Tribune
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Publié le 12 Juin 2006

A propos de la condamnation de la SNCF

Billet de Me Michel Zaoui sur Judaïques FM, avec l'aimable autorisation de la radio.


Je veux évoquer avec vous ce matin la procédure qui a abouti à la condamnation de la SNCF et de l'Etat à payer des dommages et intérêts à des plaignants, les ayant droits du père du député Vert M. Alain Lipietz et des membres de sa famille.


Les faits sont les suivants: Arrêtés en mai 1944 dans le Sud Est de la France par la Gestapo parce que juifs, ils sont remis aux autorités françaises. Celles-ci vont les faire transférer dans des wagons à bestiaux de la SNCF jusqu'à Drancy où ils vont rester trois mois jusqu'à leur libération le 17 août 1944. Fort heureusement pour les Lipietz, ce voyage ne se prolongea pas au delà de Drancy et leur internement ne dura que trois mois.
Le Tribunal Administratif de Toulouse, saisi d'une demande de réparations, vient de condamner la SNCF et l'Etat français à la somme totale de 62000 Euros. C'est une première, et la famille Lipietz s'est réjoui de cette décision qu'elle a qualifiée "d'historique" en précisant que c'est la première fois dans l'Histoire que l'Etat et la SNCF en tant que tels ont été condamnés.
Voilà les faits rapidement mais précisément rappelés.
Sur le plan juridique, beaucoup de questions se posent, et notamment quand à la prescription.
Sur le plan historique, d'autres questions se posent quand à la contrainte allemande qui s'exerçait sur l'Administration.
Mais, pour moi, là ne sont pas les vrais questions.
La véritable question est de savoir quel est le sens que l'on peut donner à une telle procédure qui a abouti à un tel jugement.
Je m'explique: Fort heureusement, même si cela fut très tardif, même si les oppositions furent très nombreuses, la déclaration du Président Chirac a marqué un tournant dans la reconnaissance du rôle de la France dans la déportation et l'extermination de 75000 juifs partis du sol français. Et ce rôle concerne bien évidemment celui de toutes les administrations françaises. Cette déclaration fut précédée, suivie de repentances multiples dont celle de l'Eglise de France ou celle de la Police parisienne.
Dans les mêmes périodes, trois procès eurent lieu pour crimes contre l'humanité, et en particulier celui de Maurice Papon qui commit un crime franco-français qui ne devait que peu à l'exigence allemande.
Dans le même temps encore, furent créées la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, et la Commission d'indemnisation des victimes de la Shoah.
En un mot, que peuvent encore solliciter des juifs de France. Jusqu'à quand devront-ils saisir les tribunaux pour tenter d'obtenir une décision que l'on qualifiera alors d'historique, ce qui n'a aucun sens, l'Histoire ayant déjà largement et légitimement défini la place de cette tragédie dans notre pays.
Jusqu'à quand devront-ils être toujours dans le ressentiment? Le rôle et la responsabilité de l'Etat sont très largement reconnus, et depuis longtemps.
Le procès Lipietz n'apporte rien si ce n'est la confusion dans la société qui nous entoure, notre société, et nous pouvons nous passer de cette confusion supplémentaire.
Je ne méconnais bien évidemment pas les douleurs qui jamais ne pourront s'effacer, mais ce ne sont certainement pas ces actions judiciaires qui pourront les apaiser.
Il faut savoir s'arrêter un jour, ou c'est une forme de folie qui nous guette. La grande historienne Annette Wieworka, a eu le courage d'adresser une lettre au journal le Monde qui l'a publiée dans le courrier des lecteurs du numéro de ce 9 juin. J'en résume la teneur : Une ligne rouge a été franchie dit-elle, une nouvelle voie ouverte à la demande désormais illimitée de réparation. On pourrait poursuivre la RATP, les déménageurs, les charbonnages, l'administration pénitentiaire ou les agriculteurs qui ont nourri les cheminots qui ont conduit les trains. Nous devons méditer cette forte parole qui témoigne d'un sens aigu de la responsabilité qui nous incombe aujourd'hui en France.
Michel Zaoui
Judaïques FM, Vendredi 9 juin 2006