Tribune
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Publié le 9 Décembre 2011

«Beaucoup d'Égyptiens étaient surpris d'être photographiés par une femme»

Cadrages coup de poing, couleurs au cachet esthétique : les photos d'Aude Osnowycz constituent un témoignage marquant des violences qui ont éclaté au Caire à la fin du mois de novembre. Une patte personnelle qui a d'ores-et-déjà permis aux images de la jeune photographe de 32 ans d'apparaître dans plusieurs publications, dont le "Nouvel Observateur".
Photographe amatrice il y a encore un an, Aude Osnowicz a profité de la révolution tunisienne pour mettre sa carrière de juriste entre parenthèses, s'installer à Tunis et se lancer dans le photojournalisme. Un parcours qui l'a mené, fin novembre, dans le champ de bataille de la place Tahrir et de l'avenue Mohamed Mahmoud.



Comment avez-vous été amenée à couvrir les émeutes de novembre au Caire ?



Mon intention originelle était de couvrir les élections. Arrivée au Caire avec une semaine d’avance sur le scrutin, j’étais sur place lorsque le mouvement de révolte a éclaté par surprise. Ce qui m'a permis de devancer beaucoup de photographes. On s'imaginait que des incidents éclateraient à l'occasion des élections au Congo, mais pas aux législatives égyptiennes… Je suis allée prendre des photos sans me poser de questions. C’est à travers les médias et l'écho dans la société égyptienne que j’ai ensuite pris conscience de l’ampleur des événements.



Des femmes journalistes ont été victimes d'agressions sexuelles sur la place Tahrir. Comment avez-vous trouvé votre place sur le terrain ?



J’étais perpétuellement accompagnée par un ami tunisien qui parlait arabe et se débrouillait bien pour désamorcer les tensions. Je m’en suis sortie sans mal grâce à son aide, mais toutes les photographes n’ont pas eu cette chance. Dans ce genre de situation, les choses deviennent vite dangereuses pour une femme qui n’est pas accompagnée. Les journalistes et les photographes s’attachent d’ailleurs généralement à ne pas laisser de collègues féminines seules dans la foule. Il y a une solidarité qui se met en place sur le terrain, on se serre les coudes.



Quel regard les manifestants portaient sur vous ?



Il y a eu des comportements très différents. D’un côté, beaucoup d’Égyptiens étaient surpris, voire gênés de se faire photographier par une femme. Surtout lors des prières, dans un milieu d’hommes. Le fait d’être étrangère aggravant les choses, j’ai été la cible de beaucoup de propos obscènes au cours des émeutes. Mais d’un autre côté, il y a aussi eu des remarques touchantes qu’il ne faut pas oublier. "Merci d’être avec nous", m’a notamment dit un Égyptien. Il ne faut pas faire d’amalgame entre les manifestants et les voyous qui ont profité de l’occasion pour agresser les gens.



Les affrontements entre policiers et contestataires ont fait des dizaines de morts. Ce qui rend le travail dangereux pour un photographe…



Ayant côtoyé les manifestants, j’ai été exposée à l’arsenal des forces de l’ordre : des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, mais aussi des balles réelles. Une source de stress car on ne sait jamais où une balle peut atterrir. Il y avait également des rumeurs inquiétantes sur la haute toxicité du gaz utilisé par la police antiémeute. D’autant plus que je n’avais aucun équipement : pas de masque à gaz, ni de casque, et encore moins de gilet pare-balle. À l’origine, encore une fois, je comptais seulement photographier des élections législatives ! En y repensant, je réalise mon imprudence. C'était une bêtise. Je viens d’ailleurs de me mettre à la recherche d’un casque et d’un gilet.



Cela ne semble pas avoir modifié votre façon de photographier, beaucoup de vos images étant prises au cœur de l’action.



On prend forcément des risques. Sous l’effet de l’adrénaline, on agit à l’instinct sans se poser trop de questions. Il y a aussi, peut-être, une part de challenge personnel. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser au photoreporter Lucas Dolega, tué par des policiers à Tunis en janvier dernier.



Vos photos se distinguent notamment par leurs contrastes prononcés et leurs couleurs très travaillées. Pourquoi ce choix ?



Je travaille beaucoup les photos en postproduction. Une tendance qui n’est pas sans créer quelques vagues dans le milieu du photojournalisme, notamment pendant le Festival Visa pour l’Image. Et il est vrai qu’apposer une démarche esthétique à un travail documentaire peut être à double tranchant. Mais pour moi, la photographie est un art. J’y vois une démarche comparable à celle de la peinture, où l’on exprime ses émotions intérieures. L’important est de traduire ce qui nous touche. C'est avant tout pour cela que j’ai quitté mon travail pour me lancer dans cette aventure.



Quels sont vos projets ?



Je vais prochainement couvrir l’anniversaire de la révolution tunisienne. Je pense également à des sujets sur les femmes du Hamas à Gaza et sur les chiites du Bahreïn. Se spécialiser dans une zone géographique à l’étranger est un grand avantage pour récolter des commandes, se faire connaître des services photos, mais aussi pour approfondir son sujet. Il est plus difficile de surnager en France, où la concurrence est rude. Cela dit, je compte aussi voyager dans d’autres pays et ne pas me limiter à l’actu chaude. Il est aussi nécessaire de faire des sujets de fond.



Un dernier mot ?



Je tiens à remercier mon ami Ali Garboussi qui m’a été d’une aide inestimable. Je n’aurais pas pu faire ces photos sans lui.



Photo : D.R.



Source : Le Nouvel Observateur