Dans cette soirée, c’est la République qui fut à l’honneur, par les discours et par l’hommage rendu aux combattants juifs volontaires de la deuxième guerre mondiale et aux héros juifs méconnus du sauvetage. Oui, nous avons parlé aussi d’Israël, de l’Iran, et du danger de l’Islam radical. Certains imaginent qu’Ahmadinejad et Ben Laden n’auront plus de raison d’en vouloir à l’Occident une fois qu’Israël aura rendu les territoires qu’il occupe «illégalement». Chacun peut croire aux contes de fée, penser que la violence anti-israélienne, anti-juive et antioccidentale n’est que l’expression d’une détresse immense, refuser d’écouter les discours de haine et négliger de croire la charte du Hamas. Cassandre n’est pas populaire et il est si agréable de se sentir dans le camp du bien, c’est-à-dire des opprimés, des anti-impérialistes, des combattants estampillés de la liberté. Il est plus réconfortant de ne pas fouiller le passé, le discours interne et le corpus idéologique des véritables marionnettistes manipulateurs des bons sentiments.
Le CRIF n’est pas un lobby va-t-en guerre, mais se veut une vigie qui n’annonce pas uniquement de bonnes nouvelles. L’histoire a donné aux Juifs un devoir de lucidité que certains d’entre eux se refusent obstinément à exercer. Ecrire que le «CRIF ne manque aucune occasion pour appuyer la politique antimusulmane du gouvernement» relève de la diffamation, d’abord pour le gouvernement, ensuite pour notre institution. Un seul exemple ? Mme Benbassa serait bien en peine d’en fournir. De fait, le CRIF fut le premier à critiquer le caractère populiste de la votation suisse sur les minarets, il s’est toujours opposé aux discriminations dont les musulmans, bien plus que les Juifs, sont victimes dans notre pays ; il a constamment réagi aux actes de racisme qui les ciblaient. Mme Benbassa injurie, sous le qualificatif qu’elle veut méprisant, de «bons musulmans» ceux qui étaient présents au dîner. Je suppose qu’elle s’en prenait à l’imam Chalghoumi, contre qui les chiens sont lancés depuis qu’il a prôné l’amitié avec les juifs et s’est déclaré contre une burqa que n’impose pas l’islam, qui humilie la femme et qui interdit les rapports de visage à visage, bases de nos relations sociales. Mais a-t-elle vu que presque tous les dirigeants des grandes institutions musulmanes étaient présents aussi ? Les prend-elle pour les laquais du CRIF ? Nous, nous considérons qu’ils sont les acteurs essentiels de la République dans sa lutte contre le radicalisme islamique.
Nous aurions le pouvoir de faire «plier les uns et les autres», mais au fond nous ne serions qu’un «groupuscule endogamique» (c’est-à-dire juif? quelle découverte !). J’espère qu’il n’a pas fallu cette investigation approfondie de notre directrice d’études pour que les politiques sachent que les juifs sont peu nombreux, que leur poids électoral est limité, et que, finalement, les Protocoles des Sages de Sion sont des faux. Je passerai sur l’accusation éculée et fausse d’être la «seconde ambassade d’Israël». Lorsque je me suis exprimé, dans ces mêmes colonnes, contre le choix de M.Hosni au poste de Directeur Général de l’Unesco, j’étais aux antipodes de la position israélienne. Ecrire, comme le fait Mme Benbassa, que «ce qui aurait passé antérieurement pour de la double allégeance s’appelle aujourd’hui le soutien à Israël» rend songeur. Donc, tous ceux qui soutiennent Israël seraient une cinquième colonne dans notre pays ? J’imagine la tête de tous les amis non-juifs d’Israël ! Mais peut-être cette remarque ne s’applique-t-elle qu’aux juifs ? Faire cette distinction n’est pas très républicain, mais peut-être, pense-t-elle, et ce serait le nœud du problème, qu’un vrai juif ne devrait pas soutenir Israël ? Au mieux, il devrait s’ériger en censeur continuel de ce que devrait faire Israël.
Le CRIF, n’a pas l’outrecuidance de penser qu’il devrait dicter leur attitude à ceux qui vivent la réalité au quotidien. Il assume volontiers le fait d’être «légitimiste». Israël est une démocratie ouverte, son gouvernement -de coalition large- représente l’expression de la majorité du peuple, ses décisions suivent les processus légaux. Il ne manque pas de gouvernements dans le monde à l’encontre desquels la colère des démocrates devrait se manifester, car ils sont bien loin de ces procédures. Mais ces causes ne sont pas dans l’air du temps. La dénonciation d’Israël et de ses soutiens est plus populaire et médiatiquement plus rentable. Les critiques de Mme Benbassa ne peuvent que conforter le CRIF dans ses positions : celles du camp de la paix durable.
Richard Prasquier (article publié dans Libération le 16 mars 2010)
Photo : D.R.