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Publié le 18 Avril 2011

1690 paires d’yeux étaient dans la tombe et regardaient Papon, par Charles Etienne Nephtali

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




Papon, cet homme méprisant, méprisable détestable, répugnant, suffisant et hautain, ce haut fonctionnaire très (et même trop) zélé, très (et même trop) occupé par sa carrière, très (et même trop) obéissant, rouage d’une implacable machine de collaboration, ne renia rien de son passé, clamant son innocence et poussant l’infamie jusqu’à déclarer : « Je n’ai ni remord, ni regret et si c’était à refaire, je le referais ». Aura-t-il rencontré les 1690 personnes juives, dont 250 enfants, ces innocents qu’il a, par une simple signature, alors qu’il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde, envoyées à la mort… et dans quelles conditions !



Un demi siècle de silences et de complaisances auront précédé ce procès historique et exemplaire, même si pour certains la modicité de la condamnation aura laissé un goût amer, un goût d’inachevé.



Un demi siècle de silences et complaisances que nous « devons », pour différentes raisons, au Général de Gaulle, à M. Giscard d’Estaing et à M. Mitterrand.



Un demi siècle de silences et complaisances qui permirent à Papon, décoré de la Francisque (mais il n’est malheureusement pas le seul dans ce cas, suivez mon regard en direction d’un certain ancien président de la République aujourd’hui décédé !) d’avoir, et là est le scandale,…….la Légion d’Honneur !



Un demi siècle de silences et complaisances qui lui permirent, alors que son « parcours » peu glorieux, et même minable, contre les Juifs et que sa responsabilité dans l’organisation des convois de la mort pour Drancy (et Auschwitz) n’étaient pas tout à fait inconnus du sommet de la hiérarchie de l’Etat,
- d’être deux fois élu Député,
- d’être nommé Préfet de Corse et de Constantine,
- d’être nommé en 1954 à un poste important auprès du Résident Général de France au Maroc et
- d’occuper en 1978 le poste de Ministre du Budget dans le gouvernement Barre, sous la présidence de M. Giscard d’Estaing, ce M. Barre qui, le 1er mars 2007, fit des déclarations (antisémites) élogieuses pour Papon au sujet desquelles, d’ailleurs, je n’ai pas eu vent à ce jour de réactions de la part de l’ancien Président de la République ci-dessus nommé !



Orgueilleux, alors que sa Légion d’Honneur lui fut retirée le 2 avril 1998 suite à sa condamnation à 10 ans de réclusion criminelle pour «complicité de crimes contre l'humanité», Papon sera condamné à 2.500 euros d’amende en 2004 et 2005 pour port illégal de sa décoration.



Malgré cela, malgré l'indignation des familles de ses victimes et de la classe politique, Papon, en guise d’une ultime provocation, en guise de « revanche post-mortem », fut enterré avec sa Légion d’Honneur. Quelle insulte inutile à ces 1.690 personnes juives, dont 250 enfants !



Certes, les obsèques d’une personne sont l’affaire privée d’une famille. Si celles de Papon l’étaient restées (privées), j’aurais pu écrire, pour reprendre une expression d’un certain ministre ayant abandonné son poste, certains diront « l’ayant déserté », au moment de la première guerre du Golfe, « Peu me chaut que Papon soit enterré avec sa Légion d’Honneur ». On aurait même pu y ajouter sa casquette et son uniforme de Préfet et, pourquoi pas, son stylo avec lequel il envoyait ses pauvres victimes sans défense à la mort ! Mais il en fut fait une publicité indécente, voire provocatrice, afin de respecter, paraîtrait-il, la « volonté du défunt » !



Cependant, à n’en point douter, sa décoration ne lui servira à rien « Là-haut ». L’insulte à la Légion d’Honneur est, je crois, le fait que cette illustre décoration ait pu être portée au même revers de veste sur lequel la Francisque le fut !!



