Tribune
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Publié le 19 Mai 2003

A-t-on le droit de critiquer l’Autorité Palestinienne ? Les journalistes surveillés

Le conflit israélo-palestinien est assurément l’un des conflits du monde qui est le plus médiatisé et dont la charge à la fois événementielle, symbolique, historique et politique, est des plus fortes. Le conflit - par son intensité dramatique et par sa forte charge émotionnelle - est probablement le conflit qui est suivi, et inquiète le plus de personnes au monde. Plus que pour tout autre conflit, chacun d’entre nous peut suivre ses multiples péripéties, rebondissements et violences. Voir se télescoper et frapper à notre porte les images télévisées de victimes innombrables, de déclarations intempestives. Les images du conflit s’interposent dans notre quotidien : images de l’Intifada, d’attentats, d’humiliations, de souffrances ou de crimes. A loisir, on peut y déceler – en fonction de sa sensibilité ou de sa compréhension du conflit - un coupable, une victime et comme ce conflit est tout sauf d’une neutralité exemplaire ; comme les travers du manichéisme sont quotidiennement tracés, chacun peut penser que l’une ou l’autre partie est forcément innocente et/ou coupable.



Le conflit est passionnel. Tout un chacun s’y engage, jugeant et jaugeant de l’irresponsabilité des uns et de l’irresponsabilité des autres. Mais, les observateurs que sont les journalistes (qui couvrent les événements) sont eux-mêmes observés à la loupe. Les commentaires sont pesés, la moindre ligne est décortiquée. Et, il faut avoir l’honnêteté de dire qu’il semblerait que nul n’échappe à ce travers douteux.

Est-il faux de dire que les militants (de l’une ou l’autre cause) sont (quelquefois) (particulièrement) injustes ? Faisant fi de la difficulté qu’il pourrait y avoir à couvrir les événements, à comprendre les enjeux, et prendre du recul, les uns et les autres pèsent et sous pèsent, jugent facilement. Le journaliste est de facto trop souvent entraîné sur l’autel de la culpabilité : il serait forcément de l’un ou l’autre camp et il serait entendu ainsi qu’il servirait les intérêts de la « propagande » adverse.

Si des amis d’Israël prétendent (de temps à autre) que les journalistes sont forcément tous pro palestiniens (comme s’ils devaient être pro ou anti… (sic), mauvais ou injustes (etc…), dans les milieux attentionnés et bienveillants à la cause palestinienne, les militants prétendent et assènent constamment (à qui veulent les entendre) que le « lobby » sioniste ou juif contrôlerait toute la presse française (sic) et que tous les journalistes seraient manipulés et/ou victimes de véritables campagnes d’intimidations ou de cabales qui seraient dressées contre les journalistes et leur déontologie.

Pourtant, et comme dans l’histoire de l’arroseur arrosé, les mêmes militants de la cause palestinienne - si prolixes pour donner des leçons - ne se privent pas pour continuellement faire pression sur les journalistes. En résumé, les militants pro palestiniens se livrent à une guerre médiatique dont ils ont (eux aussi) le secret. Seulement et bizarrement, les journalistes se plaignent plus aisément des pressions dont ils feraient l’objet lorsqu’ils critiquent la politique israélienne, que de pressions de militants de la cause palestinienne. Comme si et par un curieux hasard, ces pressions n’existaient pas (sic).


Il nous semble intéressant d’illustrer notre commentaire.


Par exemple, sur l’Internet, le site Paix en Palestine (nous pourrions multiplier les exemples) offre sur son site une liste conséquente de contacts dans les médias français radios, télévisions et presse écrite. Sur ce site, un texte initial présente quelques conseils sur la manière de communiquer avec les médias, en recherchant de façon positive à avoir une influence sur ce qui se dit. Ce texte est fondé sur un document original de Ali Abunimah. Ali Abunimah qui est le vice-président du Réseau d'Action Arabe-Américain, ainsi qu'un analyste des médias bien connu. Il écrit régulièrement des lettres aux médias, il coordonne des actions et paraît sur un grand nombre de programmes d'information en tant que commentateur du conflit Israélo-Palestinien. Il est l'un des fondateurs de « The Electronic Intifada ». Il a contribué à la réalisation du livre « The New Intifada: Resisting Israel's Apartheid » (Verso Books, 2001). Titre original du document « Media activism advise », paru sur The Electronic Intifada. Trad. Mounia Essefiani.


Comme nous pensons que ce texte illustre parfaitement le sujet, nous reproduisons ci-après de larges extraits, tout à fait significatifs, de larges pressions qui peuvent être exercées sur les journalistes :



« En voyant des reportages ou des articles inexacts ou tendancieux, notre première réaction est souvent une réaction de colère et d'hostilité envers les médias.


Cependant, il est très important de comprendre qu'adopter une attitude hostile à l'égard des médias ou s'adresser à eux avec colère n'apportera PAS de changements positifs. Oui, bien sûr, il y a beaucoup d'altérations ou d'omissions délibérées, mais souvent les mauvais reportages sont dus au fait que les médias n'ont pas accès à de bonnes informations ou à des points de vue alternatifs. Et c'est là que VOUS pouvez faire la différence.



