Mes mots ont outrepassé ma pensée lors dans ma critique du livre de Cécilia Gabizon et Johan Weisz « OPA sur les juifs de France ». Je retire mes paroles les désignant comme moins honorables qu’un maquereau de Pigalle. Ils en ont été blessés. Je leur présente mes excuses car ce livre, quelque soit son titre ou son style tape à l’œil, ne mérite pas tant de véhémence, d’autant plus que Gabizon et Weisz ont été de vigilants investigateurs de toutes les formes de l’antisémitisme contemporain.
Ma trop vive réaction était fondée sur les bonnes feuilles publiées par Marianne. Et je trouvais que les extraits qui m’avait été donnés de lire dans cet hebdomadaire, présentant PA Taguieff et moi même, à la fois séduits par l’extrême droite et adeptes de la « théorie du pire », que tout cela faisait système avec un certain nombre d’autres choses particulièrement antipathiques, produites quelque temps auparavant. Je pense en particulier à l’opération Haaretz-Le Monde dénonçant Finkielkraut comme raciste, le repérage des néo-réacs par l’Observateur ou la lunette astronomique braquée par le même Monde sur les trois pelés de la Ligue de Défense Juive. Bref cela faisait beaucoup.
Venons en maintenant au fond de l’ouvrage « OPA sur les juifs de France, enquête sur un exode programmé ». Pourquoi un tel titre ? Pourquoi des mots aussi tapageurs ?
Où nous conduit l’investigation de Gabizon et Weisz ? Voilà une communauté juive égarée, toute à la fois doublement menacée : d’une part agressée de l’extérieur par l’antisémitisme idéologique ou par les faits antisémites des années 2000 - 2004 et d’autre part de l’intérieur par ses supposées dérives politiques ultra droitières, le tout instrumenté par une Agence Juive soucieuse de ramener en Israël la population juive de France. Il y a bien sur des éléments factuels pointés dans ce livre qui ne sont pas à l’honneur de certains juifs français, mais en quoi ces dérives extrémistes seraient-elles représentatives d’une communauté aux contours si mal définis ? En quoi ses institutions représentatives auraient elles succombé à ses dérives ?
Sont ils encore français tous ces juifs égarés que ce livre nous présente? On peut se poser la question à cette lecture. Qui sont ces gens qui préfèrent investir en Israël, acheter des appartements à Tel Aviv ou Natanaya plutôt que de lutter comme citoyens ici dans l’hexagone ? Et c’est là que le travail de Gabizon et Weisz dit autre chose que ce que son enquête rapporte. Les deux auteurs feignent d’ignorer l’effet induit de leurs propos. Quel est-il sinon la reprise de cette vieille accusation de « double allégeance » souvent portée par l’extrême droite xénophobe à l’égard des juifs. Il y a longtemps qu’être pluri-identitaire est une composante de la modernité.
J’ignore si Gabizon et Weisz ont produit ce livre pour faire un coup éditorial. Je reste perplexe sur cette enquête sélective autant que sur l’effet qu’elle produit. Le cri d’alarme qu’elle prétend pousser ne peut qu’aggraver un regard oblique sur une population qui s’en serait bien passée.
JACQUES TARNERO
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