Tribune
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Publié le 5 Juillet 2012

« Antisémitisme : ce qu’on ne veut pas dire »

Par Marc Knobel

 

Dans son édition du 5 au 11 juillet 2012, le Nouvel observateur en collaboration avec France Inter, publie un dossier très intéressant intitulé : « Voyage au bout du nouvel antisémitisme ». Dans cette enquête, il est bien souligné et mis en exergue que les agressions contre les juifs depuis l’année 2000 se multiplient et se banalisent et que dans la France de 2012, les juifs sont de plus en plus nombreux à subir cette violence au quotidien. Les juifs, sont les victimes d’une haine attisée par les conflits du Proche-Orient, nourrie de ressentiment social et qui parfois renoue avec les pires clichés d’un antisémitisme qu’on croyait révolue. Ce que montre bien le long papier d’Isabelle Monin et l’encadré de Sarah Diffalah. Pour commenter ce dossier et parler de l’antisémitisme, Richard Prasquier, Président du CRIF sera interviewé ce jeudi 5 juillet 2012 sur l’antenne de France-Inter « Le téléphone sonne », dès 19h15. 

L’enquête commence ainsi : « C’est une goutte. Le 11 juin à Paris, Elie M., 12 ans, a dit à ses parents qu’il faudrait changer de nom : au collège on l’avait traité de "sale juif". Le 30 avril à Marseille, deux jeunes garçons ont été interpellés dans la rue : "Nous, on est pour la Palestine, on n’aime pas les juifs, on va tous vous tuer, on va tous vous exterminer, sales juifs que vous êtes." Puis ils se sont fait casser la gueule. Le 8 juin à Sarcelles, un adolescent a été insulté par trois jeunes : "Ferme ta gueule, sale juif." Il s’est défendu ; l’un d’eux l’a tenu au cou pendant que les deux autres le frappaient. Ça ne fait pas de bruit, une goutte, on ne l’entend que si on tend l’oreille.

 

Le 26 mars à Paris, un enfant de 11 ans portant tsitsits, ces franges traditionnelles, a pris des coups de poing au visage à quelques mètres de son école. "Sale juif ", a dit son agresseur. Le même jour à Rillieux-la-Pape, dans le Rhône, en rentrant de la synagogue, un rabbin a été insulté par une bande de gamins de 12 ans environ. Ils lui ont jeté des pierres.

 

Quatre jours plus tôt, Mohamed Merah avait été abattu par la police à l’issue d’une équipée sanglante dans laquelle il avait tué sept personnes dont trois enfants juifs et un rabbin dans une école confessionnelle. Chaque fois c’est pareil : on pense que l’horreur d’un crime éteindra les mauvais instincts. Mais l’émotion, pour être générale, n’est jamais unanime. Au contraire. Le djihadiste toulousain est devenu un genre de héros pour une petite minorité. Des tags à sa gloire, un peu partout, ont fleuri. Lors de la minute de silence imposée dans toutes les écoles en hommage aux victimes de l’école Ozar Hatorah, de nombreux incidents ont été répertoriés.

 

A Caussade, dans le Tarn-et-Garonne, une collégienne a dit : "Pour les juifs, je m’en fiche, mais s’il y a des Arabes, on peut le faire. J’aime pas les juifs, c’est comme ça." Convoqués, ses parents l’ont soutenue : "Vous ne faites rien pour les Palestiniens." A Marseille, une famille a été prise à partie par un doctorant en physique de 24 ans. Fils d’une universitaire et d’un ingénieur, il voulait "parler de la Palestine" avec le père de famille et lui a cassé la mâchoire. "J’ai vu à sa tête qu’il était sioniste", a expliqué à ses juges celui pour qui Mohamed Merah était un "résistant". Il a été condamné à un an ferme.

 

Une goutte dans un océan d’actualité. Une de plus. On aimerait l’oublier, la laisser tomber puis sécher dans son coin, la dédaigner. Mais elle revient toujours, avec une régularité de métronome. La France n’en a pas fini avec l’antisémitisme… »

 

En effet, la France n’en a pas fini avec l’antisémitisme.