Les rôles essentiels qu'un activiste peut jouer dans les médias sont:


- Responsabilité : faire obstacle aux reportages et analyses inexacts et injustes.


- Information : établir des liens avec les rédacteurs, les responsables de l'édition, les journalistes, et devenir une source d'informations précises et alternatives.


- Participation : avoir voix au chapitre en parvenant à publier des lettres ou des articles et en faisant des interviews.


Un bon activiste peut viser tous ces objectifs ou uniquement l'un ou l'autre d'entre eux, et développer un savoir faire au fil du temps.


Toute personne qui écoute la radio, qui regarde la télévision ou qui lit les journaux peut passer de l'état de "récepteur" passif de points de vue et d'images créés par d'autres à l'état d'acteur luttant pour une couverture plus juste et plus exacte de la situation des Palestiniens.



Voici six étapes à suivre basées sur notre expérience :


Etape 1: Devenez critiques


Chaque fois que vous lisez un article ou entendez un reportage, posez-vous les questions suivantes :


- que contient-il de bon?

- que contient-il de mauvais?

- À qui a-t-on donné la parole?

- Qui n'a-t-on pas entendu?

- Que faudrait-il pour améliorer le reportage ?


Ne condamnez pas tout en bloc si vous ne pouvez pas justifier toutes vos critiques. Si votre journal local a publié dix mauvais articles sur le Proche Orient et un bon, ne dites pas "tous vos articles sont mauvais ". Au contraire, soyez disposé à applaudir le bon article, utilisez-le pour expliquer pourquoi il faut davantage de bons articles et confrontez-le aux mauvais articles.



Etape 2: Choisissez vos combats, apprenez à connaître le champs de bataille


Personne ne peut tout lire ou tout écouter. Cependant, vous pouvez choisir l'une ou l'autre source (radio, télévision, presse écrite) et essayer de la suivre régulièrement. Dès lors, au fil du temps, vous apprendrez à distinguer le bon reportage du mauvais et vous reconnaîtrez également la plume de journalistes en particulier. Vos arguments auront donc plus de poids et vous aurez de meilleures bases pour établir un dialogue avec les personnes qui délivrent les informations.



Etape 3: Connaissez les faits


- Soyez exact, précis et faites des recherches: ne dites pas des choses dont vous n'êtes pas certain. Si vous doutez, vérifiez l'information. Vous aurez toujours l'air beaucoup plus crédible si vous pouvez montrer que vous avez des faits à présenter. Ne donnez pas d'information incomplète ou altérée. Dites la vérité même lorsque la vérité ne sert pas toujours les arguments que vous avancez.


- Citez ce qui a été dit de manière précise: écrivez-le. Enregistrez les émissions. Gardez un stylo près de la télévision ou de la radio. Citez vos sources. N'oubliez pas que la crédibilité est votre meilleur atout.


- Consultez les agences de presse comme Reuters, l'Agence France presse et The Associated Press : il s'agit des sources qui fournissent des informations sur l'actualité internationale à la plupart des médias locaux. Mais il y a beaucoup d'informations qu'ils choisissent de ne pas utiliser. Il est facile de consulter ces informations sur: http://dailynews.yahoo.com


- Utilisez Internet : il y a de nombreuses sources d'informations alternatives, par exemple les organisations de défense des droits de l'homme qui sont basées au Proche Orient.


- Consultez les médias étrangers comme la BBC, les journaux européens comme EuroNews. Confrontez-les aux médias belges et français, à vos médias locaux, etc. Ils sont parfois plus complets et moins partiaux.


Etape 4: Communiquer


- Utilisez l'email, suivi si nécessaire d'un appel téléphonique pour relancer vos correspondants. Les lettres et les faxes sont aussi un bon moyen. Vous n'êtes pas certain de l'adresse ou du numéro d'un journaliste ou d'un rédacteur en chef ? Appelez alors directement la station de radio, la chaîne de télévision ou la rédaction du journal et demandez-leur l'information. La plupart des médias ont un site Internet qui offre des informations permettant de les contacter.


- Soyez courtois et adressez-vous à vos correspondants comme à des collègues. Lorsque vous entrez en contact avec des journalistes ou des rédacteurs en chef, n'oubliez pas ce qui suit :


o ce sont des êtres humains. Ils se sentent souvent harcelés et sous pression. Ils reçoivent régulièrement des appels d'extrémistes et vous mettront donc facilement dans le même sac si vous ne communiquez pas de manière efficace, professionnelle et polie.


o Lorsque vous écrivez une lettre, ne présumez pas que le lecteur connaisse le sujet aussi bien que vous-même. Faites toujours figurer des informations pertinentes (date, nom du journaliste, sujet) et restituez brièvement l'extrait du reportage (ou de l'article) que vous commentez. Si vous écrivez une lettre au rédacteur en chef et espérez la voir publiée, il y a différentes règles à suivre : vous devez être très bref, concis et aller au fait (voir ci-dessous). Si, par cette lettre vous voulez apprendre quelque chose au journaliste, vous pouvez alors faire plus long et ajouter davantage d'informations.