Ainsi donc, après avoir connu les plus grands honneurs de la France, M. Papon est mort à 96 ans, certes libre, certes bénéficiant jusqu’à sa mort d’un traitement de faveur mais condamné. Condamné peut être pas à la hauteur de sa conduite mais condamné quand même, et là est l’essentiel !



Mais il aura fallu seize années de procédure pour que Papon comparaisse enfin devant la cour d’assises de la Gironde présidée par le juge Jean-Louis Castagnède (3). Il m’a été donné d’assister à quelques audiences de ce mémorable procès et d’en lire des comptes-rendus. J’ai encore en mémoire cet homme froid, plein de mépris (4), à l’œil glacial, prenant des notes et tenant tête à certains témoins d’une façon virulente malgré son âge et son « état de santé ». Et toujours, oui toujours, c’est un scandale et une honte, pas le moindre regard, pas la moindre compassion pour les parties civiles. Il aurait même eu le front de déclarer « …, je dois vous dire que le Noël 1943 nous ne l’avons pas fêté. Je me souviens qu’avec ma femme nous avons pleuré après le départ du convoi du 23 décembre. Je n’ai cessé de porter dans mon cœur le deuil des déportés juifs » !



Il me souvient encore de cette audience du 31 octobre 1997 après une semaine d’interruption du procès. Ce jour-là, furent mis au cœur des débats Vichy et sa criminelle politique antisémite qui rendirent les Juifs vulnérables. Politique discriminatoire qui permit de perpétrer un « crime de masse » dénoncée par le professeur-historien américain Robert Paxton (5) lors d’une magistrale déposition de plus de trois heures suivie d’une avalanche de questions. R. Paxton insista sur la mise en place, dès le 3 octobre 1940, du premier « Statut des Juifs » (6) et poursuivit sa déposition par un historique implacable contre « L’Etat français… [qui] a participé à la politique d’extermination des Juifs ». La défense, en la personne de Me Varaut, contesta ce témoignage estimant qu’« un historien n’était pas un témoin ». Puis il y eut une mise en cause d’Henri Amouroux, journaliste-écrivain présent à la barre.



Il me souvient encore de cette pénible et douloureuse audience du 22 décembre 1997 traitant du départ le 26 août 1942 de 423 personnes pour Drancy puis pour Auschwitz le 31 août, 423 personnes parmi lesquelles se trouvaient 81 enfants dont 18 furent « arrêtés » avec leurs parents lors de la rafle du 16 juillet 1942. Des enfants dont le plus âgé, Albert, avait 16 ans et le plus jeune, Léon,…..1 an (une journaliste parla même de quelques mois). Léon fut déporté avec ses frères (Maurice 3 ans, Simon 5 ans) et sa sœur (Charlotte 9 ans). Pénible et douloureuse audience pendant laquelle furent cités les noms de ces petits enfants condamnés à mort parce que Juifs, Nelly et Rachel, William et Gérard, Pauline et Jacqueline, Bertrand et Adolphe, Anna et Léon, Sylvain et David…….Ces 81 enfants embarqués avec leurs dérisoires baluchons et leurs quelques petits jouets !!



Il me souvient encore de cette audience du 23 décembre 1997 au cours de laquelle, pour la deuxième journée consécutive, il fut question des enfants du convoi du 26 août 1942 dont les parents avaient été déportés 5 jours plus tôt. Ces malheureux gosses jetés dans les wagons, leurs cris, leurs pleurs, un « voyage » de plusieurs jours au bout de l’enfer dans des conditions inimaginables avec la chaleur, la soif, la faim, la peur et, au final…..le gaz, le feu et la fumée pour tous ! Et pourtant Papon affirma à plusieurs reprises……..qu’il avait sauvé des Juifs ! En fin de journée, déclarant qu’il était « très fatigué et [avait] besoin de repos pour parachever sa guérison », l’audience fut renvoyée au 5 janvier 1998. « Des vacances de Noël pour Papon », ironisèrent certains !!