Ariel Goldmann, vice-président du CRIF et porte-parole du SPCJ rapporte que, depuis l’affaire Merah en mars, les chiffres flambent : fin mai, déjà 268 actes répertoriés, dont 78 actions violentes et 190 menaces et actes d’intimidation. La majorité des signalements se situent à Paris, en Ile-de-France, en banlieue lyonnaise et à Marseille. Pour Nicole Yardeni du CRIF de Midi-Pyrénées « ces jeunes perpétuent un antisémitisme très virulent dans le monde arabe, que les jeunes d’Afrique du Nord ont connu autrefois et que les jeunes Arabes de France ont dans leurs mémoires ». D’autres s’alarment également d’une montée des tensions. « On ne sait plus comment tenir nos jeunes qui chaque samedi se font insulter en boîte de nuit », prévient désemparée Michèle Teboul, présidente du CRIF Marseille-Provence. Cependant, pour le Président de la LICRA, Alain Jakubowicz,  « la dieudonnisation des esprits qui gagne dans les banlieues n’est pas moins dangereuse que la lepénisation dont elle est le complément d’objet direct. »

 

Cette enquête est suivie d’un entretien avec Esther Benbassa, sénatrice des Verts et d’un papier de Marie Lemonnier « Juifs et musulmans, frères ennemis ? » Pour l’orientaliste Michel Abitbol, « Jusqu’au XXe siècle, on ne peut en aucun cas parler d’antisémitisme musulman », un avis qui n’est pas partagé loin s’en faut par d’autres historiens et orientalistes. Abdelwahab Meddeb codirecteur avec Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie, d’un projet d’encyclopédie sur les relations entre juifs et musulmans du Coran à nos jours, à paraître l’an prochain chez Albin Michel, ajouet alors : « L’Islam n’était pas antisémite, il l’est devenu. »

Marc Knobel.

Voir aussi à ce sujet sur le Nouvel obs.com :

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120605.OBS7536/agressions-antisemites-l-effet-merah.html

 

Nous reproduisons ci-après le témoignage édifiant d’Ianis Roder qui a été publié dans ce dossier.

 

Le jour où une élève m'a dit : "Moi, j'aime pas les juifs"

Par Iannis Roder
prof d'histoire-géo

Iannis Roder est professeur d'histoire-géographie à Saint-Denis. Les réflexions antisémites, il en entend régulièrement dans les salles de classe et s'interroge : comment expliquer un tel phénomène ? Le Nouvel Observateur publie cette semaine un dossier spécial "Antisémitisme : ce qu'on ne veut pas dire" (édition du 5 juillet), où vous pouvez retrouver ce témoignage.

 

Je suis d'une génération pour qui l'antisémitisme était mort avec la Shoah. Je n'avais pas pensé qu'il reviendrait d'ailleurs.

 

"Il n'y avait pas un juif hier dans les tours"

La première fois, c'était en 1998 dans une classe de 5e. Lorsqu'on a abordé le chapitre sur l'islam, une gamine a râlé : "On ne fait que quatre heures sur l’Islam, alors que l'année dernière, on a fait les Hébreux pendant au moins dix heures ! De toute façon, moi j'aime pas les juifs."

 Je suis tombé des nues. Ce n'était que le début. Au tournant des années 2000, deux évènements ont libéré la parole : le 11 septembre et la seconde Intifada. Je me souviens précisément du 12 septembre 2001. La plupart de mes élèves étaient atterrés, mais l’un d'eux avait déjà une explication "complotiste" : "Il n'y avait pas un juif hier dans les tours, c'est eux qui l'ont fait." Pour une minorité, c'était "bien fait pour les Américains et pour les juifs".

 Presque toujours, ces propos viennent d'enfants issus de l'immigration et se réclamant de l'Islam. En 2002, un garçon m'a expliqué que "Hitler aurait fait un bon musulman". Cela fait dix ans que je sais que c'est là, latent chez certains. Dès qu'on évoque la Shoah ou qu'ils comprennent qu'un des personnages est juif, ça sort.

 Par exemple, cette année, Ousmane, 15 ans, alors que je parlais de Léon Blum : "Il est juif, qu'il crève !" Comme ça, direct. Je l'ai envoyé chez le proviseur qui a convoqué sa mère. Elle a pleuré et décidé de le changer d'établissement. Plus tard, des copains d'Ousmane m'ont rapporté ses propos : "Roder, il s'est énervé pour rien, un truc de fou." Il ne voyait pas le mal.

 Je suis d'une génération pour qui l'antisémitisme était mort avec la Shoah. Je n'avais pas pensé qu'il reviendrait d'ailleurs.

 

"Il n'y avait pas un juif hier dans les tours"

La première fois, c'était en 1998 dans une classe de 5e. Lorsqu'on a abordé le chapitre sur l'islam, une gamine a râlé : "On ne fait que quatre heures sur l’Islam, alors que l'année dernière, on a fait les Hébreux pendant au moins dix heures ! De toute façon, moi j'aime pas les juifs."

