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Suivant cette annonce, le président Morsi c’est empressé de signer, dans la nuit de mardi à mercredi, le décret ratifiant la nouvelle Constitution. Pour la majorité dirigeante, l’Égypte, soucieuse de clore une transition complexe, a fait un choix qui lui ressemble, celui d’un cadre législatif stable et conservateur. Mais à y regarder de plus près, cette écrasante majorité n’a rien d’un plébiscite. Au très faible taux de participation – 32% pour 52 millions d’électeurs, soit moins de 17 millions de votants – s’ajoutent de très fortes contestations des résultats. Mohamed Morsi, faisant fi du processus démocratique, a fait passer en force un texte flou, rédigé par un conseil très largement dominé par les islamistes. Un texte dont l’article 2 reprend presque mot pour mot, au grand dam des libéraux, les termes de la précédente Constitution, prévoyant « les principes de la Charia » comme source de la législation et faisant de l’Islam la religion d’État. Plus loin, les articles 31 et 44, qui interdisent les insultes aux individus et aux prophètes, ouvrent de par leur formulation elliptique la voie à une possible restriction des libertés d’expressions. De même, l’article 11, « l’État protège la morale, les mœurs et l’ordre public », autorise tacitement la censure. En liant le salaire de l’ouvrier à la production, les législateurs ont également touché au droit de grève. Mais davantage encore ce sont les omissions du texte qui inquiètent. Ainsi nulle part il n’est question de l’égalité des sexes ou de l’interdiction du travail des enfants.
Le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, chef de file du F.N.S (Front National du Salut), principale coalition d’opposition, avait dénoncé au lendemain du vote un texte illégitime, car contraire aux « valeurs universelles fondamentales ». Hamdeen Sabbahi, autre figure du F.N.S, devrait désormais faire appel des résultats. Il a été suivi par Amr Hamzawy, fondateur d’Égypte Libre, un parti né comme tant d’autres de la révolution, en mai 2011. Hamzawy réclame une enquête sur les irrégularités – « fraudes et violations » – du vote. En effet, près de 7 000 plaintes et 1 500 procès verbaux ont déjà été déposés. Samir Abou el Maati, président de la commission électorale a tenté de calmer le jeu en précisant que les plaintes seraient examinées avec attention et que les résultats de certains bureaux de vote, ayant fermé avant l’heure fixée, avaient d’ores et déjà été invalidés. Mais qu’en est-il, au dire de l’opposition, de ces magistrats supposés superviser le vote et remplacés, dans certaines communes, par des inconnus, ou encore de ce déploiement de 250 000 policiers et soldats ? Officiellement, il s’agissait d’assurer la « sécurité » après des semaines de violentes manifestations contre Morsi qui, le 22 novembre 2012, s’était octroyé les pleins pouvoirs pour « nettoyer les derniers vestiges de l’ère précédente », déclenchant ainsi la plus grave crise qu’ait connue l’Égypte depuis la chute de Moubarak. Mais la contestation a fini par gagner les rangs de la majorité, ainsi le vote de samedi a été marqué par la démission du vice-président Mahmoud Mekki, qui a laconiquement estimé que « la nature du travail politique ne convenait pas à sa formation professionnelle de juge. » Une manière détournée et peut-être excessivement courtoise de marquer son désaccord à Morsi. Rappelons d’ailleurs que la nouvelle constitution supprime la vice-présidence. Conscient de la menace d’un durcissement des répressions, l’électorat d’opposition semble avoir tacitement choisi le boycott plutôt que le « non ».
De leur côté, certains commentateurs ont salué une campagne électorale menée de longue haleine par les Frères musulmans, en contact avec les électeurs quartier par quartier, distribuant des tracts, soutenant des associations, etc. quand les partis d’opposition, nés pour la plupart il y a quelques mois seulement, peinent encore à s’organiser. Les islamistes prétendent ne pas chercher à soumettre la population, mais à l’éduquer. On est en droit de douter de la démagogie d’une démarche qui continue de s’appuyer sur la force d’intimidation des armées, et qui fait son beurre de ces prêches d’imams salafistes, promettant au Caire, à Alexandrie ou à El-Minya le Paradis aux partisans du « oui », l’Enfer aux autres. Il semblerait que, sous prétexte d’effacer un régime autoritaire, Morsi finisse aussi par s’en prendre aux contestataires : avec d’abord les laïques qui dénoncent une constitution liberticide, mais aussi les chrétiens coptes – 10% de la population – qui s’inquiètent d’un texte pro-islamiste autorisant les interprétations rigoristes de la Charia (article 219). Mais surtout, il y a l’ombre menaçante de ces mystérieuses « chambres de tortures », aux mains des Frères musulmans, et où même la police ne ferait pas la loi. Certaines d’entre elles se trouveraient en face du Palais présidentiel, plusieurs manifestants affirment y avoir séjourné. Le gouvernement nie leur existence, mais le journaliste Mohamed el-Garhi, dans un article relayé par Armin Arefi pour Le Point.fr, prétend y être entré. On y confisque pièces d’identité et téléphones portables, on interroge, enfin on torture sous l’œil complice des forces de l’ordre, jusqu’à ce que la victime avoue un lien avec l’un des partis d’opposition. Face à cette montée des tensions et des violences que connaît l’Égypte depuis maintenant plus de deux mois, et que le vote de ce week-end n’a fait qu’exacerber, Washington, sans pour autant remettre en cause le processus démocratique, invite Mosri à mettre fin aux divisions. En France, Laurent Fabius, qui salue les efforts de l’Égypte pour renouer le dialogue international, a cependant estimé « source de préoccupation » la démarche politique de celui qui, à demi barricadé dans son palais, se voit déjà affublé du même surnom que son triste prédécesseur : le pharaon.