o Ne cédez jamais à la frustration ou à l'émotion, même lorsque vous avez vu un reportage très blessant ou très inexact. Adressez-vous toujours aux gens comme à des collègues. Ils auront alors du respect pour vous et vous répondront toujours même s'ils restent en désaccord avec vous. Cela contribuera à établir un dialogue.


o Les journalistes se méfient des "avocats". Pour éviter de vous faire taxer d'avocat, vous devrez être capable d'argumenter en vous tenant aux faits et en gardant votre calme face à un avis divergent. Vous ne serez pas pris au sérieux si vous ne répondez pas de manière bien réfléchie aux arguments du point de vue opposé. N'oubliez pas, si vous avez la vérité de votre côté, vous n'avez rien à craindre.


o Félicitez-les pour leur bon travail autant que vous pestez contre les mauvais articles. C'est d'une importance capitale. Les journalistes devraient vous prendre plus au sérieux s'ils ont le sentiment que vous êtes de bonne foi. Pour le leur prouver, prenez le temps d'écrire un petit mot les félicitant pour un bon reportage (ou article). Nous sommes tous humains, nous aimons donc tous les compliments ! Souvent un petit compliment pourra servir à ouvrir la voie au dialogue.



Etape 5: Devenez une source d'information


D'après notre expérience, la grande majorité des journalistes sont des gens honnêtes. Il se peut qu'ils ne soient pas experts dans les sujets qui vous intéressent, et dans ce cas ils dépendent de l'information que leurs sources leurs fournissent. Il vous faut donc devenir une source d'informations et d'analyses de qualité, pertinentes et dignes de foi. Il vaut mieux être une source d'information qu'une personne qui ne fait que rouspéter ! Mais être une source d'information ne signifie pas bombarder tous les jours quelqu'un d'emails interminables. Soyez sélectifs et sérieux. Demandez-vous quelles sont les choses les plus importantes qu'ils doivent savoir. Ou mieux encore, demandez-leur quel genre de choses les intéressent.


Une fois que vous aurez noué une relation et que vous aurez acquis une certaine crédibilité à leurs yeux, les journalistes commenceront à faire appel à vous, juste pour discuter de certaines questions ou même vous demanderont des commentaires et des interviews. Vous voilà donc devenu une " source ".



Etape 6: Développez des réseaux


Faites lire vos lettres à des amis intéressés ou à vos collègues activistes. Cela encouragera d'autres personnes à suivre votre exemple et vous permettra de recouper vos informations. Devenez un "orienteur". Encouragez les gens à écrire aux journaux pour les complimenter et également pour montrer leur désaccord… »

Vient ensuite une liste assez longue (mais actuellement dépassée) qui donne notamment et largement les coordonnées complètes des journalistes de plusieurs rédactions :

-
Libération :
15
journalistes
-
Le Monde :
6
-
Le Monde 2 :
1
-
Le Monde diplomatique :
3
-
Le Figaro :
9
-
Le Figaro magazine :
2
-
Madame Figaro :
1
-
France-Soir :
2
-
Aujourd’hui en France :
3
-
Le Parisien :
1
-
La Croix :
4
-
Témoignage Chrétien :
2
-
L’Humanité :
8
-
Charlie Hebdo :
2
-
Canard Enchaîné :
2
-
Courrier international :
3
-
Marianne :
2
-
JDD :
3
-
Le Nouvel Observateur :
8
-
L’Express :
5
-
Le Point :
8
-
l’Expansion :
1
-
Valeurs actuelles :
2
-
Paris Match :
5
-
Géo :
1
-
L’Histoire :
1
-
Historia :
1
-
National Géographique :
1
-
Revue des deux mondes :
1
-
Les dossiers de l’actualité :
1
-
Dossiers et documents du Monde :
1
-
Géopolitique :
1
-
Politique étrangère :
3
-
L’Hebdo des juniors :
1
-
Le journal des enfants :
1
-
DS magazine :
2
-
Elle :
3
-
Marie-Claire :
1
-
VSD :
1
-
Télérama :
1
-
Arabies :
2
-
Les Cahiers de l’Orient :
1
-
France Pays Arabes :
1
-
Actualité juive :
2
-
Tribune juive :
1
-
Information juive :
1




Conclusion provisoire

Le travail journalistique par excellence peut être commenté, observé et critiqué. Des journalistes peuvent se tromper, ou se laisser aller. Quant au lecteur (à l’auditeur, au téléspectateur), il a tout à fait le droit de se forger une (sa) propre grille de lecture, d’avoir un point de vue divergent, de considérer que trop de choses ont été dites ou inversement, pas assez, que les commentaires peuvent ignorer un contexte, en rajouter, se démarquer, fausser une réalité, ou déraper. Le lecteur peut et doit faire entendre sa voix et sa désapprobation. Seulement, ne faut-il pas raison garder ? Ce conflit n’est-il pas par trop passionnel ? Et quelquefois, n’est-on pas trop regardant et distillant ou découpant, grignotant l’espace de liberté qui doit être alloué à chaque journaliste ?

Marc Knobel

Observatoire des médias