 Je suis tombé des nues. Ce n'était que le début. Au tournant des années 2000, deux évènements ont libéré la parole : le 11 septembre et la seconde Intifada. Je me souviens précisément du 12 septembre 2001. La plupart de mes élèves étaient atterrés, mais l’un d'eux avait déjà une explication "complotiste" : "Il n'y avait pas un juif hier dans les tours, c'est eux qui l'ont fait." Pour une minorité, c'était "bien fait pour les Américains et pour les juifs".

 Presque toujours, ces propos viennent d'enfants issus de l'immigration et se réclamant de l'Islam. En 2002, un garçon m'a expliqué que "Hitler aurait fait un bon musulman". Cela fait dix ans que je sais que c'est là, latent chez certains. Dès qu'on évoque la Shoah ou qu'ils comprennent qu'un des personnages est juif, ça sort.

 Par exemple, cette année, Ousmane, 15 ans, alors que je parlais de Léon Blum : "Il est juif, qu'il crève !" Comme ça, direct. Je l'ai envoyé chez le proviseur qui a convoqué sa mère. Elle a pleuré et décidé de le changer d'établissement. Plus tard, des copains d'Ousmane m'ont rapporté ses propos : "Roder, il s'est énervé pour rien, un truc de fou." Il ne voyait pas le mal.

 

Pourquoi nie-t-on cette réalité dramatique ?

En salle des profs, quand je soulevais le problème, on me parlait du malaise social et de la politique israélienne, quand on ne me prenait pas pour un réac de droite. Le déni est ce qui m'a le plus choqué.

 Avant, dans les années 80, au moindre soupçon d'antisémitisme, l'indignation était immédiate. Je me souviens de la manifestation après la profanation du cimetière juif de Carpentras, en 1990, tout le monde était dans la rue. Là, personne, rien.

 

On m'a dit que j'inventais, que je dramatisais, que je manipulais mes élèves pour leur faire dire des horreurs. Au motif qu'elle est au côté des opprimés, la gauche n'a pas voulu voir le problème. Ça a été une claque pour moi, que mes amis politiques ne réagissent pas. Ceux qui s'étaient levés sur Carpentras sont restés assis et muets. Pour eux, ces jeunes sont des victimes sociales et ne peuvent donc pas être antisémites. Comme si l'on ne pouvait être les deux à la fois.

 Et puis, j'ai l'impression que pour certains, l'idée que des juifs sont victimes est lassante. Du genre : "C'est bon, ils ont déjà la Shoah, de quoi se plaignent-ils encore ?"

 Avec la minute de silence après la tuerie de Mohamed Merah dans une école juive, les choses ont changé. Combien de jeunes ont refusé de respecter cette cérémonie, au motif qu'on n'en fait "pas autant pour les enfants palestiniens" ?

 Beaucoup de profs en Seine-Saint-Denis, et plus seulement les profs d'histoire dans le huis clos de leurs classes, ont découvert cet antisémitisme. Désormais, j'ai le sentiment que la communauté scolaire sait, et peut commencer à se demander comment lutter contre ces préjugés.

 

Que faire contre ce fléau ?

 Ces enfants sont les premiers à dire "le racisme c'est pas bien", mais ils ont une vision communautariste de la société. Pour eux il y a d'un côté les "Français", c'est à dire les blancs et les juifs, et de l'autre, eux. Quand un garçon me dit "les racistes du PSG c'est que des juifs !", il est dans un degré de confusion tel que l'incantation morale n'a aucun poids. Il entend probablement toute la journée que les juifs sont riches, puissants, racistes et tirent sur des enfants palestiniens, alors que Ben Laden et Merah sont des héros.

 Ces jeunes sont abreuvés d'images, à la fois surinformés et incapables d'analyser ce qu'ils reçoivent. Pour ceux qui ont 500 mots de vocabulaire, les théories du complot, les explications simplistes sont rassurantes.

En classe, j'essaye de leur montrer ce qu'il y a derrière les événements. Quand on commence l'histoire du nazisme, il y a toujours des remarques antisémites au début : "Hitler a pas fini le boulot, Hitler est mon cousin, les Juifs ont tous les pouvoirs..."

Je les laisse parler, puis je leur explique que le nazisme est une vision raciale du monde, dans laquelle les noirs sont à la limite de l'humanité, et où les Juifs comme les handicapés doivent être éradiqués. Soudain, ils s'identifient aux victimes, ça disqualifie Hitler. On peut casser les préjugés chez certains.

 Deux jours après l'affaire Merah, un élève m'a dit : "Vous avez vu ce qu'il a fait celui-là ? Il a tiré dans la tête d'une petite fille. C'est un nazi en fait, il a cru qu'il tuait son ennemi."

 Je me suis dit qu'il avait compris. Ça m'a fait plaisir.

 

Propos recueillis par Isabelle Monnin