Il me souvient encore qu’à la reprise de son procès, en pleine forme malgré ses 87 ans, Papon montra et démontra qu’il était un homme à poigne n’ayant aucun mot de compassion pour la déportation des 81 enfants mais sachant s’apitoyer et s’attendrir sur son propre sort, allant jusqu’à déclarer « Je joue mon destin, ma fin de vie, ici ! » . D’une arrogance et d’une pugnacité à peine croyables, il interrompit à plusieurs reprises le procureur général, Henri Desclaux lors de cette audience du 5 janvier 1998 reconnaissant seulement, et à la limite, n’avoir commis qu’un « crime….de naïveté ». A bout d’arguments au sujet du sort des Déportés, Papon se permit cette réflexion à un avocat des parties civiles « Je ne joue plus avec vous » !!



Il me souvient encore de cette audience 14 janvier 1998 consacrée au 4ème convoi et à la rafle du 19 octobre 1942. Michel Slitinsky, alors âgé de 17 ans, parvint à s’évader. C’est lui qui, en 1981, « accusa » Papon via Le Canard enchaîné et grâce à des documents retrouvés par l’historien Michel Bergès.



Il me souvient encore de cette audience du 21 janvier 1998 au cours de laquelle Michel Slitinsky témoigna « au nom de tous les siens », de son père Abraham et de sa sœur Alice. Il raconta sa longue traque, son combat dans la Résistance et sa rencontre fortuite à Bordeaux avec deux policiers……………….auteurs de l’arrestation de sa famille.



Il me souvient encore de cette audience du 4 février 1998 au cours de laquelle furent évoquées la rafle du 10 janvier 1944 au cours de laquelle 228 Juifs de tous âges furent arrêtés à leur domicile et la déportation deux jours plus tard vers Drancy de 317 Juifs. Tous les Juifs arrêtés par la police et la gendarmerie françaises furent parqués….dans la Synagogue.



Il me souvient encore de cette audience du 10 février 1998 et du terrible et émouvant face à face entre les familles des victimes et Papon, Papon qui n’eut jamais le moindre mot de regret. Et pourtant il fut question, entre autres, de la déportation et de l’assassinat à Auschwitz le 25 janvier 1944 d’une famille entière, la mère, le père et leurs 9 enfants………..dont un nouveau né de quelques jours !



Il me souvient encore de cette audience du 11 février 1998 et l’évocation du dernier convoi du 13 mai 1944 composé uniquement de 57 personnes de plus de 70 ans, de malades arrachés de leur lit d’hôpital, de mutilés de guerre dont Jules Kahn,…………..amputé, Officier de la Légion d’Honneur et titulaire de la Croix de Guerre ! Manifestement, ces malheureuses gens n’allaient pas « dans des camps de travail » comme Papon le déclara la veille avant de se rétracter. Papon qui s’exclama : « Je suis la victime expiatoire des parties civiles » !



Il me souvient encore de cette audience du 4 mars 1998 avec le témoignage de Jean Pierre-Bloch, âgé de 93 ans, dernier survivant du « jury d’honneur » convoqué en 1981 par Papon, ce jury d’honneur qui le disculpa tout en concluant qu’il « aurait dû démissionner des ses fonctions en juillet 1942 ».



Jean Pierre-Bloch affirma que l’accusé n’avait jamais été résistant contrairement à ce qu’il voulait bien faire croire et, avec humour, ajouta que si Papon avait été résistant, il ne l’aurait été que……bien clandestinement !



Je n’ai pas assisté aux plaidoiries mais ai encore souvenance de ce jeudi 2 avril 1998 où Papon qui, jusqu’au bout, et j’insiste sur ce point, ne manifesta aucun regret, fut condamné à dix ans de réclusion criminelle pour « complicité de crimes contre l’Humanité » après une délibération de 19 heures et après……….16 années de procédure ! A noter qu’Arno Klarsfeld, représentant Ita et Jacky Junger (7 et 3 ans) plaida le 10 mars 1998, pour « une peine équitable relevant que Papon n’était ni Barbie ni Touvier ».



(Texte écrit le 18 mars 2007)



Photo : D.R.