La révolte contre le régime de Bechar el Assad pourrait provoquer un recul de l'influence de l'Iran en Syrie et au Liban. Les Iraniens tenteront alors de s'introduire en Jordanie tout en maintenant leur alliance stratégique avec le Hamas.
Selon un rapport publié ces jours-ci par l'ONU plus de 2900 personnes ont été tuées en Syrie depuis le soulèvement du mois de mars dernier. Alors qu'une partie de la communauté internationale s'est concentrée sur la répression meurtrière et le nombre élevé des pertes humaines, les observateurs politiques dans le monde arabe ont examiné les conséquences de la révolte et le nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient, et en particulier l'avenir de l'influence iranienne en Syrie et au Liban. Pour exemple, dans un long article publié récemment dans le quotidien libanais "al-Saphir", l'auteur soulève sérieusement la question quant à l'avenir du Hezbollah. Plusieurs scénarii sont envisagés. Dans le premier, le régime syrien maintiendra son statut et son pouvoir et ne sera pas obligé à faire des concessions à l'Occident concernant ses relations avec "la résistance" – à savoir le Hezbollah et l'Iran. Dans le deuxième scénario, le régime syrien serait forcé de renoncer à sa politique étrangère et son soutien au Hezbollah et à l'Iran, en échange de l'appui de l'Occident. Le troisième scénario envisage la chute du régime d'Assad et son remplacement par un régime pro-occidental, qui se détacherait du Hezbollah et de l'Iran.
L'auteur de l'article, un libanais qui n'a jamais caché sa sympathie pour le Hezbollah, pensait il y a quelques semaines que le premier scénario est le plus réaliste de toutes les options possibles. Mais qu'adviendra-t-il si son analyse s'avérait erronée, et l'Iran perdrait une occasion stratégique de dominer le monde arabe? Si les Frères musulmans en Syrie devenaient la force dominante suite à la chute du régime, l'Iran ne perdra t-il pas son influence d'une manière significative.
Il est vrai que la confrérie des Frères musulmans a soutenu le Hezbollah chiite en 2006 lors de la Seconde guerre du Liban, mais actuellement, la Turquie d'Erdogan leur offre une alternative musulmane sunnite.
En fait, la Turquie est devenue le lieu des rencontres et l'hôte des Frères musulmans tout en entretenant son influence au sein de l'opposition syrienne. Les Turcs poursuivent des manœuvres militaires le long de leur frontière commune avec la Syrie qui est de 850 kilomètres, et insinuent ainsi la possibilité d'une invasion. Dans cette crise, la Turquie est un facteur dominant. Le peuple syrien a vu quotidiennement comment le régime d'Assad s'appuie sur des militants iraniens et sur des unités du Hezbollah dans la répression des manifestants. Il existe en effet un rejet général à l'idée de préserver l'alliance syro-iranienne.
Si les Iraniens perdaient le tremplin syrien existe-t-il une autre alternative? Certains observateurs pensent que les Iraniens envisagent de transformer la Jordanie comme nouveau centre d'influence dans le monde arabe. Auparavant, cette option n'a jamais été soulevée, étant donné que la population jordanienne est sunnite-musulmane où coexiste une petite minorité chrétienne. Par contre, l'élite syrienne alaouite a été déjà reconnue comme chiite dans les années 70.
Cependant, depuis 2003, le visage démographique en Jordanie a changé en raison de la guerre en Irak. Près d'un million de réfugiés irakiens se sont installés en Jordanie durant ces huit dernières années, et parmi eux des centaines de milliers de réfugiés chiites. La majorité demeure fidèle à leur chef religieux ayatollah Sistani et non pas aux dirigeants iraniens. Et malgré tout, il faut s'attendre que l'Iran utilise cette population pour pouvoir propager sa propagande religieuse. Les Iraniens investissent dans les lieux saints chiites comme moyen d'influence, en particulier dans les lieux de culte liés à la famille d'Ali, considéré comme le premier Imam. A Damas, ils ont élargi le site tombal attribué à sa fille Zinav, et l'ont transformé en lieu de pèlerinage populaire. En Jordanie, une similaire sépulture du frère d'Ali, Jaffer, est financé par les Iraniens, elle est située à environ 150 kms au sud de la capitale Amman.
Plusieurs milliers d'Irakiens et d'Iraniens visitent chaque année les sites chiites situés en Jordanie, ceux des membres de la famille d'Ali et des compagnons de route du prophète Mohamed, vénérés par les shiites. Des Irakiens achètent même des terrains non loin de ces sites de pèlerinage. En 2006, le dirigeant extrémiste chiite irakien, Mouhkata Sadr, a rendu visite dans les lieux saints de Jordanie.
Certes, le Hezbollah n'est pas présent en Jordanie mais il demeure très actif en Irak, son voisin. Après le retrait des forces américaines d'Irak, il n'est pas exclu que l'Iran puisse se servir du Hezbollah en Irak pour opérer en Jordanie.
Au demeurant, les Iraniens renforcent leur alliance stratégique avec le Hamas. Même si la Turquie réussit à mettre sous son orbite les Frères musulmans de Syrie, l'Iran ne lâchera jamais l'autre filiale des Frères musulmans, à savoir le Hamas. Le Hamas pourrait devenir un facteur important dans les tentatives de l'Iran d'installer une présence militaire en Jordanie. Les forces de sécurité du royaume hachémite sont toujours sur le- qui-vif et jusqu'à ce jour ils résistent aux agissements iraniens.
Toutefois, ils pourront avoir de grosses difficultés à contrer définitivement ces dangereuses manigances des chiites.
Dans ce contexte, la Jordanie a rejoint officiellement l'axe anti iranien au Moyen-Orient. Elle a adhéré au Conseil de coopération du golfe persique dirigé par l'Arabie Saoudite, et composée de six Etats du Golfe. La Jordanie qui ne possède pas du pétrole, offre à ces Etats arabes son savoir militaire. Elle a déjà expédié aux Bahreïnis 1000 soldats et policiers afin de les aider à réprimer le soulèvement chiite contre le roi sunnite. En décembre 2004, le roi de Jordanie, Abdallah II, a été le premier dirigeant sunnite à avertir publiquement les pays occidentaux du nouveau "croissant chiite" propagé depuis la guerre d'Irak.
L'étendard chiite sera exploité par l'Iran afin de renforcer son influence dans les capitales du monde arabe.
Au moment où le Moyen-Orient traverse une situation mouvementée et instable, Israël devrait demeurer vigilant et suivre attentivement ces évolutions, en particulier les tentatives de l'Iran de déplacer l'épicentre de son influence militaire de la frontière Nord vers le front Est.
Photo : D.R.
Source : le CAPE de Jérusalem