tiers payant/tarif conventionnel. Or, ces refus de soins constituent des discriminations fondées sur la vulnérabilité économique et sont interdits par la loi. Publiée en octobre 2019, l'enquête du Défenseur des droits et du Fonds CMU-C a révélé qu'un cabinet sur dix refusait de recevoir des bénéficiaires d'une telle prestation. Parmi eux, des personnes en situation de handicap qui doivent également faire face à des problèmes d'accessibilité. « Dans l'accès aux soins, ces dernières peuvent être discriminées lorsqu'elles sont en institution mais également en milieu ordinaire, c'est par exemple la question de l'accessibilité des cabinets médicaux. Le DDD a pour mission de rétablir les personnes dans leurs droits mais aussi d'inspirer les politiques publiques pour que cessent ces stigmatisations. »
Par ailleurs, 3 016 réclamations concernent les droits de l'enfant, soit 21 % de plus qu'en 2014. Dans son rapport dédié, l'institution alerte sur la question des violences subies par les enfants au sein des institutions publiques ainsi que sur le nécessaire respect du droit à l'éducation, notamment au regard des réclamations liées au refus d'accès à l'école, à la cantine ou aux activités péri et extrascolaires de plusieurs enfants en situation de handicap. « Le droit à l'éducation est un droit fondamental qui doit être effectif pour tous, quelle que soit la situation administrative des parents, leur origine, leur position sociale, leur vulnérabilité », affirme Jacques Toubon.
Parcoursup a également donné lieu à de nombreuses saisines et enquêtes. Concernant les étudiants en situation de handicap, le DDD avait recommandé que des mesures soient prises afin de leur garantir un accès non discriminatoire à l'enseignement supérieur et une évaluation non pénalisante de leur parcours. Il proposait également d'examiner la mise en place, dans chaque académie, d'un dispositif permettant leur affectation prioritaire.
En matière de déontologie de la sécurité, le DDD a reçu 1 957 saisines, soit une augmentation de 178% depuis 2014. Parmi elles, une personne déficiente auditive affirme avoir subi deux refus de plainte et des conditions d'accueil et d'entretien dégradées dans un commissariat de police. Après avoir examiné l'accessibilité des lieux, le DDD a insisté sur le fait qu'il appartient aux agents de mettre en confiance « le plaignant » puis de l'aider à formaliser son récit par une « attitude soutenante » et par une « mise en capacité de récit » sereine, conditions essentielles pour garantir l'accès au service public de la justice aux personnes en situation de handicap. Depuis 2015, 44 délégués de l'institution répartis sur l'ensemble du territoire accueillent, orientent ou proposent un règlement amiable aux personnes qui n'ont pas pu déposer plainte ou qui ont subi des propos déplacés de la part d'un policier ou d'un gendarme.
En parallèle, le DDD publie sa « Synthèse de l'urgence sanitaire » et révèle les actions menées depuis le début de l'épidémie de Covid-19 pour défendre les droits des citoyens, notamment handicapés (article en lien ci-dessous). Refus de paiement en espèces, fermeture des bureaux de poste, difficultés d'accès à certains supermarchés, victimes de violences rendues invisibles… Entre le 16 mars et le 1er juin 2020, 1 424 saisines concernaient la crise sanitaire. Après avoir rendu les inégalités « encore plus criantes », M. Toubon espère que cette crise « conduira à un meilleur accès aux droits ». Son dernier vœu avant de tirer sa révérence en juillet 2020, après six ans de « combat pour l'égalité de l'accès aux droits »… Il a par ailleurs déclaré que son successeur devrait être… une femme ! « Je crois que ce serait un signal assez conséquent en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes », estime-t-il