Lu dans la presse
|
Publié le 19 Juin 2020

France/Haine en ligne - Stopper la haine sur Internet !

Editorial. Les géants du Web apparaissent comme les grands gagnants des faiblesses législatives et, désormais, de la censure de la loi Avia. Cette irresponsabilité ne peut perdurer.

Publié le 19 juin dans Le Monde

La haine en ligne est un fléau d’une immense ampleur. Des monceaux de messages racistes, antisémites, misogynes ou homophobes s’étalent en permanence sur les réseaux sociaux, générés par des individus, mais aussi par des automates, soufflant sur les braises et semant le désordre à grande échelle. En censurant l’essentiel de la loi dite « Avia », jeudi 18 juin, le Conseil constitutionnel a mis à bas un dispositif adopté en mai, destiné à imposer aux géants du numérique de retirer les incitations à la haine, à la violence et au terrorisme, ainsi que les injures à caractère raciste ou sexiste et les images pornographiques représentant des mineurs.

Ce texte, qui devait entrer en vigueur à partir du 1er juillet, créait une obligation pour les plates-formes et les moteurs de recherche de retirer sous vingt-quatre heures – et même dans l’heure pour les images pédopornographiques et l’apologie du terrorisme – les contenus « manifestement illicites » qui leur sont signalés, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions portaient « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication [garantie par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 intégrée à la Constitution] qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».

Pour parvenir à cette conclusion, les « sages » ont estimé que la loi Avia faisait peser sur les opérateurs la charge, normalement dévolue aux magistrats, d’examiner la légalité des contenus dénoncés, au regard de textes complexes et dans un domaine où il est nécessaire de prendre en compte le contexte. Selon leur décision, ces difficultés d’appréciation combinées au fort montant des amendes encourues « ne peuvent qu’inciter les opérateurs (…) à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». D’où le risque d’atteinte à la liberté d’expression.

Modération insuffisante

Ces motivations sont compréhensibles. C’est le propre de la législation sur la presse de mettre en balance liberté d’expression et protection contre la diffamation, l’injure ou l’incitation à la haine. Les tribunaux condamnent d’ailleurs couramment les auteurs de tels délits commis en ligne, comme sur d’autres supports. Mais ces jugements, rendus longtemps après l’infraction, ne règlent pas la question des dégâts causés en temps réel par les messages haineux sur la Toile. Quant à la loi de 2004, adoptée avant la prolifération des réseaux sociaux, elle limite la responsabilité des hébergeurs au cas improbable où ils auraient eu connaissance du caractère illicite d’un contenu publié. Le lourd formalisme exigé des éventuels plaignants et l’amende prévue en cas de dénonciation inexacte, rendent ce texte inopérant.

Cette irresponsabilité ne peut perdurer. Les géants du Web apparaissent comme les grands gagnants de ces faiblesses législatives et, désormais, de la censure de la loi Avia. Cette situation est d’autant plus choquante que les plates-formes en question non seulement prospèrent financièrement notamment à travers le « buzz » provoqué par les contenus haineux, mais n’acquittent pas les taxes et impôts de droit commun dans les pays où ils sèment ainsi le désordre. La liberté d’expression doit être défendue avec énergie, mais pas l’irresponsabilité des réseaux sociaux, dont les méthodes de modération restent largement insuffisantes. Faute de loi Avia, l’Etat, doublement visé, doit trouver, avec les plates-formes concernées, d’autres mécanismes de régulation propres à débarrasser la Toile de contenus inacceptables.