Tribune
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Publié le 30 Mars 2012

19 mars 2012

D’abord l’horreur, l’effroi, la compassion. Un Français, Mohamed Merah, 23 ans, assassine trois enfants poursuivis jusque dans la cour du collège Ozar Hatorah, un enseignant père de deux d’entre eux, et auparavant trois militaires. Comment ne pas être sidéré, bouleversé, indigné ? La période des Chiva vient de s’achever. Des familles sont détruites, nous prions pour elles. Le meurtrier est hors d’état de nuire. La France et, en son sein, la communauté juive sont en état de choc. Ne pas se laisser emporter par la haine, car elle est du côté des assassins. Lui opposer la détermination, la justice et aussi la réflexion. C’est dans cet esprit, avec encore beaucoup de douleur et peu de recul, que j’ai souhaité réunir ici les propos publics que j’ai tenus depuis le 19 mars, mais dont je constate qu’ils n’ont pas, tous, été repris dans les médias.

La très forte émotion et le réflexe d’union nationale qui ont saisi notre pays ne doivent pas rester sans lendemain si nous voulons que de telles tueries ne se reproduisent pas. Je souhaite que ces événements horribles éclairent les consciences de ceux qui, sous l’influence de discours pervers, terroristes ou racistes, pourraient être tentés par des actes qui nient Dieu et l’humanité. En amont de ces actes monstrueux, j’invite les responsables politiques, les journalistes et faiseurs d’opinions et, plus largement, chacun de nos concitoyens à faire reculer la haine, à toujours exprimer leurs positions avec mesure, dignité et responsabilité. À refuser les amalgames mensongers et, en premier lieu, ceux sur Israël, car ce sont eux que le meurtrier a invoqués pour expliquer la tuerie du 19 mars. Je les invite aussi à ne rien laisser passer à ceux qui jouent sur d’autres amalgames et qui soupçonne ou accuse injustement l’ensemble des Français musulmans au nom des actes commis par un d’entre eux. Car les Français musulmans sont nombreux à faire plus qu’adhérer à la nation, comme c’était le cas de deux des parachutistes assassinés.

 

Pour autant, les autorités religieuses musulmanes ne peuvent pas faire l’impasse sur l’interpellation sanglante que leur adressent les drames de Toulouse et de Montauban, commis au nom d’Allah qui ordonnerait de tuer les juifs et de faire la guerre aux mécréants, même si – surtout si – ces actes sont en contradiction avec les fondements de leur religion. Il revient aux musulmans qui disent redouter les amalgames entre islam et islamisme de se désolidariser clairement et massivement de ces drames, par exemple en manifestant en très grand nombre. En effet, a-t-il souvent existé, dans l’histoire, des discours de cette nature, mêlant l’invocation divine, la prière, l’invitation au meurtre, le désir d’extermination ? Puisqu’Allah est cité à chaque phrase du tueur, les autorités morales de l’islam ne se doivent-elles pas de condamner, mais aussi de prévenir, d’une seule voix et avec la plus grande fermeté, ce genre de délire ? Ce sont elles les gardiennes de l’image que le monde islamique veut donner de Dieu. Si elles condamnent les attentats, elles se montrent jusqu’à présent peu enclines à aller au-delà de propos émotionnels que nous avons, hélas, beaucoup entendus ces dernières années, comme si elles hésitaient à se couper de la faction la plus intégriste de leurs fidèles.

 

Éviter « le choc des civilisations » exige un double mouvement. De la part de l’Occident, qui doit s’abstenir de tout anathème contre l’islam et de toute assimilation abusive. Mais aussi de la part des autorités musulmanes, sous peine de voir leur retenue alimenter les pires fantasmes. Depuis Mein Kampf, nous n’avons jamais entendu de tels appels au meurtre. Le stalinisme assassinait en masse, mais sans s’en glorifier. L’assimilation avec le nazisme choque sans doute à cause de la disproportion des crimes. Mais si al-Qaïda était à la tête d’un État structuré et puissant – l’exemple de l’Iran suffit à nous en convaincre – que nous promettrait cette organisation qui soit différente du programme d’Hitler ? Elle irait, à sa manière, plus loin, la menace de génocide des juifs n’étant que la première étape d’une extermination élargie aux autres occidentaux.

 

Le terrorisme fanatique est un danger mortel. Un autre danger, plus sournois, nous environne : le nouvel antisémitisme qui, loin d’éliminer l’ancien, le revigore, le rafraîchit, lui confère une puissance mentale inégalée. Sinon, comment expliquer que tant de gens, et pas des moindres, ne parviennent pas à faire la différence entre la tuerie de Toulouse et la situation à Gaza, nous confirmant hélas que le mal est profond, y compris dans les plus hautes sphères publiques ?

 

Cet antisémitisme n’est pas seul. Il avance, armé de poncifs. On entend ainsi que la haine serait causée de l’extérieur, par la misère, l’oppression, l’humiliation. Comme si tous ceux qui vivent dans la détresse se laissaient ravager par la haine. Quel mépris pour les pauvres ! Quelle insulte pour les malheureux ! Non, il n’y a aucune mécanique inexorable, aucun lien de cause à effet entre un désastre économique ou social et le terrorisme. Le terroriste n’est pas un mannequin manipulé par des déterminations matérielles ou idéologiques – une « victime » des circonstances. Sa décision lui appartient.

 

« Oubah’arta bah’ayim » « Tu choisiras la vie » (Deut. 30, 19)